22 oct. 2020

You too

 Ben moi je me suis pris la claque.

Je n'avais pas pensé qu'il y aurait le cercueil.

J'avais décidé de m'isoler devant la télé à 18h30, pour l'hommage à cet homme disparu, assassiné d'avoir fait son métier. J'avais besoin de creuser ma peine, j'avais besoin d'un moment symbolique, j'aime les moments symboliques quand je suis en écho, quand la tasse déborde.

Et la tasse déborde. Elle me ramène à 2015 et à mes années de travail dans un quartier très habité de musulmans, quand je bossais avec des groupes de femmes et quand mes collègues étaient algériens et marocains et m'expliquaient ce qu'était l'islamisme puisqu'ils l'avaient eu au pouvoir. A l'époque la mosquée du quartier était infiltrée, je l'ai appris tardivement. C'est le père d'une collègue, algérien, cultivé, grand croyant, qui s'était révolté après avoir passé cinq minutes dans cette mosquée. Il était ressorti dévasté, outré, " Ce n'est pas un imam ! C'est un prédicateur dangereux ! Comment une telle chose est possible en France !! Ici aussi !??". Lui dont le nom était placardé sur les murs, dans son pays, sur les listes des hommes à dénoncer et abattre durant la terreur du F.I.S.

J'ai beaucoup beaucoup appris avec eux. J'ai passé une dizaine d'années dans le quartier. Les gosses étaient "pro Kouachi" et le reste, les mômes étaient incontrôlables, les dealer nous bloquaient les rues empêchant les voitures de circuler, discutant avec leurs potes en plein milieu, terreur silencieuse, passivité des habitants. Un jour, je m'impatiente, je fais un signe et contourne un mec qui était penché sur la portière de son pote. Je manoeuvre pour passer et me garer à 100m, devant le boulot. Je raconte ça aux collègues qui me disent " Tu es folle, tu vas te faire caillasser ta bagnole !". On n'avait jamais abordé ce sujet, je m'apercevais que c'était une soumission quotidienne, une habitude. J'ai ensuite changé mon trajet pour me rendre au boulot sans passer par ce carrefour "occupé".

Je n'avais pas pensé qu'il y aurait le cercueil. Je savais qu'il y aurait le groupe U2 en ouverture de la cérémonie d'hommage. Ce groupe que j'aime tant, cette chanson que je connais tant et que je vénère.

Mais je n'avais plus en mémoire les paroles et voilà que sur mon écran de télé elles s'affichent sur le côté, en français, tandis que le cercueil entre dans la cour de la Sorbonne.

Et là, j'en prends lourd, j'en prends cher, j'en prends de toutes parts et je m'ouvre en deux, telle une barque fendue, je prends l'eau de tous les côtés, de tout et de partout dans ma vie, dans mon âme, dans mon cerveau, je pleure puis sanglote avec bruit, je me plie, je prends mon visage dans mes mains, je me répands. Je sombre, au fur et à mesure que le cercueil avance et que Bono, le chanteur du groupe, avance dans sa chanson, cette chanson que j'aime, qui a fait partie de ma vie, et dont je retrouve les paroles immenses qui creusent encore plus ma barque maintenant sous les larmes. Et je rejoins cet homme dans sa mort, gisant là dans cette boîte,lui  qui aimait cette chanson, qui chérissait ce qu'elle emmène en nos coeurs et nos cerveaux, et j'en prends pour mon grade et enfin je vous pleure monsieur, mais surtout je nous pleure tous, épouvantée par le chemin qu'il faut faire, face à cette violence et cette ignorance, ces souffrances et ces haines aveuglées que je connais bien pour les avoir côtoyées. Je sanglote sur le terrible travail de tous, pour tous, que cela va demander. Moi j'ai déjà fait ma part. 

Violence et  haine, bien entretenues par la bêtise crasse, suffisent, hélas même portées par une minorité, pour empoisonner une vie et la détruire.

Nous ne nous en remettrons jamais.


