29 juil. 2020

Et d'une fait l'autre



Une voix à la Barbara Carlotti

Une force

Merci





Il y a ici une seule personne qui passe et lit et me le dit.
Au fil des années, on se dit, qu'un.e seul.e peut faire la différence sur tout, que le nombre ne justifie plus rien, que l'absence de rimes, le silence des confrontations n'est qu'un mirage et qu'une personne suffit à faire un sens.
C'est ainsi la vie.
Que plusieurs on peut vivre, que beaucoup on peut taire, que rejeter on peut, que tant de choses on sait faire, on savait faire et puis le temps joue en un précipité des fondements. Impétueusement. On a une tête bien trop montée au galop, à force de regarder loin, on ne sait plus compter et prendre.

Ce que l'un fait des autres, ce qu'une suffit, ce que tour à tour on aimera vivre.



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24 juil. 2020

Collages

Coup de coeur dans un article de Pratiques des Arts
Pour cette artiste et les collages présentés.

On peut cliquer sur les photos pour mieux voir.




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Tandis que j'ai finalisé l'oiseau que j'enverrai à l'ami en peine.
Perdre sa moitié, c'est perdre un bras, une jambe, une moitié de coeur.
Puis passé l'hécatombe, l'aimé revit à nos côtés, chaque jour, il faut trouver les mots, une paix pour l'accueillir, fort et invisible, se fondre dans l'unité.
  Ce n'est pas toujours aisé.
L'absence est éternelle.


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Sur la table de travail, aussi...





Merci à toi qui passe et pose un regard.

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Des diamants purs


Chaque jour avant 8h il existe des diamants purs de quelques minutes.
Ils sont glissés entre de la médiocrité radiophonique quotidienne, des informations plates et racoleuses, et percent alors tout, m'emportent comme des fusées. 
Diamants précieux et trop courts ils éclatent à mes oreilles puis s'incrustent dans mes neurones et mes sensibilités avec d'autant plus de bravoure, d'évidence, une puissante brute.

Un travail exceptionnel de la part de S.Tesson et du producteur complice.
Des phrases percutantes, enflammées, des frappes chirurgicales, denses, sans appel.
Tout est extraordinaire à mes oreilles.

Quelques minutes de cette beauté et l'heure sonne, il est huit heures et le journal des informations revient, plat et sans sens, car on est déjà parti, on est loin, à la fois rêverie, souffrances, passion, errances d'un être double et triple qu'était Rimbaud, perdu d'avance, droit dans le mur, la plume sublime acharnée, totalement à contre temps de son époque.
Perdu d'avance, plus rien à perdre sauf une vie à arracher, vite.


https://www.franceinter.fr/emissions/un-ete-avec-rimbaud


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22 juil. 2020

L'ange

Je sors du boulot
Là haut Oh sur la colline légère
La vue est romantique puissante féérique
Je laisse les fillettes heureuses, de moi, de nous

Je mets la radio
Parfois je ne la mets pas
La première année tous les soirs

Je mets la radio sur un soir d'été hier soir
Lui lui lui
La perfection entre les mots et la musique
Je roule dans les virages
Lui lui lui
Entre chaque fois directement comme chez lui
Et je ne suis plus seule

Et je chante chante chante
Comme chez lui comme chez moi
Comme chez nous

Plongée dans la félicité
L'oubli de tout ce qui fâche et assombrit
Sur un nuage
Dans ma voiture je chante
Avec Lui, lui, lui


Eicher Stephan, l'ange dans ma vie.





19 juil. 2020

Encres et autres



En ce moment sur la table basse du salon, atelier-nomade de l'été, mon bureau plein sud étant impraticable...


Des oiseaux d'inspiration Violaine Fayolle






Et une peinture qui partira en Asie, consoler l'ami esseulé


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18 juil. 2020

Le furtif




C'est un furtif


Un furtif est un être magique, inventé par le cerveau en ébullition d'Alain Damasio dans son dernier livre Les Furtifs

Un livre-test. Tu craques avant la quarantième page ou avant la centième
Ou tu es pris.
Cuit.
Rares sont les livres qui me prennent et m'emmènent ainsi

Je crois que cela tient à l'amour des personnages.
Tout comme dans les séries, les feuilletons d'autrefois. Si quelque chose se passe entre eux et moi, je suis prête à tout, je veux savoir et continuer avec eux.

