J'ai passé la semaine en dessous de zéro épuisement. Totale cramée. Je faisais des journées presque entières avec les fillettes que je garde, chez elles. J'étais fatiguée comme rarement, sortir du lit le matin était impossible, un treuil, un poids lourd, une grue, amène-moi tout ça.
Une fois sur place les choses se passaient souvent agréablement, mais me demandaient une attention illimitée. Les filles grandissent, il faut aussi s'adapter à tout ce qu'elles vivent et assument. Les moments sans école, sans crèche, les retours de vacances à la mer avec maman. Une maman qui prend ses filles sous le bras, remplit la bagnole de valises et hop. Une chouette maman. Un chouette papa aussi, très poule et plus présent que la mère qui a des horaires intenses.
Il a fallu faire quelques mises au point avec l'aînée qui vrillait un peu et ne rangeait plus rien, agissant comme un bébé, jalouse à mort de sa soeur qui va avoir deux ans. Bref, elles m'ont attrapé chaque partie de mon cerveau, de ma peau. C'était bien, au final. Mais j'ai tiré la langue et suis revenue chaque soir chez moi dans un état trop loin de moi, moche, sans intensité, tout en nervosité ou raplapla. En bref, j'ai fait quatre jours de plein temps et il y a très longtemps, j'ai pris une décision dans ma vie, celle de travailler à temps plein le moins possible.
J'ai fait des temps partiels, des temps plein, et des mi-temps et j'ai comparé très vite, dès mes 20-25 ans. Surtout quand le boulot te plait et que tu as une responsabilité vis à vis d'un public, enfant ou adulte, et vis à vis de tes collègues, au moins la responsabilité de maintenir une ambiance conviviale et de faire ton travail comme il faut voire bien mieux, alors quand tu veux le meilleur, il faut abandonner le temps plein, avec joie. Et puis il y avait la vie, la vie personnelle, amoureuse, amicale, qui fut mon pilier, ma priorité. Il y avait une vie en dehors des heures de travail, et elle me plaisait, elle serait mon essentiel. Renoncer à l'argent, au confort matériel, à la voiture, économiser, faire avec un demi salaire, cela en valait largement la peine. Je ne suis pas faite pour bosser toute la journée. Venir au travail avec plaisir, rendre les gens heureux, ne pas tirer sur la corde, arriver pleine d'envie, ne pas fouiner dans les relations toxiques au travail, venir comme une traînée dorée, un moment, passager, donner le maximum et surtout repartir vers la liberté, de cette vie que je veux libre. La peur de l'emprisonnement est totale chez moi. J'ai voulu être bénévole en prison, un jour, sur Paris, avec une super association qui travaillait avec les mères emprisonnées et leurs enfants. J'ai retrouvé récemment un document sur mes démarches pour m'y engager. Mais j'ai déménagé, j'ai quitté Paris. Tant pis.
Hier soir je suis rentrée chez moi soulagée, finies les longues journées et le mental qui ne suit plus et le corps qui rampe pour avancer. Stop. Je serai vigilante l'année prochaine, je me garderai des matinées quand je travaille durant les vacances des fillettes. Cet étouffement, cette sensation d'aller trop loin, d'être cernée, de ne plus pouvoir respirer, je ne sais pas vivre avec. Le choix je l'ai fait dès le début de ma vie professionnelle. Parfois, je n'avais pas le choix du rythme mais le travail valait ce sacrifice. Parfois non. Je ne suis jamais restée très longtemps sur des temps plein, j'étouffais, je me resserrais, je craquais dedans.J'ai pris beaucoup de risques, régulièrement, pour être libre, pour me priver d'argent pour rester libre et entendre les marées de la vie remuer mes intérieurs. En me sentant tellement à bout cette semaine, je repense à ce que je suis, ce que je peux et ce que je ne peux pas, ou ne peux plus. Je me revois marcher, heureuse de retrouver un travail près de chez moi, il y a plus de trente ans. Je connais par coeur tous les métiers que j'ai exercé, plus d'une quarantaine, un peu, un peu plus, beaucoup. Mon tableau récapitulatif sur le site de la retraite a réussi à tous les noter, tous les trouver, jusqu'à mon job de vendeuse de poisson pour ma première année de fac de psycho. Sur certaines années est écrit " emplois multiples". Cela me fait marrer. En résumé " multiples" oui, tu as bien pigé.
Restons multiple. Je n'ai jamais voulue être comme les autres. Je ne sais pas d'où ça vient mais ça m'a pogné dès le lycée, en ayant bien mitonné dès le collège puisque j'étais la plus jeune partout et que tous avaient deux ans de plus. Je crois que je suis devenue moi en redoublant ma seconde et en décidant que je serai comme j'étais. Ni de la tarte ni du gâteau, ni du facile ni du léger, du nuageux qui retombe, du plomb qui rêve d'or.
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