31 oct. 2020

Le temps

 J'ai passé la semaine en dessous de zéro épuisement. Totale cramée. Je faisais des journées presque entières avec les fillettes que je garde, chez elles. J'étais fatiguée comme rarement, sortir du lit le matin était impossible, un treuil, un poids lourd, une grue, amène-moi tout ça.

Une fois sur place les choses se passaient souvent agréablement, mais me demandaient une attention illimitée. Les filles grandissent, il faut aussi s'adapter à tout ce qu'elles vivent et assument. Les moments sans école, sans crèche, les retours de vacances à la mer avec maman. Une maman qui prend ses filles sous le bras, remplit la bagnole de valises et hop. Une chouette maman. Un chouette papa aussi, très poule et plus présent que la mère qui a des horaires intenses.

Il a fallu faire quelques mises au point avec l'aînée qui vrillait un peu et ne rangeait plus rien, agissant comme un bébé, jalouse à mort de sa soeur qui va avoir deux ans. Bref, elles m'ont attrapé chaque partie de mon cerveau, de ma peau. C'était bien, au final. Mais j'ai tiré la langue et suis revenue chaque soir chez moi dans un état trop loin de moi, moche, sans intensité, tout en nervosité ou raplapla. En bref, j'ai fait quatre jours de plein temps et il y a très longtemps, j'ai pris une décision dans ma vie, celle de travailler à temps plein le moins possible. 

J'ai fait des temps partiels, des temps plein, et des mi-temps et j'ai comparé très vite, dès mes 20-25 ans. Surtout quand le boulot te plait et que tu as une responsabilité vis à vis d'un public, enfant ou adulte, et vis à vis de tes collègues, au moins la responsabilité de maintenir une ambiance conviviale et de faire ton travail comme il faut voire bien mieux, alors quand tu veux le meilleur, il faut abandonner le temps plein, avec joie. Et puis il y avait la vie, la vie personnelle, amoureuse, amicale, qui fut mon pilier, ma priorité. Il y avait une vie en dehors des heures de travail, et elle me plaisait, elle serait mon essentiel. Renoncer à l'argent, au confort matériel, à la voiture, économiser, faire avec un demi salaire, cela en valait largement la peine. Je ne suis pas faite pour bosser toute la journée. Venir au travail avec plaisir, rendre les gens heureux, ne pas tirer sur la corde, arriver pleine d'envie, ne pas fouiner dans les relations toxiques au travail, venir comme une traînée dorée, un moment, passager, donner le maximum et surtout repartir vers la liberté, de cette vie que je veux libre. La peur de l'emprisonnement est totale chez moi. J'ai voulu être bénévole en prison, un jour, sur Paris, avec une super association qui travaillait avec les mères emprisonnées et leurs enfants. J'ai retrouvé récemment un document sur mes démarches pour m'y engager. Mais j'ai déménagé, j'ai quitté Paris. Tant pis.

Hier soir je suis rentrée chez moi soulagée, finies les longues journées et le mental qui ne suit plus et le corps qui rampe pour avancer. Stop. Je serai vigilante l'année prochaine, je me garderai des matinées quand je travaille durant les vacances des fillettes. Cet étouffement, cette sensation d'aller trop loin, d'être cernée, de ne plus pouvoir respirer, je ne sais pas vivre avec. Le choix je l'ai fait dès le début de ma vie professionnelle. Parfois, je n'avais pas le choix du rythme mais le travail valait ce sacrifice. Parfois non. Je ne suis jamais restée très longtemps sur des temps plein, j'étouffais, je me resserrais, je craquais dedans.J'ai pris beaucoup de risques, régulièrement, pour être libre, pour me priver d'argent pour rester libre et entendre les marées de la vie remuer mes intérieurs. En me sentant tellement à bout cette semaine, je repense à ce que je suis, ce que je peux et ce que je ne peux pas, ou ne peux plus. Je me revois marcher, heureuse de retrouver un travail près de chez moi, il y a plus de trente ans. Je connais par coeur tous les métiers que j'ai exercé, plus d'une quarantaine, un peu, un peu plus, beaucoup. Mon tableau récapitulatif sur le site de la retraite a réussi à tous les noter, tous les trouver, jusqu'à mon job de vendeuse de poisson pour ma première année de fac de psycho. Sur certaines années est écrit " emplois multiples". Cela me fait marrer. En résumé " multiples" oui, tu as bien pigé. 