Un furtif est un être hybride.
Il se forme, se retransforme, se greffe à ce qu'il cotoie : animal, humain, objet, matières, sons, sensations, fibres, air, voix, chair et os, mélangeant en lui, pour se recréer sans cesse et se protéger, le vivant et le non vivant. Il prend une forme-mosaïque de tout cela, une forme qui peut changer en un dixième de seconde.
Quand il meurt, quand par malheur un humain arrive à le regarder, le voir, ce qui est un exploit, alors il se désintègre et se fige en une statue, tout en lançant au mur un genre de graff hiéroglyphe.

On apprendra, à la fin, que ce signe cabalistique que personne ne décrypte, contient en fait l'immortalité, parfois.

Dans le livre Les Furtifs, un père et une mère ont perdu leur fille.
Elle s'est transformée, mi humaine, mi furtif, elle est la première de ce genre.
Dans un monde proche du nôtre mais totalement engagé dans l'intelligence artificielle dominant la vie des humains, qui sont des produits, des clients, des soumis se pensant heureux, bien protégés, chacun sa caste.

Bien sûr certains cherchent à vivre autrement, se rebeller, contourner la domination permanente des merveilleux outils que l'humain a créé pour une vie plus sûre, bien cadrée et pleine d'atouts pratiques, une vie plongée dans le virtuel dès l'enfance. Inconcevable sans les technologies avancées.







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15 juil. 2020

l'émotion du jour


La journée se passe. Plutôt des choses agréables sans qu'on s'y attende forcément.
Une voix au bout d'un fil
Une réponse par mail d'un lointain ami-collègue qu'on n'a pourtant pas vu depuis 1990 et qu'on ne reverra plus. Mais qui donne son adresse pour que j'envoie un courrier. La solitude s'installe avec son deuil, il faut vivre nouveau.
Une promesse de se revoir dans le téléphone d'une chérie
De la nage en eau claire sous un ciel gris paisible
Retour à la maison dans des ressentis nus et vrais.
Lavée, sans doute. D'un peu partout, dans les coins.

Une musique à trouver pour l'ami qui saigne.

Et dans l'avalanche de beautés sur le net, celle ci.
Me bloque et me cueille crue. Pleurs. Etreinte.

Nick cave, qui a vu sa vie tranchée net il y a quelques années, avec la mort de son jeune fils tombé d'une falaise anglaise.

Ici une chanson antérieure à ce drame. Mais si poignante et forte.
M'a retournée.



Elle se jette elle s'est jetée, dans le vide que la vie peut faire, du haut de tout, elle a eu peur et ne regrette rien.
Elle n'a pas de maison, de lieu à elle, elle tend la main pour qu'on la prenne, pour qu'on l'accueille, pour voir où elle se situe. Où se situer sans une clé à soi, sans un lit qui vous attend. Libre comme un feu, esclave de ce qui la constitue, elle s'est jetée et continue de poser des questions à chaque pas qui la mène.
Quand nous ne serons plus, que restera-t-il de nous hormis les êtres qui nous ont donné, les êtres devant lesquels on se sera arrêté, l'ancre qu'on aura jetée. Levée et reprise, lâchée et reconquérir toujours. Une vie de fatigue en amour.
Elle se jette encore, marche d'un pas sûr, ses idéaux en bannière, lever la vie au dessus. Se casser la gueule.
Casse la gueule la vie, casse la vie, repart, dans l'azur. Chemins sans cesse, elle s'y cherche et se jette. Jamais ne trouve le sol suffisant, se fie à ses sensations internes. Se brûle, revient quand même. Erre comme une fleur des champs.
L'aimer comme telle, ne pas avoir peur pour elle. La voir tellement grandie maintenant.

14 juil. 2020

Laisser couler

Les baies de sureau pendent et croulent sur le balcon. Je ne sais pas si les oiseaux viendront les prendre, il me semble qu'ils raffolent plus de celles du cornu. Le cornu a des fleurs qui puent et des baies noires et bonnes.

