24 nov. 2010

Les cartes qu'on garde



Des travaux chez moi m'ont obligé à dépouiller un mur de sa mosaïque de cartes postales. Pas toutes passées par la poste, d'ailleurs, certaines ramenées en trophée, comme des photos.




Mon chat adore que j'étale des paperasses au sol


Et moi je regarde ces instantanés de vie, d'autres mondes possibles. Je ne suis pas allée dans tous ces lieux, pas tout à fait.
Mais ils ont le goût de la nostalgie, ils évoquent des souvenirs puissants. Ils chantent, ils appellent.





La Corse, la Bretagne. Je les mets au même niveau, au Top du niveau.
La mer normande, celle de l'adolescence et des amis. Tant de beaux jours. Les falaises qui plongent dans la mer. Les gris, les bleus, les ocres de la terre qui tombe dans l'eau, d'en haut.
Montréal sous toutes les saisons mais que je ne connais qu'en été et automne. Il faudra donc...
San Francisco, ta ville, Maya, grâce à toi je l'ai découverte. Et quelle ville ! Et ses côtes, le "Pacifique" si mal nommé, comme dit Madame Groult ! Car il enrage, il fouette, il décoiffe. Là-bas, il m'a épatée.
Les groupes ethniques de Thaïlande. Pour ne jamais oublier à quel point des personnes vivent tellement autrement que nous. Je veux toujours les avoir sous les yeux.
Vanuatu et l'autre Pacifique d'une autre amie, pacifique et chaud ce sud là. Des échelles de bambous fabriquées pour s'y jeter, le saut à l'élastique en ses origines ! J'ai aussi la Tasmanie d'Allison, mon australienne. De ces îles incroyables, peut-on rêver plus au bout du monde ? Perdue de vue, perdue d'écriture cette A. là. Pourtant quelle femme !! Trop loin ?



Est-ce qu'on a tous chez nous un puzzle de bouts du Monde ?
J'ai une vraie affection pour les images. Je rêve en les voyant, je me projette dedans, je sors de chez moi, je suis une autre. 
Est-ce qu'on aime ça ?



Le chat avec ses pattes fait son choix, comme on laisse voguer son doigt sur une carte ouverte.

21 nov. 2010

Les destins croisés



Le goût d'apprendre est pour tout le monde. Finalement, où que l'on soit, je me demande si ce n'est pas cela le moteur d'un autre monde possible, la source de la vie.

Lors de ma première expérience en Asie du Sud-Est, près du Triangle d'Or, au Nord de la Thaïlande, l'association travaillait sur plusieurs domaines d'éducation. La population de groupes éthniques laotiens était destinée à retourner un jour au Laos, retraverser le Mékong dans l'autre sens. Se réinsérer dans un pays qui aurait changé, qui voudrait cadrer ses groupes autrefois anti gouvernementaux, ces chasseurs-cueilleurs sans Nation.
Alors les adultes apprenaient le laotien, langue étrangère pour eux. Dans leurs tribus seule la langue orale prédomine et ce n'est pas la langue nationale. Un problème récurrent partout dans le Monde.


Pour que les femmes puissent aller à l'école, on s'occupait donc de leurs petits. Ensuite, l'association a eu aussi en charge de remettre sur pied l'école primaire et son milliers d'élèves.

Les camps de réfugiés sont sous l'égide de l'UNHCR, le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies. Ils gèrent la logistique de base et l'approvisionnement en nourriture. Vaste programme. Hordes de personnes attendant les camions qui amènent, tel jour le riz, tel jour la volaille, tel jour le poisson, etc...