Restons multiple. Je n'ai jamais voulue être comme les autres. Je ne sais pas d'où ça vient mais ça m'a pogné dès le lycée, en ayant bien mitonné dès le collège puisque j'étais la plus jeune partout et que tous avaient deux ans de plus. Je crois que je suis devenue moi en redoublant ma seconde et en décidant que je serai comme j'étais. Ni de la tarte ni du gâteau, ni du facile ni du léger, du nuageux qui retombe, du plomb qui rêve d'or.




 
 
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28 oct. 2020

Le Québec d'ici

 Je suis arrivée ici en juillet 1997. Je pensais faire une petite visite à un amoureux puis repartir vers l'Italie où j'avais rendez-vous avec un Giuliemo, rencontré sur un bateau dans la Baie d'Halong. Une drague adorable de trois jours, sans passage à l'acte véritable. On sétait donnés rendez-vous " un jour" "chez lui". J'avais en poche les horaires, un train, une heure d'arrivée en gare, il était prévenu et impatient.


Va savoir pourquoi... cette histoire n'a pas du tout plu à mon amoureux que je venais voir, revoir, après des années d'absences,  dans sa nouvelle région, son nouvel appartement avec vue sur les collines drômoises.

Va savoir pourquoi, j'ai laissé un message au bel italien, sur son répondeur, pour lui dire qué non, je ne serai pas à la gare.

J'ai passé l'été en Drôme et est arrivé l'automne et j'ai vu cela tout autour de l'appartement....
















ET je suis restée.


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24 oct. 2020

Sans modèle

 Encore une femme-chapeau-fleurs ( voir les articles précédents) mais celle-ci est toute en improvisation. Je grandis. Pour les premières je gardais, de loin, un modèle de portrait, un tableau de peintre, pour me sécuriser sur le visage , cou , épaules.

Et pas de collages fleuris pour celle-ci.




 
 


A suivre...peut être !


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22 oct. 2020

You too

 Ben moi je me suis pris la claque.

Je n'avais pas pensé qu'il y aurait le cercueil.

J'avais décidé de m'isoler devant la télé à 18h30, pour l'hommage à cet homme disparu, assassiné d'avoir fait son métier. J'avais besoin de creuser ma peine, j'avais besoin d'un moment symbolique, j'aime les moments symboliques quand je suis en écho, quand la tasse déborde.

Et la tasse déborde. Elle me ramène à 2015 et à mes années de travail dans un quartier très habité de musulmans, quand je bossais avec des groupes de femmes et quand mes collègues étaient algériens et marocains et m'expliquaient ce qu'était l'islamisme puisqu'ils l'avaient eu au pouvoir. A l'époque la mosquée du quartier était infiltrée, je l'ai appris tardivement. C'est le père d'une collègue, algérien, cultivé, grand croyant, qui s'était révolté après avoir passé cinq minutes dans cette mosquée. Il était ressorti dévasté, outré, " Ce n'est pas un imam ! C'est un prédicateur dangereux ! Comment une telle chose est possible en France !! Ici aussi !??". Lui dont le nom était placardé sur les murs, dans son pays, sur les listes des hommes à dénoncer et abattre durant la terreur du F.I.S.

