23 oct. 2010

Tu prends un train et tu changes de vie

Ce matin j'entends à la radio un italien parler si bien le français et tout à coup je repense à Cathy et je réalise, oui ce matin, 26 ans après...Je réalise qu'elle m'a un peu montré une voie.

D'abord les "Cathy"..Deux, j'en ai rencontré deux à dix ans de distance et si semblables ! Amoureuse je suis, des filles en tout point opposées à moi physiquement. Donc mes Cathy sont grandes, fines en haut et large des hanches, ça c'est la base de la Cathy dans ma vie. Ensuite il y a leur voix, un truc chaud qui grésille, comme des chataignes dans un brasero et après il y a le rire. Puissant, qui déboule et déboulonne toutes tes défenses, tout ce que tu croyais, qui emplit la pièce, fait entrer l'Afrique bouche et gorge ouverte, libre cours, un torrent. Voilà mes Cathy.

Celle là est entrain de finir son diplôme d'éducatrice et on bosse ensemble à Paris. Elle finit son dernier stage. On parle de tout sauf de boulot, finalement. C'est un bonheur son corps qui emplit l'espace, sa vision des choses, ses gestes. Et nous parlons beaucoup. Elle a 25 ans et moi presque. Je n'aurai pas le temps de la connaître vraiment, elle est en recherche, en doute, elle a l'impatience et la prestance aussi. Elle est là quand elle est là et elle est déjà ailleurs à peine sortie de la pièce.

Qui suis-je moi, je ne sais pas. Je ne veux pas être  "simplement". Mon père vient de mourir, j'ai rejoint ma mère à Paris dans cet appartement du XV eme que j'aimais tant. Métro et boulot et beaucoup de marche dans cette ville qui est toujours là pour toi. Le boulot est dense, un centre maternel dans le XIV eme, pas loin du quartier chinois. La découverte des mères célibataires entre prostitution et pauvreté extrème, morale et physique. La découverte de la psychanalyse de terrain, des centres thérapeutiques,  du travail d'équipe. Un gros paquet. Qui changera ma vie et mes choix. Et cette Cathy en plein qui passe et va me laisser sa trace. Du genre "voilà comment on peut vivre aussi". Une plus folle que moi, à ce moment là.

Que se passe-t-il de si fou ? Elle prend un train pour Rome, seule. Elle a besoin de changer d'air quelques jours, d'oublier, de se sentir bien.

Elle séjourne à Rome et rencontre un homme, plus âgé qu'elle, "bien sûr", ai-je envie de dire.  Bien sûr c'est vers lui que son coeur tire. Il est italien, "bien sûr." Il a déjà un sacré parcours, avec des zones d'ombres, je ne veux pas savoir, elle non plus, et elle aura le temps...Quelque chose se passe.Ils se voient, dînent, parlent, marchent des heures, mangent, rient, se prennent à peine, se jaugent, s'écoutent. Bien sûr il a beaucoup à lui dire.

Cathy revient bosser, elle reprend le train le vendredi, hop, directement. Il faut être sûre, il faut savoir. Cet impossible. Cathy revient le mardi. C'est décidé. Bien sûr. Et ainsi elle va passer tout son temps libre là-bas pendant deux mois. Il la veut. Elle veut. Elle revient un jour pour me dire "si mon appart t'interesse, passe chez moi, je m'en vais bientôt".

A Rome tout s'organise, Cathy est folle, Cathy est amoureuse. Toute. Elle vit chez lui, dans ce vieil appartement immense et déglingue. Lui. Lui un homme magnifique qui veut d'elle. Tout. Cathy est heureuse, elle décroche tout sur son passage, elle me parle de cet homme, de la langue italienne qu'elle s'est mise à apprendre i tutti rapido presto, va , va, amore mio. Tout est un manège, tout va vite et la vie à Rome l'emporte, l'emporte. Elle n'a peur de rien, je crois que c'est cela que je retiens. Ce n'est pas la première qui me le dit, qui me le montre. J'ai déjà retenu pas mal la leçon et je suis en plein stage d'application. Et Cathy me pousse, m'entraîne, m'énivre de sa vie, de sa capacité à tout laisser et à reconstruire devant.

Elle cousait déjà beaucoup, elle avait un  tempérament d'artiste, elle ouvrira un atelier de couture, elle enseignera le français. L'amour parle, quand l'amour parle il parle court, simple, droit, tout court, avec des points partout. Point. C'est comme ça. Un ouragan est une mauviette à côté, bien sûr. Tout est sûr.

Et c'est çà que je retiens de cette fille là. Et elle laisse en moi cette impertinence, cette folle beauté, encore, encore une qui me laisse ce tatouage de la vie. Je prends son petit appart de banlieue, bien sûr. J'y reste quatre mois, mes 25 ans sont passés et lui, ailleurs, m'a enfin dit qu'il m'aimait. Alors il faut partir, "bien sûr".

