Aujourd'hui, au Nord Est de la Thaïlande, Thussanee sera crémationée et accompagnée dans un temple.
Comme il se doit.
Comme il se doit.
On l'appelait Tik, aussi, car tous les thaïs, comme beaucoup d'américains, ont des surnoms. Pourtant leurs noms sont beaux. Son mari est Theerawong, fan de musique. Je lui ai envoyé la chanson ci-dessous, de mon artiste préféré ou presque. De ces compositeurs chanteurs qu'on écoute un jour pour la première fois et dont on se souvient pour la vie.
Je ne sais pas si j'ai sa bonne adresse mail, mais il fallait que j'envoie quelque chose. Des phrases en mauvais anglais, et une musique, lui qui ne peut vivre sans.
Theerawong est un thaï à part, il a adoré travailler avec des étrangers. Tout de suite. Il était très cultivé, plus que la moyenne. Ouvert, sans préjugés qui ne puissent bouger. Ils furent quelques uns, dans le camp de réfugiés où je travaillais, quelques uns exceptionnels qui nous ont beaucoup appris.
Il fut moine, enfant et jeune homme, comme beaucoup de boudhistes, qui passent quelques années au temple, une éducation, une spiritualité, une culture, une discipline.
J'aurais pu tomber amoureuse de lui si je n'avais déjà eu deux amours sur place. Un bienaimé avec lequel j'étais arrivée, un autre qui ne m'attendait pas et était là, bien installé, maintenant mon mari, pour la vie.
Tik est venue travailler dans notre ONG, je me souviens de son arrivée. Je l'ai moins connue, car elle était un peu intimidée au début, discrète et observatrice. Très professionnelle et intelligente. Je sais où elle habitait, en colocation avec ses collègues thaïs et, doucement, calmement, comme elle était, elle séduisit Theerawong, le fougueux, l'incertain, le brillant. Il lui fallait sans doute une femme qui l'accepte, le soutienne, l'apaise, dotée d'un cerveau bien rempli, une vraie associée et une constance.
Le cancer a mangé cette Constance en une année, le cancer aime les jeunesses, elle avait la cinquantaine et deux beaux enfants, de jeunes adultes que je ne connais pas mais qui sont, je suis sûre, ouverts comme leurs parents, aux idées, aux cultures, aux doutes, à la passion quand elle vous prend. Ils ont eu le calme et la force stable avec leur mère et la fougue batailleuse avec leur père conquistador et rêveur hypersensible.
C'est le soir là bas, tandis que ce matin j'écris. Hier, un ami -français- commun nous a tous envoyé un mail, un appel, une souffrance face à la mort et la distance. Nous ne serons pas au temple demain, pourtant j'aurais aimé, j'aurais souhaité, sans que personne ne me voit, même, y être. J'ai croisé chaque semaine, en vivant en Thaïlande, des cortèges de funérailles, des temples emplis, des fumées d'adieux. Les temples boudhistes sont des merveilles. Je ne suis jamais retournée en Thaïlande, contrairement à cet ami commun qui visitait ce couple, Tik et Thee..., régulièrement, chez eux. Leurs enfants se connaissent aussi.
Si un jour on me donne une baguette magique, jugeant que je la mérite, je la ferais me transporter en quelques secondes loin, là où tous les j'aime, j'aimais, je t'aimerai.
Si un jour on me donne une baguette magique, jugeant que je la mérite, je la ferais me transporter en quelques secondes loin, là où tous les j'aime, j'aimais, je t'aimerai.
Hier, le soir, j'envoyais quelques mots là bas pour ce mari qui a perdu sa Constance, son pilier, lui qui continue de douter, de vivre de jobs hasardeux peut être et qui a beaucoup changé physiquement, beaucoup grossi, son visage autrefois émacié et princier, est fondu dans un nouveau visage, qui dit ses errances, ses fatigues, ses vies. Il adore littéralement les chats, blancs surtout. Un autre signe très occidental qu'il partage. Nourrir un chat et le choyer dans une maison, cela ne se faisait pas dans les années 90. Je me demande si, en nous voyant gagatiser avec des chatons, Theerawong n'a pas découvert qu'il pouvait se laisser aller à ses impulsions. "Ah..ces français sont vraiment bizarres mais j'aime ça."
Ni lui ni sa femme ne sont venus en Europe. Il faut beaucoup d'argent. Moi, je ne pense pas retourner en Thaïlande sauf avec des cendres à déposer dans le Mékong, les tiennes mon chéri, je t'ai promis. Mais si tu changes d'avis et préfères l'Océan de ton enfance, je dis oui merci. J'ai parfois du mal à repenser à tout ce que j'ai vécu en Asie du Sud-Est. C'est soit le chagrin, soit la nostalgie, la nostalgie de la culture, des modes de vies, des parfums, des tissus, des fleuves, de la cuisine, des langues étrangères, et surtout du boudhisme et des temples. Rencontrer pour la première fois un temple, in situ, change la vie. Un temple et ses habitants car les temples ne sont pas comme nos églises, glaciales à tout point de vue pour moi, ce sont des lieux d'éducation, d'instruction, de vies, avec leurs logements annexes. Ils sont remplis d'enfants et d'hommes en habits oranges et aux crânes rasés. On dépose ses chaussures en entrant, comme dans tout habitat, et on est le bienvenu, c'est ouvert, à ciel ouvert, portes et fenêtres. Habité, d'encens, de fleurs, de sculptures, de bois et de prières. Quand on ressort à la lumière, dehors, on ne sait plus qui l'on est, comment on vit et ce qu'on deviendra. Car tout est changé, invisible mais dense.
Tous les anciens amis et collègues thaïs sont de fervents boudhistes. Certains étaient au temple à 5h30 avant de prendre le travail. Le boudhisme est une spiritualité, une guidance de l'âme, quotidienne, une pratique de vie, comme on se lave ou mange. On prie, on médite, on se concentre, on se rend au temple pour penser, pour se détendre et se recentrer, on amène parfois de l'encens, des fruits pour Bouddha, qu'on dépose au pied de sa statue. Lui qui toujours placide affiche un large sourire qui vous berce d'emblée et vous oblige à faire bouger la noirceur.
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1 commentaire:
Les gens qu'on aime au lointain, qu'on oublie parfois avec le temps et qu'en fait nous sont inscrits en mémoire et ne partent jamais. Je pense à Amélie, qui partira un jour, dont seule la voix au téléphone est capable de me faire pleurer, parce qu'elle représente tout ce que j'ai laissé là-bas. On ne devrait jamais partir, jamais laisser, on ne devrait jamais aimer, tant la souffrance de la perte, cristallise la distance.
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