Quel jour sommes nous ? Mardi, pas jeudi, non. Je crois que je me suis promenée samedi, oui, afin d'oublier un réveil agressif, mon voisin ayant autorisé des travaux sur son toit dès 6h du matin. Nous avons bondi dehors pour lui demander ce qui se passait. Tout à ce chantier auquel il participait, il n'avait plus notion de l'agression qu'il imposait, de l'interdit que l'entreprise bravait sans vergogne. Il n'arrivait pas à s'excuser ni à me donner raison quand je lui disais qu'un mot dans la boîte aux lettres eut été la moindre des choses.
On a été chiffonnés toute la journée. Le lendemain on est revenus les voir, on s'est expliqués, il a dit que sa femme lui avait demandé de nous prévenir et qu'il avait oublié. Ils sont calmes, discrets, leurs chiens de chasse adorables n'ennuient personne et viennent se faire papouiller au travers de leur portail. Pour le reste, rien à attendre de plus, mais c'est déjà mieux que rien. 
Donc, avant ce lendemain où on fumât le calumet de la paix, le jour des maudits travaux je suis partie marcher.

J'ai commencé ma marche, dans les environs de la maison, d'une manière vive, avec bâtons de marche. Et dès la première mini montée je me suis entendue souffler, grogner et ne trouver aucune consolation. Pourquoi ne marcherais-tu pas lentement, en balade, mollement et doucement ? Ben oui, pourquoi ? Me voilà donc lente et disposée à embrasser le temps, à ne pas aller loin, à profiter de chaque pas et de l'air qui passe. Il ne fait pas trop chaud, on est bien.

Je passe devant le camping. Un petit camping auto-géré, près de chez nous. Face au pré de la jument que je connais depuis neuf ans maintenant. Et qui m'a acceptée. Elle n'aime que les femmes et peu les humains, on dirait. Mais entre nous cela s'est construit. J'avais un peu parlé avec sa maîtresse, toute jeune femme à l'époque, qui avait amené un cheval à la belle Nymphéa, ils se sont plu mais aucun poulain n'est venu. 
Nymphéa est bien brossée, bien aimée. Elle a sa cabane où elle se cache. Quand elle entend ma voix, elle sort. Je connais mal les chevaux et en ai peur. Cela date d'une activité obligatoire en collège, plusieurs séances de groupe avec la prof de sports, dans un manège local. J'étais pétrifiée. Heureusement une amie qui faisait du cheval a pu m'aider, me rassurer, bien mieux que les moniteurs du manège. J'avais détesté cela et trouvé les chevaux très très hauts. Un calvaire. J'avais tout le temps envie de pleurer.
Nymphéa la sauvage m'a réconciliée. On se comprend. Son pré est plein de petits lapins. Quand je passe, ils sont deux devant la cabane, totalement immobiles. Je m'arrête. Ils me font rire, on dirait des statues. La jument, elle, reste cachée. Il faut dire que le camping est de l'autre côté du chemin et que, comme moi, elle n'aime pas l'été.
On s'est connues en hiver aussi, sous la neige épaisse. C'est là que nous sommes les plus heureuses.


Je continue mon chemin, observe le petit camping sympa. Plein de places encore. Je tourne là où le chemin goudronné monte un peu et devient chemin de terre pierreux. Je salue les campeurs. Les grands-parents dans leur camping-car et les adolescents près d'eux qui montent des tentes sous les arbres. Il y a une jolie petite piscine vide. L'atmosphère est bon enfant. 

Au bord du chemin, des arbres, des arbustes et ce prunier que j'avais oublié. Ses longues branches molles ploient sous les petites prunes de couleurs rouges et bordeaux. Je les touche, leur parle, leur souris. Ce petit arbre sauvage, libre, pas encore tué par des humains, est émouvant. Un peu plus loin règne un noyer, le sol est jonché de noix en automne, souvent déjà toutes ramassées, parfois j'en chipe un peu dans mon sac. Il est bon de chiper des noix. 

Le prunier est empli de feuilles jeunes et très vertes, et couvert de fruits très beaux. Je passe mon chemin puis je m'arrête. En fait ai-je, là, vraiment envie et besoin de marcher pour me réconcilier et me consoler ? J'aime m'arrêter quand je marche, j'aimerais un banc tous les 500 mètres pour ne plus bouger, ne faire aucun bruit et écouter, regarder. Devant moi un beau champ qui ondule et au loin le Vercors de pierres et de falaises, mon éléphant gigantesque mais proche, humain. 