J'ai beaucoup beaucoup appris avec eux. J'ai passé une dizaine d'années dans le quartier. Les gosses étaient "pro Kouachi" et le reste, les mômes étaient incontrôlables, les dealer nous bloquaient les rues empêchant les voitures de circuler, discutant avec leurs potes en plein milieu, terreur silencieuse, passivité des habitants. Un jour, je m'impatiente, je fais un signe et contourne un mec qui était penché sur la portière de son pote. Je manoeuvre pour passer et me garer à 100m, devant le boulot. Je raconte ça aux collègues qui me disent " Tu es folle, tu vas te faire caillasser ta bagnole !". On n'avait jamais abordé ce sujet, je m'apercevais que c'était une soumission quotidienne, une habitude. J'ai ensuite changé mon trajet pour me rendre au boulot sans passer par ce carrefour "occupé".

Je n'avais pas pensé qu'il y aurait le cercueil. Je savais qu'il y aurait le groupe U2 en ouverture de la cérémonie d'hommage. Ce groupe que j'aime tant, cette chanson que je connais tant et que je vénère.

Mais je n'avais plus en mémoire les paroles et voilà que sur mon écran de télé elles s'affichent sur le côté, en français, tandis que le cercueil entre dans la cour de la Sorbonne.

Et là, j'en prends lourd, j'en prends cher, j'en prends de toutes parts et je m'ouvre en deux, telle une barque fendue, je prends l'eau de tous les côtés, de tout et de partout dans ma vie, dans mon âme, dans mon cerveau, je pleure puis sanglote avec bruit, je me plie, je prends mon visage dans mes mains, je me répands. Je sombre, au fur et à mesure que le cercueil avance et que Bono, le chanteur du groupe, avance dans sa chanson, cette chanson que j'aime, qui a fait partie de ma vie, et dont je retrouve les paroles immenses qui creusent encore plus ma barque maintenant sous les larmes. Et je rejoins cet homme dans sa mort, gisant là dans cette boîte,lui  qui aimait cette chanson, qui chérissait ce qu'elle emmène en nos coeurs et nos cerveaux, et j'en prends pour mon grade et enfin je vous pleure monsieur, mais surtout je nous pleure tous, épouvantée par le chemin qu'il faut faire, face à cette violence et cette ignorance, ces souffrances et ces haines aveuglées que je connais bien pour les avoir côtoyées. Je sanglote sur le terrible travail de tous, pour tous, que cela va demander. Moi j'ai déjà fait ma part. 

Violence et  haine, bien entretenues par la bêtise crasse, suffisent, hélas même portées par une minorité, pour empoisonner une vie et la détruire.

Nous ne nous en remettrons jamais.


One de U2

One 
Un

Is it getting better
Cela va-t-il mieux
Or do you feel the same
Ou ressens-tu la même chose
Will it make it easier on you
Est-ce que ce sera plus facile pour toi
Now you got someone to blame
Maintenant que tu as quelqu'un à blâmer

You say
Tu dis
One love
Un seul amour
One life
Une seule vie
When it's one need
Quand il n'y a qu'un seul besoin
In the night
Dans la nuit
It's one love
C'est un seul amour
We get to share
Nous devons le partager
It leaves you baby
Il te quittera bébé
If you don't care for it
Si tu n'en prends pas soin

Did I disappoint you?
T'ai-je déçu ?
Or leave a bad taste in you mouth?
Ou laissé un goût amer dans la bouche ?
You act like you never had love
Tu agis comme si tu n'avais jamais reçu d'amour
And you want me to go without
Et tu veux que je parte sans amour

Well it's too late
Et bien il est trop tard
Tonight
Ce soir
To drag the past out
Pour faire resurgir le passé
Into the light
Dans la lumière
We're one
Nous ne faisons qu'un
But we're not the same
Mais nous sommes différents
We get to carry each other
Nous devons nous soutenir
Carry each other
Nous soutenir
One
Un

