14 juil. 2020

Laisser couler

Les baies de sureau pendent et croulent sur le balcon. Je ne sais pas si les oiseaux viendront les prendre, il me semble qu'ils raffolent plus de celles du cornu. Le cornu a des fleurs qui puent et des baies noires et bonnes.

Quel jour sommes nous ? Mardi, pas jeudi, non. Je crois que je me suis promenée samedi, oui, afin d'oublier un réveil agressif, mon voisin ayant autorisé des travaux sur son toit dès 6h du matin. Nous avons bondi dehors pour lui demander ce qui se passait. Tout à ce chantier auquel il participait, il n'avait plus notion de l'agression qu'il imposait, de l'interdit que l'entreprise bravait sans vergogne. Il n'arrivait pas à s'excuser ni à me donner raison quand je lui disais qu'un mot dans la boîte aux lettres eut été la moindre des choses.
On a été chiffonnés toute la journée. Le lendemain on est revenus les voir, on s'est expliqués, il a dit que sa femme lui avait demandé de nous prévenir et qu'il avait oublié. Ils sont calmes, discrets, leurs chiens de chasse adorables n'ennuient personne et viennent se faire papouiller au travers de leur portail. Pour le reste, rien à attendre de plus, mais c'est déjà mieux que rien. 
Donc, avant ce lendemain où on fumât le calumet de la paix, le jour des maudits travaux je suis partie marcher.

J'ai commencé ma marche, dans les environs de la maison, d'une manière vive, avec bâtons de marche. Et dès la première mini montée je me suis entendue souffler, grogner et ne trouver aucune consolation. Pourquoi ne marcherais-tu pas lentement, en balade, mollement et doucement ? Ben oui, pourquoi ? Me voilà donc lente et disposée à embrasser le temps, à ne pas aller loin, à profiter de chaque pas et de l'air qui passe. Il ne fait pas trop chaud, on est bien.

Je passe devant le camping. Un petit camping auto-géré, près de chez nous. Face au pré de la jument que je connais depuis neuf ans maintenant. Et qui m'a acceptée. Elle n'aime que les femmes et peu les humains, on dirait. Mais entre nous cela s'est construit. J'avais un peu parlé avec sa maîtresse, toute jeune femme à l'époque, qui avait amené un cheval à la belle Nymphéa, ils se sont plu mais aucun poulain n'est venu. 
Nymphéa est bien brossée, bien aimée. Elle a sa cabane où elle se cache. Quand elle entend ma voix, elle sort. Je connais mal les chevaux et en ai peur. Cela date d'une activité obligatoire en collège, plusieurs séances de groupe avec la prof de sports, dans un manège local. J'étais pétrifiée. Heureusement une amie qui faisait du cheval a pu m'aider, me rassurer, bien mieux que les moniteurs du manège. J'avais détesté cela et trouvé les chevaux très très hauts. Un calvaire. J'avais tout le temps envie de pleurer.
Nymphéa la sauvage m'a réconciliée. On se comprend. Son pré est plein de petits lapins. Quand je passe, ils sont deux devant la cabane, totalement immobiles. Je m'arrête. Ils me font rire, on dirait des statues. La jument, elle, reste cachée. Il faut dire que le camping est de l'autre côté du chemin et que, comme moi, elle n'aime pas l'été.
On s'est connues en hiver aussi, sous la neige épaisse. C'est là que nous sommes les plus heureuses.


Je continue mon chemin, observe le petit camping sympa. Plein de places encore. Je tourne là où le chemin goudronné monte un peu et devient chemin de terre pierreux. Je salue les campeurs. Les grands-parents dans leur camping-car et les adolescents près d'eux qui montent des tentes sous les arbres. Il y a une jolie petite piscine vide. L'atmosphère est bon enfant. 

Au bord du chemin, des arbres, des arbustes et ce prunier que j'avais oublié. Ses longues branches molles ploient sous les petites prunes de couleurs rouges et bordeaux. Je les touche, leur parle, leur souris. Ce petit arbre sauvage, libre, pas encore tué par des humains, est émouvant. Un peu plus loin règne un noyer, le sol est jonché de noix en automne, souvent déjà toutes ramassées, parfois j'en chipe un peu dans mon sac. Il est bon de chiper des noix. 

Le prunier est empli de feuilles jeunes et très vertes, et couvert de fruits très beaux. Je passe mon chemin puis je m'arrête. En fait ai-je, là, vraiment envie et besoin de marcher pour me réconcilier et me consoler ? J'aime m'arrêter quand je marche, j'aimerais un banc tous les 500 mètres pour ne plus bouger, ne faire aucun bruit et écouter, regarder. Devant moi un beau champ qui ondule et au loin le Vercors de pierres et de falaises, mon éléphant gigantesque mais proche, humain. 

Le petit prunier est maintenant en contrebas, je le vois. Je vois ses branches vertes, sa grâce, sa fragilité. Mon coeur est serré, je me sens repartir en arrière, il y a des années, quand petite j'allais dans les vergers et les jardins corses avec ma mère. Les odeurs chaudes, envahissantes, des fruits ultra mûrs, éclatés de soleil. Les fruits sur le marché, tout frais, les odeurs des herbes fraîches avec lesquelles on cuisine. Je revois un autre prunier, avec un amie du Béarn, chez elle. Des reines-claudes à profusion. Je pense à ces souvenirs comme à un paradis perdu. Je ne sais pourquoi cela serait-il perdu, je ne sais pas où j'ai laissé une clé. A quel moment ai-je laissé tombé quelque chose. Pourquoi ne puis-je plus aller sur des terres d'enfance et familiales ? Y-a-t-il une rupture qui s'est faite, que j'ai faite, et dois-je revenir vers mes pas ? Je pense à ma nièce, évoquant la Corse,  qui me disait vouloir 
"y retourner...". Y retourner ? Le coeur ouvert. Sans creuser, faire fleurir les tombes, accueillir la beauté, retrouver les perdus, remettre dans la besace le bon à l'endroit. Faire simple, laisser couler ?

Immobile presque je pleure. Déverrouillant des portes, un nuage en sort, sous mes pieds.

Je repars d'où je viens, un peu plus lentement, souriant aux mêmes endroits, aux mêmes choses peut être. Je croise une jeune fille avec un beau chien blanc, jeune. Il s'approche de la clôture de la jument, et pousse un jappement de douleur et s'en écarte d'un saut brusque. Il vient de découvrir l'électricité. Sa maîtresse le cajole. Je leur parle. A deux pas, un autre chien, une chienne, une merveille, une racée je pense, haute, élégante, toute poilue couleur chevreuil avec du blanc, d'une douceur de comportement rare, en totale confiance, elle s'accorde naturellement à son maître. Une osmose. Nous nous parlons. Ils sont très beaux.

 Je ne sais rien de plus sur le chemin de retour. J'y revois une femme assise dans son jardin, qui enlève des petites herbes dans son allée de gravier, brin après brin, qu'elle dépose dans un seau. Elle est assise au sol, comme en méditation active, d'épais cheveux bruns, une jupe ajustée sur ses genoux relevés, un chemisier blanc. Elle ne chante pas mais je l'entends presque chantonner dans sa tête une berceuse pour les cailloux, pour les petites herbes et les minuscules gravillons qu'elle remue délicatement, comme des perles précieuses, des ailes de papillon. J'aimerais être invisible et sur ce banc qui n'est pas, en face de son jardin, je la regarderais, ses gestes apaisants,  son silence enrobé d'un espoir, certain, qui ne demande rien.

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