27 nov. 2021

Me manquer toi

 Tu vas me manquer toi, femme de quatre vingt quatorze ans tout juste depuis dix jours. Tu vas me manquer toi qui disais, depuis tes quatre vingt dix ans que tu ne pensais pas arriver là et que ça commençait à bien faire. La mort tu y as songé, vivre pourquoi et dans quel état nous en parlions toujours.

Je t'ai soutenue dur comme fer dans ton projet de rester chez toi coûte que coûte. Toujours je te disais " Oui mais tu es chez toi".Et alors tu oubliais ta peine, tes problèmes, les bobos et la tristesse, en me disant "C'est vrai tu as raison". Je te donnais des conseils, des petits trucs, pour que la famille ne s'affole pas et te garde bien au chaud chez toi avec tes deux merveilleuses gardes à domicile, presque des copines, femmes de ménage, coiffeuses, habilleuses, cuisinières, faisant les courses, veillant à l'essentiel pour que tu tiennes bon.

Je te téléphonais et j'admirais ta présence au monde. Tu retenais toutes les informations, tous les changements de vie, de boulot, les distractions, nos occupations, nos préoccupations, tu étais sur le présent, présente pour les autres du fond de ton nid d'où tu ne sortais plus. Tu lisais quatre livres par semaine, ils s'empilaient dans les meubles autour de ton lit et sur la petite table de la grande salle de ton bel appartement parisien. Tu vivais à Montparnasse après être née à Montmartre. Un jour, chez toi, je te parle d'une copine qui vit là-haut, "chez toi", tu demandes l'adresse, tu es émue et ravie.

Il y a sept ans, je crois, j'ai séjourné chez toi deux nuits. Tu m'as logée à Paris et on s'est mises d'accord sur tes horaires et tes besoins. On avait chacune nos rythmes. Tu étais ravie de mes visites au pied du lit après le petit déjeuner et vers 18h quand tu avais soupé au lit. Un soir que je revenais du si beau Musée National d'Histoire Naturelle, je t'ai raconté mes balades dans ta ville et nous avons découvert le mug acheté au Musée. Noir, qui révélait sa décoration, une jungle colorée, à mesure que l'eau bouillante le remplissait. Un truc magique qui t'a épatée autant que moi. Je ne t'ai pas dérangée, je t'ai laissée vivre ta vie de la salle à la cuisine, du lit au salon. Tu étais très heureuse de m'entendre rentrer, de m'entendre raconter, de ne pas être seule le soir et la nuit. Quand je suis partie, tu m'as regardé les yeux brillants et tu m'as dit "Mais comment je vais faire maintenant ?". On était heureuses. J'étais émue, très. La dernière fois que je suis allée chez toi boire un thé j'ai amené de la bonne brioche au beurre et un foulard, long rectangle aux couleurs pastels dans les rosés, gris, je ne sais plus, fluide mais un peu chaud. Tu ne le quittais plus, me disais qu'il te tenait chaud, tu m'en parlais au téléphone. "Je ne quitte plus ton foulard, tu sais."

Tu as dans tes tiroirs de commode des centaines de cartes que je te confectionnais et t'envoyais. Tu m'as tenue compagnie, tu m'as motivée pour créer. Tu m'étais indispensable. Collages, peintures, dessins, pastels, de diverses tailles. Il y a longtemps je t'ai envoyé un marque-pages avec des collages dessus, des dessins et un coeur. Chez toi tu me l'as montré me disant "Ce que j'aime par dessus tout c'est le coeur". Le marque-pages commençait à être abîmé. Mais je n'ai pas su t'en faire un autre, il n'aurait pu détrôner le premier.

Depuis deux ans tu lâchais l'envie. Tu te plaignais souvent, ce qui n'était pas ton genre, tu n'avais plus envie d'être dans le monde, de partager notre vie, tu posais encore quelques questions mais sans grand entrain, tu écoutais fort bien, oui, mais revenait la fatigue, la profonde lassitude. Plus ta vue baissait, moins tu lisais de livres, plus tu quittais le goût des autres, le goût des vies.

La dernière fois que je t'ai parlé, tu m'entendais à peine, tu comprenais mal mes propos et tu ne pouvais plus parler.  Arrivée en urgence à l'hôpital ( que tu avais toujours détesté auparavant !) en février, tu ne voulais pas y être encore en vie pour Noël. Tu me l'as dit en septembre. Ah non, ça suffit ! 

Aujourd'hui j'ai pensé, "C'est une journée où ma tante n'est plus en grande souffrance à tous les niveaux.". C'est la première journée de ta libération. Comme je suis contente ! Comme tu es heureuse ! Toi et moi sommes soulagées. Et toi, comme tu vas me manquer.

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17 nov. 2021

Créations

 Et bien quand même cela fait un bail que je n'ai pas mis ici mes bidouillages.

Allons y !



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Hum... et un clin d'oeil nostalgique aux ateliers de l'école d'art de Romans..où je ne peux plus aller.



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12 nov. 2021

30 ans après

 On ne savait rien. Elle avait pris un avion, même deux.

Sur la plage de l'autre côté de la frontière, elle avait retrouvé un amoureux fidèle, une facilité. Mais elle avait traversé, poussé sa valise vers un deuxième avion, de l'autre côté de la frontière, un pays inconnu, qui faisait peur tout de même. 

Qui était là à l'arrivée, dans l'aéroport encore en guerre ? Les guerres laissent longtemps leurs traces. Sur les murs des bâtiments délabrés près du grand fleuve, le noir fumée des bombes était tatoué jusqu'aux derniers étages. Jusqu'au ciel. Sur les rives les fumées des feux, sur les rives, toujours des feux où les gens vivent, mangent, vendent, achètent, dorment et passent des bouts de vies.

 Je t'aimerais à tout jamais. Et même jamais plus.

Habillée d'une jupe blanche cintrée, jusqu'aux genoux, balancée d'une chemise à grandes fleurs dans les mauves et gris, elle est dans les locaux, lieux nouveaux, nouvelle famille, nouveaux amis. On l'accueille chaleureusement, puis elle va dans le bureau de l'inconnu qui lui sourit et est venu la chercher depuis l'entrée. Elle se rappelle très bien de la porte au bout du couloir, il l'a laissée entrer en premier. Ils ne savaient rien. Ils souriaient, ils riaient de bon coeur, naturellement

Ils ne savaient rien. Ni il ni elle. Ni eux ni nous. Personne ne savait. Seule la terre tournait et voyait qu'ils s'aimeraient.

Maintenant je peux le dire. Elle ne l'aime plus jamais. Plus rien. Elle n'est plus aveugle et embrasée. Trente ans après. Trente années.


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