Have you come here for forgiveness
Es-tu venu(e) ici pour demander pardon
Have you come to raise the dead
Es-tu venu(e) ressusciter les morts
Have you come here to play Jesus
Es-tu venu(e) pour jouer à Jésus
To the lepers in your head
Pour les lépreux qui sont dans ta tête
Did I ask too much
Ai-je trop demandé
More than a lot
Plus que de raison
You gave me nothing
Tu ne m'as rien donné
Now it's all I got
A présent c'est tout ce que j'ai
We're one
Nous ne faisons qu'un
But we're not the same
Mais nous sommes différents
We hurt each other
Nous nous faisons du mal
Then we do it again
Puis nous recommençons

You say
Tu dis
Love is a temple
L'amour est un temple
Love is a higher law
L'amour est une loi divine
Love is a temple
L'amour est un temple
Love is a higher law
L'amour est la loi divine
You ask me to enter
Tu me demandes d'entrer
But then you make me crawl
Mais ensuite tu me fais ramper
And I can't be holding on
Et je ne peux me raccrocher
To what you got
A ce que tu as
When all you got is hurt
Quand la seule chose que tu as c'est la douleur

One love
Un seul amour
One blood
Un seul sang
One life
Une seule vie
You got to do what you should
Il te faut faire ce que tu dois faire

One life
Une seule vie
With each other
Ensemble
Sisters
Sœurs
Brothers
Frères

One life
Une seule vie
But we're not the same
Mais nous sommes différents
We get to carry each other
Nous devons nous soutenir

One
Un
One
Un

5 oct. 2020

Sans compte à rendre

 Bonjour à toi qui lis ici, saches que vous êtes trois grand maxi et je te félicite pour cette compassion et curiosité que tu maintiens, vraiment je m'incline et te bizoute les orteils, si tu les as propres.

Aujourd'hui est un jour nouveau, je quitte Pôle emploi. En vérité je pensais que mes droits finissaient cet été mais je n'ai pas eu de nouvelles. Et à partir de ce mois ci, ayant négocié une augmentation ( pour la première fois de ma vie), je n'ai plus besoin de rester inscrite pour recevoir un complément à mon salaire. Quand tu as droit à une allocation et que tu travailles ausi, si ton salaire ne dépasse pas le montant de ton alloc, pôle emploi te met un bout d'allocation. J'avais droit à 600 euros sans bosser. Je travaille depuis un an et demi, et par exemple quand j'avais un salaire de 500 euros, j'avais genre 100 euros d'alloc. Tu vois le truc. Je viens de toucher mon premier salaire depuis mon "augmentation" ( conséquente)...et cela me mettra toujours très au delà de 600 euros. Et puis Basta. Cela fait du bien de quitter ce système et ne plus avoir à rendre de compte, ne plus envoyer mon bulletin de salaire, ne plus attendre la compensation pour savoir de quel argent mensuel je dispose.

Je ne sais pas si je serais un jour ré inscrite à Pôle emploi. J'ai un Contrat à durée Indéterminé depuis février 2019. Je garde des fillettes chez elles. Cela s'est fait d'un seul coup, en une heure de temps. Je ne savais pas, quelques mois auparavant que j'allais faire ce travail. J'avais ça en tête, "au pire"...mais vraiment en pis aller. Pourtant ce travail inattendu m'a sauvé la vie, ou le moral, précisément !

J'étais inscrite à Pôle emploi suite à une année scolaire au sein d'une école pourrie, en tant qu'accompagnante d'enfants handicapés ( quasiment la plus terrible expérience de ma vie, non pas sur le travail avec les enfants mais sur le contexte terrible d'une école retardataire, d'un autre siècle et m'ayant méprisée comme jamais dans toute ma vie professionnelle !). J'ai refusé de reprendre un CDD, j'avais déjà eu du mal à rester en poste durant dix mois. Madoué, quelle expérience !