Le petit prunier est maintenant en contrebas, je le vois. Je vois ses branches vertes, sa grâce, sa fragilité. Mon coeur est serré, je me sens repartir en arrière, il y a des années, quand petite j'allais dans les vergers et les jardins corses avec ma mère. Les odeurs chaudes, envahissantes, des fruits ultra mûrs, éclatés de soleil. Les fruits sur le marché, tout frais, les odeurs des herbes fraîches avec lesquelles on cuisine. Je revois un autre prunier, avec un amie du Béarn, chez elle. Des reines-claudes à profusion. Je pense à ces souvenirs comme à un paradis perdu. Je ne sais pourquoi cela serait-il perdu, je ne sais pas où j'ai laissé une clé. A quel moment ai-je laissé tombé quelque chose. Pourquoi ne puis-je plus aller sur des terres d'enfance et familiales ? Y-a-t-il une rupture qui s'est faite, que j'ai faite, et dois-je revenir vers mes pas ? Je pense à ma nièce, évoquant la Corse,  qui me disait vouloir 
"y retourner...". Y retourner ? Le coeur ouvert. Sans creuser, faire fleurir les tombes, accueillir la beauté, retrouver les perdus, remettre dans la besace le bon à l'endroit. Faire simple, laisser couler ?

Immobile presque je pleure. Déverrouillant des portes, un nuage en sort, sous mes pieds.

Je repars d'où je viens, un peu plus lentement, souriant aux mêmes endroits, aux mêmes choses peut être. Je croise une jeune fille avec un beau chien blanc, jeune. Il s'approche de la clôture de la jument, et pousse un jappement de douleur et s'en écarte d'un saut brusque. Il vient de découvrir l'électricité. Sa maîtresse le cajole. Je leur parle. A deux pas, un autre chien, une chienne, une merveille, une racée je pense, haute, élégante, toute poilue couleur chevreuil avec du blanc, d'une douceur de comportement rare, en totale confiance, elle s'accorde naturellement à son maître. Une osmose. Nous nous parlons. Ils sont très beaux.

 Je ne sais rien de plus sur le chemin de retour. J'y revois une femme assise dans son jardin, qui enlève des petites herbes dans son allée de gravier, brin après brin, qu'elle dépose dans un seau. Elle est assise au sol, comme en méditation active, d'épais cheveux bruns, une jupe ajustée sur ses genoux relevés, un chemisier blanc. Elle ne chante pas mais je l'entends presque chantonner dans sa tête une berceuse pour les cailloux, pour les petites herbes et les minuscules gravillons qu'elle remue délicatement, comme des perles précieuses, des ailes de papillon. J'aimerais être invisible et sur ce banc qui n'est pas, en face de son jardin, je la regarderais, ses gestes apaisants,  son silence enrobé d'un espoir, certain, qui ne demande rien.

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10 juil. 2020

And Now, Where to begin


Aujourd'hui, au Nord Est de la Thaïlande, Thussanee sera crémationée et accompagnée dans un temple.
Comme il se doit.
On l'appelait Tik, aussi, car tous les thaïs, comme beaucoup d'américains, ont des surnoms. Pourtant leurs noms sont beaux. Son mari est Theerawong, fan de musique. Je lui ai envoyé la chanson ci-dessous, de mon artiste préféré ou presque. De ces compositeurs chanteurs qu'on écoute un jour pour la première fois et dont on se souvient pour la vie.
Je ne sais pas si j'ai sa bonne adresse mail, mais il fallait que j'envoie quelque chose. Des phrases en mauvais anglais, et une musique, lui qui ne peut vivre sans.
Theerawong est un thaï à part, il a adoré travailler avec des étrangers. Tout de suite. Il était très cultivé, plus que la moyenne. Ouvert, sans préjugés qui ne puissent bouger. Ils furent quelques uns, dans le camp de réfugiés où je travaillais, quelques uns exceptionnels qui nous ont beaucoup appris.
Il fut moine, enfant et jeune homme, comme beaucoup de boudhistes, qui passent quelques années au temple, une éducation, une spiritualité, une culture, une discipline.
J'aurais pu tomber amoureuse de lui si je n'avais déjà eu deux amours sur place. Un bienaimé avec lequel j'étais arrivée, un autre qui ne m'attendait pas et était là, bien installé, maintenant mon mari, pour la vie.