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17 oct. 2010

Chez A et R.

Je veux parler de Lui et Elle, d'eux deux, que je ne connais pas, peu, mais qui ont été là quand il le fallait. Dans leur maison. Il m'ont installée au rez-de-chaussée, dans une grande chambre avec salle de bains. A côté il y avait la cuisine commune. A l'étage c'était tout pour eux.


Dans ma vie il pleuvait, j'étais à la rue. A la rue de l'amour, à la rue de moi, à la rue dans ce Cambodge que je n'aimais pas ou qui ne m'aimait pas, pas là. Ils m'ont ouvert leurs bras, juste comme ça, par sympathie, par joie. On se connaissait de loin, un peu plus, le boulot, les connaissances dans ce Phnom Penh de 1992. Celui où...
C'était mai et j'allais partir un bon mois plus tard. Rien n'était sûr. Il y avait eu tant et il y avait eu toi. 
J'étais seule, aux abois. Avec ma mobylette dans les rues sales, je regardais autour de moi et je ne comprenais pas.
Mais eux ont été là, et d'autres aussi. Quand tu es très loin c'est comme ça. On se regarde dans les yeux, on se dit des essentiels très vite, on sait que le temps compte, que tout passera. On va droit, droit vers soi. On se sourit, on boit des coups, on mange ensemble, on se raconte nos vies, les pays, le boulot, tout.

Il était vraiment très séduisant ce R. là. Comment dire ? On avait trainé dans les mêmes pays, un peu pour les mêmes causes. Il était très intelligent et cultivé et il avait trouvé "son" pays et celle qui.
A. était d'origine khmère et la voilà revenue vivre au Cambodge à trente ans. Il y avait eu quelque chose de définitif entre eux qui s'était imposé et qui se jouait à ce moment là, dans cette maison qu'ils me proposaient de partager provisoirement, pour me dépanner.

Elle était secrète et bavarde. Elle régnait chez elle, aimait faire la cuisine et avait plein de bonnes idées comme de faire des tisanes aux fruits avec des sachets ramenés de France et de laisser le tout en bouteille au frigo. Elle avait vécu en France le plus clair de sa vie mais revenait dans son pays, un peu étrangère, un peu méfiante aussi. Dans ma chambre les rats faisaient un boucan du diable toute la nuit. Ils vivaient dans les poutres et cavalaient. Il fallait mettre des boules quies pour dormir ! Au début j'avais peur d'en trouver un sur mon lit, mais finalement j'étais le dernier de leur soucis. Par contre, ils aimaient grignoter les chaussures en cuir. Et dans ce pays, des tas d'artisans cordonniers nichés dans des échoppes sombres pouvaient te créer des chaussures selon tes souhaits...

Il avait passé le cap entre bosser pour des associations et devenir "fonctionnaire" de l'humanitaire, c'est à dire travailler pour un truc qui commence par U.N..Unesco, Undp, etc..Programmes de développement, d'éducation, ..des Nations Unies. Le voilà avec un bon contrat en poche et la paye ad hoc. Il changeait de camp. Quelques années après je le revois à Paris, il rit en disant qu'il a tellement d'argent économisé qu'il ne sait qu'en faire et quel logement acheter. C'est deux ans plus tard, ils se sont mariés à Phnom Penh, le riz a été jeté dans leurs cheveux. Je déjeune avec elle. Elle a toujours ce côté ombre , elle sait les doutes pétris en Lui, mais elle me dit qu'elle a fait son choix, qu'elle s'est mariée, que la vie avance.

Mais pour l'heure nous sommes en 1992 et il fait chaud, tellement chaud. Le mois de mai, comme celui d'avril, sont épouvantables. On sue sans relâche. Je ne suis bien que sur ma mob à sillonner les rues pour capter un peu de frais. J'ai une mission avec des anglais, j'évalue ce qui se passe dans des orphelinats. 

On se retrouve dans la journée dans la cuisine, avec A. pour boire du frais et papoter. Je ne sais plus de quoi nous parlons, tout est très facile entre nous. On se voit tous les trois, parfois, le dimanche. Il aime les plantes et s'occuper de la maison. Sa voix est belle, basse, posée, il appuie sur les phrases, il pense à ce qu'il dit, il a de l'humour aussi. Ses yeux sont de braises, il me réconforte souvent, ils me réconfortent tous les deux. Ils sont là comme il fallait. Présents et loin. Leur clé dans ma main, je ne monte jamais en haut, sur leur territoire. Sur la magnifique terrasse en bois il y a son hamac immense, il y tient, il aime y passer des heures. Je crois qu'il se dit "Je suis arrivé, enfin"...C'est ce qu'il m'a dit la première fois que je l'ai revu dans cet endroit. Qu'enfin il avait trouvé une paix et une femme formidable, qu'il ne voulait plus faire le malin. Car les femmes et lui, il connaît...

