Un rendez-vous très instructif hier au Centre social avec la directrice, une femme exceptionnelle, très ouverte, qui sait écouter, et qui, ensuite, sait dire, de manière claire, si oui, tu as raison de creuser ce projet ou si, non, cette idée n'est pas viable, ici, là, en instant T de ce lieu Ici ( le territoire, par ex, le village, etc). En même temps, comme elle le dit " Je ne suis sûre de rien". Dans l'absolu. Simplement elle évalue régulièrement ce qui se vit, se construit, est en mouvement ou stagne, dans l'environnement professionnel et associatif. Et elle en parle, de manière claire. Tranchée.
L'année dernière je suis venue la voir au sujet d'un projet d'animation sociale à domicile, chez les personnes âgées. L'idée m'était venue de proposer mes services mais ni pour du ménage ni pour du soin. Je m'étais renseignée, cela existe dans certains départements, qui offrent aussi des aides financières pour cela. J'ai passé trois mois à évaluer la viabilité du projet, j'ai rencontré une dizaine de professionnels, à divers niveaux de responsabilité, au plan départemental, communal, associatif etc. Quand j'ai vu cette directrice j'avais enfin eu des rendez-vous qui "planaient" moins et on me faisait comprendre que c'était bien joli mais que cela ne marcherait pas. C'est à la même conclusion qu'on est arrivées toutes les deux, l'année dernière, au Centre Social. C'était bien car le centre a une grande expérience avec les vieux, un service à domicile qui marche très bien, ainsi que des activités collectives, avec un large partenariat local. Donc, il connaissent très bien les familles. "Personne ne paiera pour ce genre de prestations" fut une nouvelle fois la rengaine, même si ce n'est pas la seule raison. Les freins sont multiples, mais je ne reviens pas là dessus dans cet article ( j'ai déjà écrit sur cette expé l'année dernière).
Non, c'est juste pour dire que cette femme est sincère et bien au fait de ce qui peut fonctionner. Le C.S est très actif, porteur de plein de projets qui touchent tous les âges. Innovant, audacieux, militant, et bien outillé sur la participation citoyenne.
Je venais pour lui parler des coquelicots ( nousvoulonsdescoquelicots.org). Je suis finalement revenue bredouille sur le sujet, mais pas bredouille pour ma réflexion personnelle. Je suis venue seule, et déjà je savais que c'était une erreur. En octobre j'ai déjà essayé de rameuter des foules, sans résultat. J'avais bien compris que ce mouvement demande une arrière garde de pro. Des associations militantes, qui savent investir des places publiques tous les premiers vendredi du mois comme depuis le 5 octobre. Ici, c'est sur le Vercors qu'existe la seule association très impliquée dans l'écologie, dans l'animation, l'information, porteuse des coquelicots depuis le début, active, réactive, militante. Je ne vis pas sur les hauteurs, je suis quasi "dans la plaine" par rapport aux habitants du Vercors. Je ne la connais pas, on s'est vus une fois le 5 octobre, on doit se revoir bientôt. Ils n'ont pas besoin de moi, ils ont leurs troupes, leurs réseaux, départementaux, régionaux et au delà. Ils bossent, ça bouge. Donc, moi, ben avec ce goût de me jeter dans les flammes je suis encore une fois allée sonner à une porte, seule, sans appui, sans arrière garde. J'ai pourtant déjà vu ce que cela donne dans mon secteur...
C'est d'ailleurs de cela dont je lui parle, de mon semi échec local. Les gens t'écoutent mais pas plus. Je suis même allée déposer des feuilles de signatures du mouvement, dans le fief bio local. Une ferme bio collective très engagée. Trois semaines plus tard, ils avaient perdu mes feuilles, ne les avaient pas montrées...10 signatures...alors que passent là au moins 100 personnes par semaine ! Et là elle m'arrête, me dit " Voilà, c'est exactement ce que je voulais vous dire. Ce que vous me racontez ça m'éclaire totalement." Oui, Y a t-il plus engagé contre les pesticides que cette ferme ? Non. Et pourtant " Vous voyez, ça ne prend pas.". Alors que quand "ça prend' les gens sont là, les gens répondent présents. De là elle me parle de ses observations : on ne sait pas toujours pourquoi, on a beau des fois y mettre le paquet, avoir les financements, le personnel, les offres pour le public, le public plutôt ouvert...et ça ne marche pas, y'a rien à faire, ça ne trouve pas écho, ça fait flop. Ils ont le cas sur tout un pan de leurs actions sur la mobilité. Pourtant tout y est, même les véhicules. Je n'ai pas demandé les détails sur cette action qui a au moins dix ans d'âge. Visiblement le constat est un flop. Chacun continue de prendre sa bagnole, j'imagine, comme moi je le fais, dans un périmètre de 20 kms autour (et malgré un service départemental de cars journaliers).
On a discuté écologie, coquelicots. Elle accueille volontiers des groupes qui souhaitent s'organiser, elle soutient les associations qui sont déjà constituées. Mais moi, là, seule et avec mon propre constat que personne ne s'organise autour des coquelicots dans mon village...ben, oui je lui confirme " Cela ne prend pas, pas au point de former un groupe actif."
Je vois qu'elle a mis l'affiche des coquelicots dans son bureau, sur la vitre. On sourit. "Je suis fainéante moi aussi, dit-elle, je fais le minimum.". Puis on repart sur l'implication écologique des habitants. " Ils n'ont pas le temps. Il faut bosser pour manger, ils n'ont le temps pour rien."
Y'a des choses qui ne prennent pas. Elles prennent ailleurs, c'est là qu'il faut continuer à aller si tu veux les trouver, Laure, voilà ce que je me suis dit. Voilà qui m'a conforté. Et apaisée aussi. Il faut aller vers les associations existantes, vers les lieux qui nous conviennent, là où ils sont. Ici, tout près, ou ailleurs.
Ma journée se terminait ainsi et j'en étais satisfaite. Le matin la démonstration m'en avait été donnée. Pas de "Lire et Faire Lire" dans mon secteur géographique ? Non, hélas, alors je suis repartie sur la ville voisine, pour y lire des livres dans les écoles, comme il y a deux ans. Le matin j'étais bien dans une classe géniale avec une enseignante motivée, ouverte, collaborative, qui m'a épatée. Je ne trouve pas cette possibilité et cette qualité près de chez moi, je suis allée les trouver là où elles existent. Cela étonne beaucoup les gens que je rencontre dans cette ville voisine, atelier d'art, écoles pour lire des livres...on me dit " Mais tu fais la route !!!"...Ben oui, "C'est important pour moi, j'en ai besoin, et je ne trouve pas cela dans mon village". Je dois prendre ma voiture pour trouver ce qui m'est essentiel. C'est aussi ça la vie à la campagne, mais pas seulement. On est tous prêts à bouger pour apprendre, se faire du bien, se sentir vivant, utile, aimant. Y'a des essentiels qui trouvent un terreau à côté de ma maison, d'autres qui le prennent plus loin. J'ai enfin cessé de vouloir faire pousser des coquelicots dans les rues de mon village, ils pousseront un peu plus en hauteur cette année et peut être sans moi. Et c'est bien comme ça.
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