Tik est venue travailler dans notre ONG, je me souviens de son arrivée. Je l'ai moins connue, car elle était un peu intimidée au début, discrète et observatrice. Très professionnelle et intelligente. Je sais où elle habitait, en colocation avec ses collègues thaïs et, doucement, calmement, comme elle était, elle séduisit Theerawong, le fougueux, l'incertain, le brillant. Il lui fallait sans doute une femme qui l'accepte, le soutienne, l'apaise, dotée d'un cerveau bien rempli, une vraie associée et une constance.
Le cancer a mangé cette Constance en une année, le cancer aime les jeunesses, elle avait la cinquantaine et deux beaux enfants, de jeunes adultes que je ne connais pas mais qui sont, je suis sûre,  ouverts comme leurs parents, aux idées, aux cultures, aux doutes, à la passion quand elle vous prend. Ils ont eu le calme et la force stable avec leur mère et  la fougue batailleuse avec leur père conquistador et rêveur hypersensible.

C'est le soir là bas, tandis que ce matin j'écris. Hier, un ami -français- commun nous a tous envoyé un mail, un appel, une souffrance face à la mort et la distance. Nous ne serons pas au temple demain, pourtant j'aurais aimé, j'aurais souhaité, sans que personne ne me voit, même, y être. J'ai croisé chaque semaine, en vivant en Thaïlande, des cortèges de funérailles, des temples emplis, des fumées d'adieux. Les temples boudhistes sont des merveilles. Je ne suis jamais retournée en Thaïlande, contrairement à cet ami commun qui visitait ce couple, Tik et Thee..., régulièrement, chez eux. Leurs enfants se connaissent aussi.

Si un jour on me donne une baguette magique, jugeant que je la mérite, je la ferais me transporter en quelques secondes loin, là où tous les j'aime, j'aimais, je t'aimerai.

Hier, le soir, j'envoyais quelques mots là bas pour ce mari qui a perdu sa Constance, son pilier, lui qui continue de douter, de vivre de jobs hasardeux peut être et qui a beaucoup changé physiquement, beaucoup grossi, son visage autrefois émacié et princier, est fondu dans un nouveau visage, qui dit ses errances, ses fatigues, ses vies. Il adore littéralement les chats, blancs surtout. Un autre signe très occidental qu'il partage. Nourrir un chat et le choyer dans une maison, cela ne se faisait pas dans les années 90. Je me demande si, en nous voyant gagatiser avec des chatons, Theerawong n'a pas découvert qu'il pouvait se laisser aller à ses impulsions. "Ah..ces français sont vraiment bizarres mais j'aime ça."

Ni lui ni sa femme ne sont venus en Europe. Il faut beaucoup d'argent. Moi, je ne pense pas retourner en Thaïlande sauf avec des cendres à déposer dans le Mékong, les tiennes mon chéri, je t'ai promis. Mais si tu changes d'avis et préfères l'Océan de ton enfance, je dis oui merci. J'ai parfois du mal à repenser à tout ce que j'ai vécu en Asie du Sud-Est. C'est soit le chagrin, soit la nostalgie, la nostalgie de la culture, des modes de vies, des parfums, des tissus, des fleuves, de la cuisine, des langues étrangères, et surtout du boudhisme et des temples. Rencontrer pour la première fois un temple, in situ, change la vie. Un temple et ses habitants car les temples ne sont pas comme nos églises, glaciales à tout point de vue pour moi, ce sont des lieux d'éducation, d'instruction, de vies, avec leurs logements annexes. Ils sont remplis d'enfants et d'hommes en habits oranges et aux crânes rasés. On dépose ses chaussures en entrant, comme dans tout habitat, et on est le bienvenu, c'est ouvert, à ciel ouvert, portes et fenêtres. Habité, d'encens, de fleurs, de sculptures, de bois et de prières. Quand on ressort à la lumière, dehors, on ne sait plus qui l'on est, comment on vit et ce qu'on deviendra. Car tout est changé, invisible mais dense.


Tous les anciens amis et collègues thaïs sont de fervents boudhistes. Certains étaient au temple à 5h30 avant de prendre le travail. Le boudhisme est une spiritualité, une guidance de l'âme, quotidienne, une pratique de vie, comme on se lave ou mange. On prie, on médite, on se concentre, on se rend au temple pour penser, pour se détendre et se recentrer, on amène parfois de l'encens, des fruits pour Bouddha, qu'on dépose au pied de sa statue. Lui qui toujours placide affiche un large sourire qui vous berce d'emblée et vous oblige à faire bouger la noirceur.







