15 août 2022

Tu verras

 

 
Tu vas voir quand il va pleuvoir
Peut être demain peut être plus tard
Tu vas voir
 
A un point que tu ne pouvais imaginer
Dans ton corps, dans ton esprit, dans ta vie
Dans le jardin c'est là que tu seras le plus ébahie
Les plus mal en point se relèvent
Les dernières feuilles vertes dans un arbre en automne dépeuplé,
Tiennent tête, pointent le nez, ne mourront plus pour rien
 
Tu vas voir quand la pluie va venir
Les tiges et feuilles des petits soleils que tu croyais condamnés
Pimpants reprennent le cours du temps, 
Semblent prêts à fleurir, même si c'est trop tard
L'illusion est parfaite
Qu'est ce qui est trop tard ?
 
Qui ne veut pas monter aveuglément dans un train qui promettrait
Encore un peu d'espoir, de santé, de renouveau, de folies ?
 
Le problème avec la vie, c'est qu'on veut vivre
Me suis-je dit ce matin.
 
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10 août 2022

Cathy

 Je travaillais dans un centre maternel à Paris. J'ai beaucoup aimé ce lieu nouveau, très pluridisciplinaire. J'avais presque vingt-cinq ans.

Des femmes de tous âges, mais plutôt de milieux difficiles, d'enfances pas simples, y étaient hébergées avec leurs enfants. Des jeunes mères encore adolescentes, des anciennes prostituées, des femmes plus âgées fortes de leurs doubles et triples vies, je ne peux me souvenir de toutes, de toutes leurs histoires.

Certaines m'ont marquées, j'ai gardé leur visage. Cette toute fine toute jeune et son tout petit enfant maigre, comme un fil sur l'eau, un pont tentant de rejoindre sa mère sur sa rive. Très vif, à cran, face à cette libellule de mère qui vivait en se brûlant les ailes, impulsive. Un jour là, l'autre pas. Jouant avec la vie, jouant avec le petit, l'aimant tête par dessus bord. Je me souviens d'eux devant l'ascenseur du Centre. il y avait plusieurs étages. Remplis de chambres pas très grandes, avec un mini coin cuisine et une salle de bains. Le très strict minimum. Pas un studio ni un appartement. Moins que cela. La mère joue à faire peur, elle joue le chaud et le froid, l'adoration et le rejet. Elle entre dans l'ascenseur, le petit veut la rejoindre, elle lui ferme la porte au nez. Puis c'est l'inverse elle le fait rentrer dans l'ascenseur et le bloque seul, restant devant la porte fermée. Elle rouvre la porte le petit en sanglots.

Nous étions une très grande équipe. L'équipe de la crèche du rez-de-chaussée, l'équipe socio-éducative composée des éducateurs spécialisés, des assistantes sociales. Des psychiatres, des psychologues, et des unités de pédopsychiatrie dans la rue en face. Des lieux où j'ai énormément découvert et appris auprès de psychanalystes en perpétuelles avancées, réflexions, doutes, humilité, mises en communs. Dans la crèche venaient des animatrices d'Enfance et Musique. C'était autant de la musicothérapie que de l'animation, initiation aux sons du Monde et de la nature. De l'accompagnement thérapeutique, en petits groupes. Les intervenants étaient prodigieux. J'ai souvenir d'une péruvienne. Une perle rare. J'étais moi aussi initiée et émerveillée au même titre que les enfants.

Parmi mes collègues directs s'est trouvée Catherine. Une grande femme qui avait mon âge ou un peu moins et qui finissait sa formation d'éducatrice spécialisée. Elle était en stage à la crèche. Ou bien elle y travaillait, je ne me souviens plus. Je ne sais plus si elle avait un contrat court ou, comme moi, à durée indéterminée. J'étais vraiment heureuse de travailler dans ce lieu qui me correspondait, m'ouvrant d'immenses perspectives. Cathy était à l'aise, pas coincée dans un rôle professionnel, elle avait une ouverture d'esprit et de la créativité, on s'entendait bien. Elle était dans une phase de vie où elle se cherchait et avait besoin de réfléchir sur ce qu'elle voulait devenir.

Un jour elle me dit "Je pars à Rome quatre jours, en congès". Elle prend le train. A cette époque, il se trouve que je suis allée à Rome quelques années auparavant. Un week end épique logée à La Casa delle donne grâce à une amie lesbienne qui vit là avec son amoureuse italienne. C'est une époque où je fréquente des femmes féministes et engagées, qui m'apprennent beaucoup. Je passe le week end avec une amie d'origine italienne qui a des bases solides dans cette langue. Trois jours dont je me rappellerais toute ma vie, un autre monde, une autre vie, chaque minute pleine comme un oeuf. Nous dormons au sol sur un matelas, sur le palier de la chambre de "nos amies" que nous entendons s'ébattre bruyamment toute la nuit. Mamamia. Donc, je me réjouis de voir Catherine, Cathy, se faire une escapade romaine, et je la trouve courageuse d'y aller seule, au pif.

Je la retrouve la semaine d'après. La voilà toute excitée, elle a fait un séjour hors norme, elle a beaucoup marché, les soirs aussi, sur les plaza animées. Elle est branchée art et culture, il y avait de quoi faire.  Sur une place elle rencontre un homme, beaucoup plus âgée qu'elle, ils se parlent, il est étrange, il lui parle d'elle, lui parle de son avenir. Hum. Trop facile. Un divin devin ? Mais voilà qu'ils se revoient, et que l'affaire devient sérieuse. Sérieuse ? Un italien ? Pas besoin de me faire un dessin...