One de U2

One 
Un

Is it getting better
Cela va-t-il mieux
Or do you feel the same
Ou ressens-tu la même chose
Will it make it easier on you
Est-ce que ce sera plus facile pour toi
Now you got someone to blame
Maintenant que tu as quelqu'un à blâmer

You say
Tu dis
One love
Un seul amour
One life
Une seule vie
When it's one need
Quand il n'y a qu'un seul besoin
In the night
Dans la nuit
It's one love
C'est un seul amour
We get to share
Nous devons le partager
It leaves you baby
Il te quittera bébé
If you don't care for it
Si tu n'en prends pas soin

Did I disappoint you?
T'ai-je déçu ?
Or leave a bad taste in you mouth?
Ou laissé un goût amer dans la bouche ?
You act like you never had love
Tu agis comme si tu n'avais jamais reçu d'amour
And you want me to go without
Et tu veux que je parte sans amour

Well it's too late
Et bien il est trop tard
Tonight
Ce soir
To drag the past out
Pour faire resurgir le passé
Into the light
Dans la lumière
We're one
Nous ne faisons qu'un
But we're not the same
Mais nous sommes différents
We get to carry each other
Nous devons nous soutenir
Carry each other
Nous soutenir
One
Un

Have you come here for forgiveness
Es-tu venu(e) ici pour demander pardon
Have you come to raise the dead
Es-tu venu(e) ressusciter les morts
Have you come here to play Jesus
Es-tu venu(e) pour jouer à Jésus
To the lepers in your head
Pour les lépreux qui sont dans ta tête
Did I ask too much
Ai-je trop demandé
More than a lot
Plus que de raison
You gave me nothing
Tu ne m'as rien donné
Now it's all I got
A présent c'est tout ce que j'ai
We're one
Nous ne faisons qu'un
But we're not the same
Mais nous sommes différents
We hurt each other
Nous nous faisons du mal
Then we do it again
Puis nous recommençons

You say
Tu dis
Love is a temple
L'amour est un temple
Love is a higher law
L'amour est une loi divine
Love is a temple
L'amour est un temple
Love is a higher law
L'amour est la loi divine
You ask me to enter
Tu me demandes d'entrer
But then you make me crawl
Mais ensuite tu me fais ramper
And I can't be holding on
Et je ne peux me raccrocher
To what you got
A ce que tu as
When all you got is hurt
Quand la seule chose que tu as c'est la douleur

One love
Un seul amour
One blood
Un seul sang
One life
Une seule vie
You got to do what you should
Il te faut faire ce que tu dois faire

One life
Une seule vie
With each other
Ensemble
Sisters
Sœurs
Brothers
Frères

One life
Une seule vie
But we're not the same
Mais nous sommes différents
We get to carry each other
Nous devons nous soutenir

One
Un
One
Un

4 commentaires:

Tifenn a dit…

Je n’ai pas pu regarder. Pas voulu. C’est trop. Je ne pouvais pas ce trop. Je n’en peux plus. Je je je. Et les autres ? Je me ferme et m’asseche Il me manque la nourriture de la source, toute cette nourriture bue par le sang versé. J’ai envie d’ecrire, comme toi, et je me dis à quoi bon? Et pourtant la chanson de Bono est dans mes oreilles.

Laure a dit…

ça va venir, tu as trop de mots en fait, mais à un moment la barque sera pleine et hop, coule l'encre de tes yeux.
Moi je voulais craquer mon sac, je n'avais pas encore pleuré, je voulais que ça pète en moi, que je compatisse encore plus, que je me noie.
Tu sais quoi le truc qui me fout en l'air c'est aussi les deux mômes qui ont accepté de cafter pour de l'argent, sachant très bien que ça puait, puis sont allés mettre devant les "petits frères " au moment X. La puanteur, l'horreur au dessus de tout, des ados, qui ont permis le couteau, face au prof...Lui.

Tifenn a dit…

Le problème, c'est que la barque pleine va s'alourdir des autres colis pesants de 2020. J'ai envie d'écrire mais pas de me plaindre. Tu vois? Ma vie n'est pas la pire. Le monde est pire. Alors pourquoi me plaindre de la douleur des autres, si ce n'est de l'écho puissant? Et si je craque en ce moment c'est beaucoup qui se noie.ent.

Laure a dit…

Ecrire n'est pas se plaindre si on n'est pas là dedans.
S'exprimer sur ce qu'on ressent n'est pas une plainte futile et fermée qui n'aurait pas de dimension large.
Ecrire sur soi n'est pas se plaindre, n'est pas "de trop et sans interêt pour les autres". C'est la forme qui compte et fait alors la différence, la façon d'écrire.
Il peut y avoir des moments et des écrits où on a besoin de dire une douleur, un trop plein, juste égoïstement presque, c'est une chose.Cela peut être un journal qui reste intime le plus souvent et l'on trouvera cela dérisoire en relisant quelques temps après, par ex...
Il y a des textes qui expriment au delà de cela. Bien au delà.
Mais c'est sûr, l'égo se laisse aller quand on écrit, ne serait-ce que par la prétention de penser que quelqu'un lira et sera touché.

Merci à toi.