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Vendredi j’ai voulu déraciner un arbre. Un minus robinier qui faisait à peine un mètre de haut et qui s’était collé à un vieil arbre. Non, ça ne va pas. J’ai décidé de prendre position. Je m’affirme dans le jardin. Je me suis pris une tronche de propriétaire complètement conne sous trente degrés à l’ombre, un quasi midi, la parfaite cruche. Une pulsion, me demande pas. Y’a des fois où j’ôte toute intelligence de mon cerveau, toute. Elle était encore là, l’intelligence, quelques minutes avant, disons, trois, quatre minutes, et puis soudain l’action têtue s’empare de moi et je n’ai plus de retenue.
Je suis allée chercher le seul objet que j’avais, un truc pas approprié, je savais, mais là aussi c’est un genre de stratégie avec mon imbécillité titanesque. Exemple : la veille j’avais posé du jonc de mer au sol, dans le bureau, à l’aide de vieux ciseaux. Cherche pas. J’ai une ampoule dans la paume de la main droite maintenant. Cherche pas.
Une fourche donc, enfin une chose à quatre morceaux qu’on enfonce au sol, une fourchette géante, si tu veux. Et j’attaque la bête. Je lui cause avec mon esprit. Je vois qu’elle comprend rien. J’ai un peu honte car je sais que je fais une connerie. Mais c’est foutu, dans ces cas là. Je suis prise par ma bêtise, j’insiste. Donc, je lui coupe les vivres. Je lui coupe des petites branches. Je lui dit que c’est pour souffrir moins après. Je lui explique que je vais le replanter ce bébé acacia. En pleine chaleur d’un été en mai, à midi, je lui raconte cette histoire là. Genre « tu seras heureux ailleurs, mon fils ». Maintenant tu comprends pourquoi j’ai pas voulu d’enfant.
Je creuse. Je fouille, je tournicote. D’un côté, de l’autre, j’entre dans des entrailles. Je vois bien que je n’ai rien pour moi. C’est sec, c’est puissant. Je suis face à plus fort. Je creuse, je tournoie, je danse autour, j’enfonce ma fourchette géante mais surtout je danse autour, péniblement, honteusement. Je me dis « Merde la voisine, je ne veux pas qu’elle me voie entrain de déconner comme ça ». On a à peine fait connaissance, c’est une mégère du coin et son balcon donne précisément sur cette partie de mon jardin, qu’elle reluque sournoisement.
Cette pousse n’a rien à faire là, il faut que je soies autoritaire dès le début. Je suis une récente propriétaire et j’ai envie d’être totalement stupide. L’arbre se défend. Il a peu à faire. Il a tout pour lui. Il a même des alliés sous terre. Je n’en reviens pas de trouver tant de résistances. C’est un écheveau, des ficelles de racines, un enchevêtrement qui me dépasse totalement. Je ne suis rien. Plus je creuse moins je descends. Je remue de la terre sableuse par touffe, j’aère la terre, c’est tout ce que je fais. Le robinier se fend la gueule. Des cheveux de sorcière l’entourent et me jettent sorts sur sorts. Je me débats sans effet dans un filet serré, mailles après mailles, bien avant moi, bien avant que j’arrive, bien avant, même, que je ne connaisse ce lieu et ce monde.
Il penche, il penche et ploie. Moi je suis au bout de mes moyens. Donnez moi une pelle, une pelleteuse, un marteau piqueur, un tracto-pelle….Mais là quoi ? Le mini-arbre ne bougera pas. Le combat vital est lancé. J’ai soudain un émoi, un remords, un passage à vide. « Je vais le tuer » me dis-je. Un instinct de meurtre. Je suis allée trop loin. Je suis foutue moi aussi. Je nage dans la panade complète, je suis dans la mouise. J’ai deux solutions. La première ne me vient même pas à l’esprit : arrêter le massacre. Reculer, raison garder. Personne ne m’a vue. Je peux faire volte-face. Laisser en place cette joyeuse motte de terre bien remuée et abandonner, en quelque sorte…Mais c’est faire fi de moi et de mon désir de puissance. Quand tu as commencé à te ridiculiser c’est dur de renoncer.
La deuxième solution je la prends, criminelle, mauvaise tête. Les cisailles, et je coupe, le plus loin possible, le genre de petit tronc, racine épaisse que j’ai réussi à atteindre. Car pour le reste, l’essentiel, le robinier a tenu bon. L’homme à abattre est enterré loin, aucun de mes yeux ne le voit. Je ne vois rien. Je n’ai rien vu, je suis complètement inutile et inefficace.
Je pars avec en mains un trophée me couvrant de ridicule. Un genre de radis géant qu’aurait cueilli une fourchette ad hoc dans un conte misérable, un cauchemar. Je me réfugie derrière la maison, mettre ce riquiqui dans un bout de terre moche, faite de mottes sèches et d’un peu de terreau que je lui verse comme une eau bénite, sans absolution.
Du plus profond de mes entrailles, rien ne me sera pardonné, non. La tête basse, j’avale mon dépit, je cours chercher une petite résurrection d’âme à l’intérieur de la maison, au frais, et je m’agite pour oublier.
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