L'affaire devient même intense. Cathy retourne une fois, puis deux. Les coeurs deviennent brûlants, la passion irrésistible. Cet homme fut garde du corps, il a plusieurs métiers, il a un grand appartement. Cathy vit un roman. Elle n'est pas sotte non plus, ce n'est pas le genre à écouter toutes les sirènes. Elle passe un week end sur deux à Roma. Il faut que le coeur soit net, il faut goûter les vagues, il faudra être sûre. La vague l'emporte, elle est radieuse, elle vit, elle aime, elle va partir. Elle apprend l'italien à grande vitesse, en accéléré, en réel, de toute son âme. Le corps est déjà là-bas, Cathy quitte tout. Je suis ravie, je la trouve épatante. Elle a des projets. Faire de la couture, peut être, pour une troupe de théâtre, elle peut aussi enseigner le français. Elle a de multiples talents. Coeur vaillant, elle vole et court. Elle me décrit sa vie italienne, l'homme, sa famille, les lieux, l'élan, la force, l'envie définitive. Un ouragan. Merveilleux. On se revoit plusieurs fois, je vais louer son appartement, c'est une aubaine pour moi. Elle m'écrira une lettre, je crois. Puis oiseau vole, avanti. Je garde son souvenir et cette chaleur vive, ce bonheur fou qui s'en fout. Moi aussi je partirai, déménagerai i tutti. Je ne sais pas qu'un jour je retournerai en Italie avec un homme dont cette langue est maternelle. I tutti. Venezia l'éternelle innamorata.

Je ne sais pas pourquoi je repense parfois à Cathy et à son extraordinaire fougue qui s'est vécue devant moi, semaines après semaines, à une vitesse dévorante. Je ne savais pas que je rencontrerai une autre Cathy, sur un banc d'étudiante, dix ans plus tard. Une grande belle femme aussi. Que je verrai partir au Cambodge, après moi, là où sa vie basculerait aussi.

Dans ce Centre maternel, j'ai vécu une des choses les plus rudes de ma vie professionnelle. J'ai conduit une petite fille de quatre ans dans une Maison pour enfants. Je ne devais pas le faire, la  directrice adjointe de la crèche devait prendre le RER avec la maman et sa fille, après une année de parcours entre elles trois, très dense, aidées par une unité pédopsychiatrique et toute l'équipe du Centre. Le placement de l'enfant avait finalement été opté par la mère et le personnel. Une maman qui avait la quarantaine, solide en apparence, rongée de l'intérieur, douce, malmenée par la vie, désemparée. Le jour J l'adjointe est malade. Je me retrouve chargée d'accompagner mère et enfant dans la Maison d'accueil à 40 mns de RER. La valise est prête. J'attends la mère qui ne viendra jamais. 

Seule avec l'enfant je me rends dans son nouveau lieu de vie. L'équipe sur place, formidable, est désemparée que rien ne se déroule comme prévu. La mère est injoignable, elle viendra finalement deux jours plus tard. On prend le temps, l'enfant avait déjà visité le lieu avec sa maman. On discute, l'accueil est très chaleureux et professionnel, doux, maternant. Je ne sais pas comment je fais ce que je fais. Le pire était déjà dans le RER avec l'enfant terrifiée et muette de ne pas voir sa maman. L'enfant restera muette. La valise est posée sur son lit. On goûte un peu. Personne n'a faim. Au bout d'une ou deux heures, je ne sais plus, le jour baisse. On décide que je vais partir. L'enfant éclate, hurle sa douleur. Les collègues assurent, ont de la bouteille, bien plus que moi, elles m'encouragent à ne pas me retourner. Je pars. 

Dans le RER du retour je n'existe plus. Je vais directement chez moi, il est tard. Mon corps s'est ouvert en deux d'une nouvelle façon. J'ai dû faire face. C'est comme cela que nous faisons. Brisures, éclats, morsures, métiers dans l'humain qu'on ramasse à la pelle. Le lendemain il fait encore jour. Il faut se reprendre, tenter de faire union.

Je ne sais pas que vingt ans plus tard, chef de service en protection de l'enfance, je vais remplacer au pied levée une éducatrice de mon équipe, malade le jour J, qui avait tout organisé pour venir chercher un nouveau-né après l'accouchement d'une jeune femme qu'elle accompagne depuis trois ans. C'est moi qui entre dans le couloir de la maternité trois jours après l'accouchement de cette dame que je ne connais pas. Je viens lui prendre son bébé. La famille d'accueil est là, un couple incroyable, qui accueille les bébés avant leur adoption. Ils ont déjà accueilli le premier enfant de cette maman, ils viennent prendre le deuxième, avec le consentement, bien sûr de la mère. C'est eux qui font tout et parfaitement. Moi je suis un piquet dans la chambre, je m'éclipse, je fais le minimum, je suis sous le choc de ce que je suis entrain de faire. 

Quelques mois plus tard je décide de quitter ce travail, que je sais maintenant bien mener. Au bout de deux ans d'exercice de cette fonction diabolique, je peux pratiquement tout assumer et bien, avec les félicitations de mes supérieurs. Il est temps de partir.


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