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4 juil. 2020

On frappe à la maison

Curieuse après-midi.
Deux personnes ont frappé à ma porte

D'abord le grelot, la cloche, tiens c'est bien, quelqu'un qui voit qu'il faut remuer les gling gling, car il n'y a pas de sonnette.
Je viens, je crie "J'arrive" car je suis à l'étage.
Derrière le portail bleu en bois, un homme. Plutôt épais, en t-shirt et bermuda, plutôt sous le soleil, cheveux très courts, visage rond. On lit immédiatement que cette personne est dans le besoin, va demander quelque chose.
Il dit qu'il vendait des chaussettes sur le marché et ne travaille plus depuis le confinement.
Il a dans sa main un document replié, dans sa main pliée, une main trapue, courte et épaisse. Contre le document on voit sa carte d'identité. Il tient cela de la main droite.
Il me dit qu'il essaie de s'en sortir en vendant quelques produits, des savons dans une boîte en carton, et des flacons de savon liquide " de Marseille".

Il me dit que "les dames" du quartier ont bien aimé ce produit en flacon.
Il dit qu'il propose 20 euros, mais que c'est selon le bon coeur des gens. Bref, il fait l'aumône moderne, avec un échange de produits.
Il parle plusieurs fois, les mêmes phrases, et me regarde avec un air de chien battu suppliant.
Assez vite je l'interromps, je lui dis "Merci, mais je ne vais pas vous acheter quelque chose". Auparavant j'ai beaucoup souri et encouragé de mes yeux, sa quête, son désarroi, sa démarche plaintive.
Mais je suis désolée monsieur. Non cela je ne lui dis pas.
Dès que je lui dis "Je ne vais pas..." son regard change, il voudrait presque me culpabiliser, il prend un air penaud et déçu, très déçu.
Je suis totalement insensible à cela.
On se dit au revoir, il n'insiste pas, je lui souhaite bonne chance.

Je rentre chez moi. Je me parle à moi -même " Oui ben toi, comme tu as vachement bossé avec les gens en détresse et dans l'aide sociale, tu es de fer, tu te méfies, pour montrer patte blanche il en faut des tonnes". Et je n'ai pas 20 euros à donner pour faire plaisir à quelqu'un dont je ne connais rien. Ta carte d'identité dans ta main, bien exposée, crois-tu que ce soit un gage de quoi que ce soit ?
Le baratin c'est une chose, la réalité en est une autre. Je n'ai aucune confiance, à priori, en l'être humain.
Je ne sais rien de toi, je ne sais pas comment tu étais rétribué avant le confinement, je ne sais pas comment Pôle emploi s'occupe de toi, je ne sais pas où tu vis, avec qui, et quelles activités tu as pour t'acheter à manger. Je suis une peau de vache, tu es mal tombé, je n'ai aucune conscience catho-la charité. Il me faut un dossier de plusieurs pages, avec ton budget dessus et tout sur ta situation logistique et financière pour que je puisse ne serait-ce que penser à aller vers toi.
Ce fut mon travail, de consulter des dossiers d'aides, et j'ai appris à m'endurcir et à freiner tout élan.
Tu es mal tombé.
Je ne suis pas "Les dames, elles ont bien aimé..."
Fuck.


Les heurs passent.
Entre temps j'ai foiré ma remise à jour des joints de la douche. Fuck, la super colle à carrelage que j'ai acheté hier est...GRISE.
Oh Noon. C'est du blanc qu'il me faut.
Donc j'ai bidouillé. Je n'ai pas réalisé une chose belle, propre et blanche.
Mais c'est hermétique. Etanche, je veux dire
Ouais, étanche comme moi avec le bonhomme aux savons.

Je suis sur l'ordinateur quand j'entends à nouveau frapper, puis une voix "Laure !"
Je remonte la fermeture éclair de mon short et je vois une copine.
Partie en coup de tête de chez elle, a marché en plein soleil, sans eau.
Demande asile et boisson.
Pas de problème.
Du coup on papote.
Elle s'hydrate puis repart.

Marcher en plein soleil l'après-midi, sans eau. Voilà bien quelque chose que tu ne me verras jamais faire. Déjà chaleur + moi, oublie, ou ajoute "maison fraîche" " bien chez soi" " je ne bouge pas".
C'est comme ça.

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