4 juil. 2020

On frappe à la maison

Curieuse après-midi.
Deux personnes ont frappé à ma porte

D'abord le grelot, la cloche, tiens c'est bien, quelqu'un qui voit qu'il faut remuer les gling gling, car il n'y a pas de sonnette.
Je viens, je crie "J'arrive" car je suis à l'étage.
Derrière le portail bleu en bois, un homme. Plutôt épais, en t-shirt et bermuda, plutôt sous le soleil, cheveux très courts, visage rond. On lit immédiatement que cette personne est dans le besoin, va demander quelque chose.
Il dit qu'il vendait des chaussettes sur le marché et ne travaille plus depuis le confinement.
Il a dans sa main un document replié, dans sa main pliée, une main trapue, courte et épaisse. Contre le document on voit sa carte d'identité. Il tient cela de la main droite.
Il me dit qu'il essaie de s'en sortir en vendant quelques produits, des savons dans une boîte en carton, et des flacons de savon liquide " de Marseille".

Il me dit que "les dames" du quartier ont bien aimé ce produit en flacon.
Il dit qu'il propose 20 euros, mais que c'est selon le bon coeur des gens. Bref, il fait l'aumône moderne, avec un échange de produits.
Il parle plusieurs fois, les mêmes phrases, et me regarde avec un air de chien battu suppliant.
Assez vite je l'interromps, je lui dis "Merci, mais je ne vais pas vous acheter quelque chose". Auparavant j'ai beaucoup souri et encouragé de mes yeux, sa quête, son désarroi, sa démarche plaintive.
Mais je suis désolée monsieur. Non cela je ne lui dis pas.
Dès que je lui dis "Je ne vais pas..." son regard change, il voudrait presque me culpabiliser, il prend un air penaud et déçu, très déçu.
Je suis totalement insensible à cela.
On se dit au revoir, il n'insiste pas, je lui souhaite bonne chance.

Je rentre chez moi. Je me parle à moi -même " Oui ben toi, comme tu as vachement bossé avec les gens en détresse et dans l'aide sociale, tu es de fer, tu te méfies, pour montrer patte blanche il en faut des tonnes". Et je n'ai pas 20 euros à donner pour faire plaisir à quelqu'un dont je ne connais rien. Ta carte d'identité dans ta main, bien exposée, crois-tu que ce soit un gage de quoi que ce soit ?
Le baratin c'est une chose, la réalité en est une autre. Je n'ai aucune confiance, à priori, en l'être humain.
Je ne sais rien de toi, je ne sais pas comment tu étais rétribué avant le confinement, je ne sais pas comment Pôle emploi s'occupe de toi, je ne sais pas où tu vis, avec qui, et quelles activités tu as pour t'acheter à manger. Je suis une peau de vache, tu es mal tombé, je n'ai aucune conscience catho-la charité. Il me faut un dossier de plusieurs pages, avec ton budget dessus et tout sur ta situation logistique et financière pour que je puisse ne serait-ce que penser à aller vers toi.
Ce fut mon travail, de consulter des dossiers d'aides, et j'ai appris à m'endurcir et à freiner tout élan.
Tu es mal tombé.
Je ne suis pas "Les dames, elles ont bien aimé..."
Fuck.


Les heurs passent.
Entre temps j'ai foiré ma remise à jour des joints de la douche. Fuck, la super colle à carrelage que j'ai acheté hier est...GRISE.
Oh Noon. C'est du blanc qu'il me faut.
Donc j'ai bidouillé. Je n'ai pas réalisé une chose belle, propre et blanche.
Mais c'est hermétique. Etanche, je veux dire
Ouais, étanche comme moi avec le bonhomme aux savons.

Je suis sur l'ordinateur quand j'entends à nouveau frapper, puis une voix "Laure !"
Je remonte la fermeture éclair de mon short et je vois une copine.
Partie en coup de tête de chez elle, a marché en plein soleil, sans eau.
Demande asile et boisson.
Pas de problème.
Du coup on papote.
Elle s'hydrate puis repart.

Marcher en plein soleil l'après-midi, sans eau. Voilà bien quelque chose que tu ne me verras jamais faire. Déjà chaleur + moi, oublie, ou ajoute "maison fraîche" " bien chez soi" " je ne bouge pas".
C'est comme ça.

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