Donc, mes droits, antérieurs à ce job en école, ont été remis en route puis mes droits liés au travail dans  l'école pourrie sont venus rallonger la durée et le montant des allocations. J'en étais là, ayant quitté l'école depuis trois mois et entrain de m'en remettre quand Pôle emploi m'a obligé à suivre une "formation" pour remobiliser les séniors, un truc "Tremplin de mes deux" ça s'appelait. Au Secours ! On était huit. Un homme sympa, plein d'expériences et avec un cerveau, qui savait lire et écrire et aimait cela. Et le reste..mamamia. On était, en plus, en plein "gilets jaunes", et je devais me taper une brochette de mecs total paumés, furibards, mode FN en jaune. On en pouvait déjà plus de les croiser aux rond-points, te criant dessus, tapant sur la bagnole parce que tu n'avais pas de gilet jaune sur le pare brise. No Way. On aurait dû savoir que, déjà, ça sentait la fin d'un monde, qu'on commençait à plonger dans le dur, dans la casse, que le XXeme siècle était totalement révolu, c'était du Trump Donald avant l'heure, la pente est là, on est mûrs pour des trucs de m......

Bref, j'ai fui vite fait ce groupe en mettant une jolie carte de visite bidouillée à l'arrache et affichée au centre social du bourg et à la crèche ( qui était prête à m'embaucher pour les remplacements). Diplômée, garde enfants à domicile, téléphone. Je rentre chez moi. Une heure après sonne le téléphone, une femme avenante me dit qu'elle cherche quelqu'un. On se donne rendez-vous chez elle. Sur la colline perchée dans une immense maison neuve, ancienne ferme de papy. Elle a un bébé d'un mois dans les bras. Tu m'imagines...Le courant passe tout de suite. Trois jours plus tard, je rencontre le papa et l'aînée de trois ans. Toi qui me lis aussi ailleurs, sur un blog d'écriture actuellement en jachère, tu as suivi mes émois 2019, mes admirations, mes bouleversements. 

Avant tout cela, jusqu'en 2015, je faisais le métier pour lequel je suis faite et pour lequel j'ai repris la fac de 1993 à 1997 puis de 2000 à 2002. J'étais professeur de français pour adultes, le plus souvent avec des personnes étrangères. Formatrice en Centre social sur des ateliers sociolinguistiques où tous les thèmes, toutes les activités, étaient possibles afin que des femmes sachent mieux vivre et communiquer en France et avec le français. Après un changement radical de mairie, la section "Education populaire" de la structure a été démantelée, quatre personnes licenciées économiques. En plein Charlie. 55 ans. J'étais pas prête.

Maintenant je me fais douceurs, je me fais plaisir avec mes pépettes, je soigne mes plaies et je me réjouis. Mais je n'apprends rien. Tout est dit. Se soigner est bien. Indispensable. Ne pas se faire du mal aussi. Laisser le cerveau au repos l'est moins ? Sentir qu'il y a tout un tas de pièces en moi, de lieux, de matériaux dans ma tête qui s'endorment, ne gravitent plus, ne se mélangent plus, s'assoupissent et traînent savate...Voilà ce qui ne va pas et devra aller autrement. Quand ? Comment ?

Je dis maintenant que je suis sortie du renoncement dans lequel mon licenciement de 2015 m'avait enfermée. Mais alors ? Fruits tomberont-ils du pommier ? Fleurs sortiront-elles de mon crâne ? Or reviendra-t-il au bout de mes neurones ?

 

 




 

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1 oct. 2020

Du temps libre et des livres ?

 Cette semaine, de mon temps libre je ne fais presque rien. Je marche dans la maison, de haut en bas, je cuisine beaucoup, comme d'habitude, parce que sinon tu manges quoi ?

Mon temps libre m'enserre, gonfle au fil des heures, me pèse peut être au point que je m'agite dans un même espace intérieur. Je mange mais je me mets debout aussi, je t'envoie un texto, j'écoute la radio, puis je retourne à la cuisine. Debout je regarde les oiseaux par la porte-fenêtre et je suis heureuse de revoir mes amis, le rouge-gorge surtout, qui a chanté quand j'étais dans la salle de bains, de ses trilles aigues et douces, mon ségnorito.

