31 mai 2012

L'inéluctable

La Miche, notre Pascaline, a retrouvé ses dix huit ans.
Elle en a perdu quarante-quatre d'un coup, en faisant sa valise. C'est arrivé sans qu'elle le voie. 
Elle a sortie sa valise verte, à roulettes, la toute molle que Dédé lui avait donnée il y a dix ans à Noël, un truc d'occaze dont ils pourraient avoir besoin pour le Marché de St Julien en Chaux, le grand marché annuel des fromages du Parc. Une festoierie qui durait deux jours, Dédé l'hébergeait chez un de ses frères et au fond, elle râlait, mais on rigolait bien.

Cette fois la valise est différente au dedans. Bien qu'elle ne sache quoi y mettre...
Où va-t-elle ?
D'abord elle va chez Mathias, son neveu. Il tient la boulangerie au Pont-du-jour, à cinquante kilomètres de la mer. Ensuite elle ira au cabanon de la tante de Pagure, Baie de Lys, juste à la frontière, perchée au dessus d'une crique verte comme le cristal sous l'eau, bleue comme tout le ciel au dessus, chaque jour que Dieu fait.
De là, par on ne sait quel miracle, elle doit trouver le sésame qui devrait lui faire faire un tour de Terre en l'air pour retrouver celui là, celui là même dont les pensées envolées et rapatriées illico dans sa valise lui ont redonnées dix huit ans, valise en main, coeur en maraude. Elle a de nouveau une main dans sa main.

Alors la valise ? Ben, la valise elle y a posé l'essentiel. De la confiture pour Mathias, des fromages pour sa femme qui est bien gentille, et de quoi survivre correctement vêtue en toutes saisons : un pull, un chemisier, chaussettes et sandales, godillots aux pieds, chapeau en tête, petite lingerie de coton taille toutes tailles, et zou ! En voiture !

Comme il est beau le paysage, elle n'était pas allée aussi loin depuis plus de vingt ans. Même un peu plus si on y pense. Quel âge il a ce boulanger chéri ? Trente-cinq ? Trente sept ? Zut, elle perdait les chiffres..

Toute la journée en bus, un puis deux, puis c'est Mathias qui passe la prendre à la gare routière de la petite ville et l'amène au village par des cordeaux de lacets qui surplombent les gorges de la Gragne. Verte aussi celle ci mais glacée.

Le soir, au coin du feu, après le dîner, il faut bien qu'elle lui raconte ce qui l'amène en cette escale et comment sa vie a changé. De l'ami Pagure, lui seul avait le secret en partage. Il est celui qui sait, c'est un drôle de petit homme qu'elle a là dans sa vie La Miche.

 Sa femme, Blandine, est partie au lit, elle attend leur premier enfant et Pascaline en est toute émue. Sa mère à lui est morte alors qu'il était presque bébé encore, un drame, cet accident de voiture, son père ne s'en est jamais remis. Il a tenu bon pour le petit, puis l'a mis en pension au collège et est parti à Paris où aucun souvenir ne l'attendrait. Pas comme ici. Il y a six ans, le vieux père devenu si lointain, est mort, seul dans un foyer de banlieue. Et le Mathias a continué de faire vivre la boulangerie en héritage.

D'être bientôt père, le voilà qui s'installe un peu plus près de sa tante et qui la questionne en ressortant des photos. De sa mère, il a celles que La Miche lui avait données. Celles de leur enfance, des collines, des réunions sous le tilleul, des parties de pétanque au village. Dans un coin on voit son père, là, tout bézot, collé avec d'autres enfants sur un banc sirotant un jus qui poisse au doigt le long du verre. Il aimerait savoir, il n'a jamais su, comment tout ce monde est devenu grand, comme lui a été conçu finalement. Sous les tilleuls ? Dans les collines ? Sa mère a été au sanatorium, mais quand ? Ils partaient souvent en vacances ensemble tous ces adolescents devenus adultes. C'était comment ? C'était comment avant que tout s'effondre, avant que Pascal ne meure en Afrique, avant que Le grand Pierrot parte vivre en Australie ( on avait sorti une carte pour situer ce pays !), avant l'accident, avant ...?

On n'est plus sûr de rien quand la soirée s'allonge et qu'elle le voit un peu tremblant, complètement incertain, toutes ces photos dans les mains qui ne lui disent pas ce qu'il voudrait entendre. 

Alors elle lui dit. Il y a des choses qui doivent sortir de la boite. On ne sait pas quand. Cette part d'inéluctable à laquelle tout se relie. La dissimilation a assez duré sans doute, ce soir, tout les assemble et au lieu de tenter de les séparer encore, elle et lui, comme ils l'ont tous fait, comme il fallait le faire; elle lui dit.

Elle lui dit qu'elle l'a porté dans son ventre car elle et sa soeur aimaient le même homme : son père. Elle lui dit qu'elle l'a caché la première année. Un jour, celle qu'il croit être sa mère, l'a su, elles se sont fâchées et le soir de l'accident sa mère en pleurs a pris la voiture et n'est jamais revenue vivante. Elle lui dit qu'elle a voulu mourir mais d'abord elle a confié l'enfant au père et ensuite est partie, très longtemps, sans jamais se retourner. A changé de visage, de nom, d'allure, de pays et de métier. Et c'était peut être mieux que mourir ou peut être pire, aujourd'hui elle ne savait.
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26 mai 2012

La chaleur

La chaleur comme elle est étrange. Celle là est venue la nuit. la chambre devenue ouatée et tiède, la fenêtre, puis la deuxième qu'on ouvre à quatre heures le matin puis on est assourdi par le chant du merle qui est entré dans la pièce et nettoie tout de ce qui existait hier.