Je garde le souvenir d'une escale, d'un pansement dont j'avais besoin et de deux êtres remplis, pleins de recoins, de silences et de leur présence. La maison était sympa, on s'y sentait bien.

Quatre ans plus tard je vis au Laos. Une collègue part en vacances au Cambodge, je lui parle d'eux, je pense qu'elle les verra. Elle revient, elle l'a vu Lui. Il s'est séparé d'Elle. Je n'en reviens pas. Je suis abasourdie par cette nouvelle. Elle ne le connaît pas mais elle ne l'a pas trouvé très en forme, elle comprend que leur séparation a peiné la petite communauté d'amis, comme une ombre planante, sombre. Je me revois avec eux à Paris, avec eux à Phnom Penh au temps de leur amour, avec Lui qui pensait avoir banni ses détours. J'aurai au moins partagé leur affection envers moi, en ce temps béni de leur vie, pendant que la mienne prenait l'eau de toutes parts. Si longtemps après, ma reconnaissance est profonde, je veux encore leur dire Merci.

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7 oct. 2010

L'ailleurs en bouche

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Une charmante blogueuse m'écrit que les seules choses qui manquent parfois à son palais, quand elle est loin ,sont la salade verte et les yaourths. Tiens me dis-je ? Tiens, qu'est ce qui te manquait, à toi ?

La cuisine d'Asie du Sud-Est est une des cuisines les plus variée et les plus raffinée, enfin tout est à mon goût. Les piments, tu peux doser, ils ne sont pas un réel problème. Non, tout y est. C'est aussi le régime alimentaire idéal, parfait. Que du salé pendant les repas. Toujours du riz, des légumes, de la viande des oeufs ou du poisson, ces trois mets à volonté sur la table, pas mélangés c'est toi qui fait ton fourbi. Une cuisine de liberté et de fraîcheur.Les fruits sont mangés entre les repas. Ils sont tout épluchés et coupés, tu te sers avec encore plus de gourmandise de ces délices, à se damner...
Bien sûr, il y a plein de plats qui mixent légumes et viande ou poisson, beaucoup de soupes surtout, pleines de saveurs incroyables. J'adore.
Qu'est ce qui manquait à mon palais ? Le chocolat noir. C'est tout. Mais ça tu en bourres ta valise, et les amis risquent même des colis. A la saison froide, pas la chaude, sinon tu reçois du couli de chocolat dégoulinant ! Un copain nous avait envoyé aussi du fromage, un camembert, enveloppé de magazines récents. Le tout est arrivé en sandwich. Le camembert fondu entre couches de papier coloré. On a laissé dehors, sur la table du jardin. Un chien pelé est passé et à tout mangé. Miam les hamburgers des occidentaux !! Rigolades.
Oui, le fromage manquait à certains, c'est vrai. Pas à moi. Il y a tant de merveilles en Thaïlande, par exemple. Tant de plats, tant de légumes, tant de fruits à te renverser par terre de plaisir, que non. Juste ce petit carré de chocolat noir, fin, c'est vrai.

La seule chose qui manquait dans mes trois séjours ( d'un à deux ans chacun) dans ces pays, sont les émissions de radio de Radio France. Car en ce temps là ( de 1988 à 1996) on captait mal, ou pas du tout. Nous n'étions pas équipés et , bien sûr, l'ordinateur n'était pas encore dans les maisons, en tout cas pas en campagne. Alors cette nourriture là, celle des voix, des infos au quotidien, des merveilleuses découvertes de France Culture, des animateurs aimés de France Inter, et tout le reste, oui cette nourriture me manquait beaucoup.

Nous y pensons encore aujourd'hui à cette période où l'ordinateur n'était pas dans nos vies quotidiennes et tout juste au boulot. On était coupé de l'Occident, des amis et de la famille. Et nous aimions cela, la plupart d'entre nous étaient venus pour cet isolement, ce "laisser tout derrière" et surtout pas pour entendre des parents, des cousins, des amis au téléphone chaque jour. Cette coupure nous forgeait, façonnait chaque moment, chaque choix, chaque décision. Elle avait ses douleurs et ses joies, elle était pleine. Le courrier était une divinité, le fax une magicienne. Le temps prenait tout. La distance pesait, s'écoulait comme en chair et os, et permettait de rythmer les sentiments et les informations échangées, elle donnait une forte maturité aux choses. Elle nous laissait libres, seuls, sans attente ou très patients, ce qui correspondait parfaitement aux caractères de ces pays boudhistes .

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