J'ai terminé le polar hier soir, à m'en décrocher les yeux. J'avais un peu décroché, mais je voulais savoir, à la fin, les dernières pages. Merci à Tifenn qui, en des temps tristes de confinement, m'avait indiqué des lectures quand j'en demandais. Ian Manook écrit vraiment bien. Le premier de la série, titré Yeruldeger est éblouissant. Il y a de tout dans ce livre. De l'action, de la vie mongole, des traditions, des moines, des méchants, de la baston, des paysages, des chevaux, des êtres qui s'aiment, des collègues, des mômes perdus, des montagnes, des rituels, du thé au lait caillé, des mets dégueulasses comme la tête de chêvre et bien plus, des beignets douteux, des raviolis dans des jus gras de moutons. C'est cru, faut y aller. Il y a aussi de la politique, des avenues staliniennes, des monuments géants, dans un pays que nous connaissons très très peu.

Le deuxième livre de cet auteur va jusqu'au Havre et  je n'ai su qu'en penser de cette coincidence, tandis que la veille j'avais passé des jours à retrouver cette ville sur le net, à m'y promener en direct dans les rues et le front de mer et à retrouver mon si coquet appartement d'étudiante, proche de la mer, un joyau. La cuisine donnait sur une cour d'école, c'était gai. Une amie, étudiante aussi, est venue y vivre, quittant son quasi grenier à 12 degrés, partagé dans une vieille maison avec deux garçons charmants. L'année d'après on a pris un plus grand appartement mais moins chic. Toilettes sur le palier avec vue sur mer, les tempêtes entraient dans les chiottes, ainsi que le sable, par la fenêtre vieille passoire. Merveille. Pas de salle de bains, une grande cuisine et son évier, une belle salle et une chambre. Elle dormait dans la salle, moi dans la chambre. Tout coulait de source. C'est dingue le nombre de personnes avec lesquelles j'ai pu partager des logements et où tout coulait de source, comme si on était de la même famille. Famille de coeur, de vrai, de tout. C'est l'âge aussi peut être, ce n'est plus aussi simple aujourd'hui. Quoique. Peut être.

Je voulais avoir terminé ce livre, le rendre en médiathèque, pour m'emparer du dernier livre de Carrère. Ce que je vais faire ce soir. Je l'ai acheté, c'est un évènement, j'achète très peu de neuf. J'ai aussi acheté le dernier Damasio, science fiction visionnaire. Les furtifs est le titre de ce livre-monde comme il les appelle. Cet auteur est un monde en soi, créateur de nouveaux mondes, lançeur d'alerte sur l'humain qui fout le camp dans les Data, visionnaire hors pair, capable d'écrire sur les sons, les langages, les spiritualités, les armes du futur, les rebelles de tous les pays, poète, rêveur, activiste de l'âme. Il a, dans ce livre, inventé un être hybride, le furtif, qui te troue le coeur de beauté et d'originalité. Ce livre est un quitte ou double, soit tu montes dans l'aéronef et rien ne te fera descendre, soit tu ne comprends plus rien et tu cherches trop à comprendre, tu perds patience devant la masse de signes et de pages et tu descends. Les livres d'Haruki Murakami me font cela des fois. Régulièrement. Je dois trouver la pépite qui m'emmène. "Kafka sur le rivage" a créé ce miracle, que je n'oublierai jamais. J'ai ensuite acheté le livre, j'achète mes guides, mes modèles, mes émerveillements, les troubles majeurs. 

Comme "Le chat qui venait du ciel". Un petit livre japonais. Pas si petit que cela. Unique, exceptionnel récit du rien et du tout dans une allée, une maison nouvelle, une vitre ronde, l'arbre immense dans le jardin voisin, et un chat qui passera, âme-tournante dans une vie.

 

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