 La chaleur comme c'est étrange n'est jamais ici pudique et discrète. Elle tranche comme une tranche de pastèque suintante de ses gouttes que tu portes à tes lèvres. La chaleur est brute, elle endosse sur tes épaules tout le deuil de l'hiver d'un coup et voilà, je rentre dedans parce qu'il "fait trop chaud dehors". Je suis toujours surprise de cela mais il y a un moment, en début d'après-midi où c'est un plomb à tes chevilles, un corset aux poumons. Il faut rentrer dedans. Ou alors c'est eau qu'il faut. Il faut s'y perdre, flotter, éclabousser, mouiller, le corps a soif sans arrêts.

La chaleur comme c'est bizarre peut se dissoudre dans les nuages en une fin d'après-midi. Hier.

 Les nuages étaient des hommes, certains en manteau de laine blanche épaisse dans le creux de la gorge là. D'autres venus de l'Ouest, étaient tambours rugissants avec des glaçons, ils tintaient la fin d'un été d'un jour.

Ils gris, à l'horizontale étirés.
Ils beaux, avançaient en ligne droite vers la montagne en plein devant eux.
Au dessus de cette montagne, il bleu. Un bleu pervenche velouté. Il montait.
Il prenait forme comme un champignon, une tour évasée, une tulipe en calice, un éventail mousseux. Au milieu, à un moment, se rencontrent. Le mousseux bleu, les gris transversaux d'Ouest en Est, ligne de pré orage, les blancs enfantins en paquets depuis le sol.
 Ils ont formé un genre de nounours avec des yeux humains et le temps que je pense à l'appareil photo, bien sûr, le nounours n'avait plus rien d'humain.

Plus tard j'ai quand même pris le ciel dans les yeux et gardé.



L'air si chaud s'est rempli d'un courant d'air dont le glacé parcourt le corps lourd et chauffé cru. On sentait les morceaux de courant d'air, comme des pointes acérées et rapides, des messagères de l'orage. On a attendu l'orage mais il était occupé dans une autre vallée en concert en bariton, ton ton. Il grondait dans les replis des roches, il avait traversé la plaine, il grognait dans les basses, roulait, sans agressivité, j'ai trouvé.

Il a attendu le dîner pour nous faire l'honneur d'une visite qui s'est allongée tard. Noire. Les gouttes étaient lourdes et musicales, sur le toit, sur les gouttières, les chapeaux des cheminées, elles floquaient, une par une, avec un soin particulier. Il pleuvait l'orage, plus qu'il ne grondait. Il lançait des billes d'eau sur nous.

C'est toujours bon pour le jardin, ai-je pensé, surtout pour ces maudites fourmis qui me bouffent toutes les pousses de haricots verts ! Qu'elles aillent un peu se mettre à l'abri et laissent à manger pour tout le monde !
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Ma maison est bâtie sur une fourmilière géante, je ne vais donc pas lutter, je ne suis pas de taille. Mais....



16 mai 2012

Du jour

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Collage du jour. Tiens celui là je me le garde, pour voir. Cela m'en fera deux, les autres partent pour la Poste, d'habitude.

Je vous ai parlé de l'association locale d'artistes que j'ai rencontrée. L'assos, en fait, c'est deux personnes, principalement. L'une d'elle fait des petits tableaux à base de collages, en relief, énormément travaillés dans une veine onirique très originale.

La prochaine fois je prends en photos leurs ateliers. Patience...

Pour l'heure c'est l'automne ici et le poêle ronronne. Le vent met sa touche froide dehors et moi je reste dedans. Je viens de me gaver de tarte aux pommes en écoutant la radio qui ne m'a rien dit de beau alors j'ai coupé.

Patience, dit le printemps qui n'existe plus maintenant.
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8 mai 2012

La vie rose est elle verte ?

Un nouveau coin atelier ( ?) sur la terrasse couverte. Une planche et deux tréteaux.

De quoi coller et créer des cartes à envoyer.



Bien agréable en ce moment d'être dehors couvert. Ce n'est pas qu'il fasse très froid mais les seins nous glacent de temps en temps, Saintes pluies de mai, petites et grandes, cette année on mouille.

 Le jardinet est une jungle qui prend 15 cms de haut par semaine. Parfois je tonds à la main, je coupe, je défriche au poignet. Parfois je laisse. Les fleurs sauvages font plus d'un 1m, et même un mètre cinquante ! . C'est beau.


Les lumières sont superbes. La semaine dernière d'Est en Ouest, au même instant, on avait l'orage et le beau temps en un coup d'oeil. A droite, Est, le vercors et l'orage, à gauche l'ouest vers la plaine de la vallée du Rhône. Deux mondes à vingt kilomètres de distance.

Les vases se remplissent. Les fraises murissent.

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Les chardonnerets ont abandonné la construction de leur nid sous mes fenêtres, hélas. Ils ont laissé leur oeuvre en cours, un joyau d'orfèvre, au bout d'une branche, caché sous un plumage éthéré, de feuilles fraîches et vertes. Ils avaient cousu brin à brin, un travail de fourmi, précieux et divin. Une féerie sous mon regard. Partis. Changé de cap sans laisser d'adresse. Je n'entends plus leurs signaux, leurs chants, quand Lui guettait pour Elle, posé sur le fil électrique au dessus de l'arbre,  et Elle pour Lui.