La vie s'installe. Aucun camp dans le Monde ne se ressemble, je pense. L'association travaillait dans trois camps en Thaïlande, avec chacun sa population issue du Laos et chacun son organisation, son allure. Grand, petit, encerclé de barrières ou pas, petites maisons ou longs baraquements. Là où je travaillais, le camp était encerclé de barbelés sur un terrain plat et poussiéreux. A l'entrée tu montrais tes papiers, ton autorisation de travailler là aux militaires thaïs, des gens qui ne rigolent pas. Mais les réfugiés vivaient correctement sur le plan nutritionnel et sanitaire, comparé à d'autres lieux sur la Terre. Leurs habitations étaient de bois et de tôle, de longues baraques avec des préaux, à partager entre plusieurs familles. Une vingtaine d'associations leur proposaient tout un accompagnement et des formations en éducation, santé, agriculture, compétences techniques et professionnelles...

Régulièrement les Ambassades faisaient halte pour recevoir les demandes d'émigration. Longues files papiers en main pour être reçu dans un bureau étroit, face à un fonctionnaire canadien, australien, américain, suédois, norvégien...Le sésame ? Oui ou non ? Le départ ?

Tous un jour partiraient, quinze ans plus tard. Tous les recalés, ou tous ceux qui ne voulaient plus aller trop loin. Des cars les attendront pour un rapatriement forcé vers le Laos. Retour à la case départ. Sans doute pas avec le grand-père ou le vieil oncle, morts là. Mais retour pour les autres. Aller simple pour les enfants nés au camp qui eux, ne seront jamais américains, canadiens, suédois ou islandais. Jamais.



C'est une chose étrange de cotoyer ces exilés quand tu as toi même quitté ton pays d'origine. Quand tu vogues dans le flou, dans l'inter-langage, l'inter-culture et que tu ne sais pas pour combien d'années tu vivras là. Plus tard, beaucoup plus tard, tu repenses à leurs départs avec cette autre conscience qui est venue s'immiscer en toi.

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3 nov. 2010

Quelle enfance ?

Quand je suis arrivée pour la première fois dans un camp de réfugiés, en 1988, c'était pour y travailler sur des programmes d'éducation et de petite enfance. J'avais travaillé en France dans ce domaine et, bien sûr, je ne savais pas où je mettais les pieds.

J'arrivais au Nord de la Thaïlande, dans des camps de réfugiés issus du Laos, des groupes ethniques différents les uns des autres, très. Des chasseurs-cueilleurs pour lesquels la notion de Nation, de Pays, n'existait pas. Seules existaient la montagne et la rivière, nourricières, dans des lieux inaccessibles en voiture, entre Laos et Vietnam.
Ces guerriers solides et cultivateurs d'opium avaient aidé la CIA au moment de la guerre du Vietnam. Retour de bâton hostile en temps de débâcle, le gouvernement du Laos, sous la coupe des Vietcongs, les avaient massacrés ensuite. Une seule issue, la fuite, traverser le Mékong à la nage et trouver refuge sur l'autre rive, en Thaïlande.

Les camps ont été ouverts une vingtaine d'années. Des vieux ancêtres y sont morts, des milliers de bébés y sont nés.


Et bien sûr, je pensais que l'enfance c'était pour tout le monde. Et bien non. La notion de petite enfance c'est un truc inventé par nos sociétés.
J'arrive donc là-bas et je me rends compte que je suis complètement à côté de la plaque. Pourtant ce n'est pas "moi", c'est nous. Cela fait des années que l'association fait un super travail dans plusieurs camps, entourée d'experts, financée par l'Unesco, l'Union Européenne, des ministères, des ambassades et j'en passe...
Il me faudra le choc, le temps. Il me faudra ce gourou magnifique, mon conseiller à l'Unesco Asie-Pacifique, à Bangkok , et notre première rencontre éblouissante pour moi...Il me faudra...apprendre et ôter toutes mes croyances, toutes mes idées, pour arriver à rester et penser que je ne suis pas seulement et totalement inutile*.


Parce que c'est vrai, l'enfance est si différente et le rapport à l'enfance est si relatif d'une culture à l'autre. Et là on atteint des sommets.

Atérée, donc, devant mon incompétence, j'écris à ce gourou dont je ne sais plus le nom, on pourrait dire Kalum. Sri-lankais d'origine et notre protecteur, mon protecteur, garant des contenus et des financements des Nations Unies pour l'éducation. Je lui écris d'un anglais fébrile dès mon deuxième mois sur place pour lui dire que je suis désemparée et que je ne sais pas comment faire sans trop faire de conneries, sans calquer mon occidentalité là où elle n'a aucune pertinence. Que veulent les réfugiés ? Comment travailler autour de la petite enfance pour des personnes qui n'ont pas ce souci, qui ne savent pas de quoi il retourne ?


Pour ces populations, tu es bébé, couvé, allaité, porté, puis tu es enfant. A un an tu joues avec ta première machette. Tu coupes le bambou, tu te coupes le doigt si besoin, on s'en fout. A cinq ans tu es fille qui porte ses frères et soeurs, tu gères. A quinze ans tu es père de famille.

Enfant, tu tombes, tu saignes ? Personne ne vient te relever sauf si tu es de la famille proche. Tu es autonome dès trois ans. Tu te débrouilles, tu suis les autres, tu restes avec ton clan. Tu joues avec la nature, tu tues les animaux, tu regardes les savoir-faire de tes parents et à huit ans tu es apprenti, tu apprends. La ferronnerie  et la création de couteaux,  l'argenterie et la fabrication de bijoux, la culture des plantes médicinales, la broderie et les teintures, etc. La vie se gagne, se prend, pas le temps d'autre chose ou si peu.

J'arrive toute timide dans les bureaux de l'Unesco à Bangkok, c'est Daniel qui m'a amené, le Daniel décrit dans un billet plus haut. Mais j'y vais, au culot. De ma propre initiative j'ai écrit, sans tabou, sans craindre le ridicule. Je m'adresse au top du top. Tout le monde m'a dit qu'il était génial. Waouh. Je ne dirais pas que c'était Gandhi mais cela te donnera une idée. Gandhi en plus rond, la soixantaine. Mais encore plus beau.
Cet homme a une aura, et en même temps il a l'accueil dans la peau. Il sait y faire, je me sens bien tout de suite.
Son bureau est rempli de statuettes et de tissus indonésiens suspendus au mur. Je ne pensais pas qu'un bureau "de directeur" puisse avoir cette allure là, je suis charmée, touchée. Lui, porte toujours une chemise en tissu traditionnel, gaie. Il sait tout, il a tout vu mais il t'écoute comme si tu étais la merveille du Monde. C'est l'intelligence malicieuse qui sort de ses yeux. C'est la bienveillance toute qui est dans son corps et sa voix. 
Il est fier de moi. "C'est exactement comme cela qu'il faut faire. Vous doutez ? Vous allez faire un travail formidable."

Il restera mon étoile, mon ange gardien. Il nous soutient. J'aime aller le voir à Bangkok, je me sens petite reine dans son harem. Une privilégiée de cotoyer un tel homme. Il m'apprend énormément, me montre des projets du monde entier. Il m'invitera à Paris, en Hollande, au Népal, pour participer à des actions de l'Unesco, pour me procurer des documents, pour rencontrer des financeurs.

Je décide de rester après mon premier RDV avec lui, alors que je pensais abandonner.



De la bienveillance d'un être exceptionnel, de l'amour de mes collègues en or, de l'amour de deux amours, du courage et ce destin qui nous met là. Exactement où il faut être.
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P.S. * Plus tard, bien plus tard, j'ai su et vu que toutes mes belles intentions étaient à très courte échelle. J'ai su la dérision de l'action, aussi pensée et respectueuse soit-elle. J'ai eu la grande chance de comprendre qu'être inutile et l'accepter était le cadeau que la vie me faisait. Comprendre cela, le vivre au fond de mes tripes. Oser délaisser les prétentions et l'illusion d'être indispensable ou d'avoir pu changer quoi que ce soit. Alors la vie et moi-même seraient autres, ailleurs, soulagées de ce poids. Quelque chose d'autre pourrait commencer et ouvrir l'inconnu de moi. Peut être, un jour...
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