31 mars 2012

Du tonnerre

la Miche, troisième chapitre. Un jeu où écrire une histoire,  initié par Mère castor.
(pour infos : chapitre unchap. 2)

La Miche au bout du bout du chemin des Retauds vivait seule, telle qu'elle est.
Une vieille chaise en paille devant la cuisine, c'est là que le facteur lui laisse le courrier les jours de marché.
Parce qu'au marché du mercredi et du dimanche elle vend ses fromages de chèvre. C'est Dédé qui lui confectionne les paniers. Pour le reste elle se débrouille. Une année elle a été malade, chose rare, une sale bestiole dans son intestin qui l'a clouée au lit et alors il a bien fallu faire appel.

Elle aime pas ça,  la Miche, se faire aider. On sait jamais avec les gens. Y s'mêlent d'une chose puis ils leur en faut encore une autre et tu te retrouves avec des souillons dans ta maison. Pas question.
Mais ce coup ci Dédé avait eu la main bonne, il avait mené son neveu sur la sente, au bout de laquelle il y a avait la Miche, sa colline, ses chèvres, et les naissances qui arrivaient. Urgence.

Le petit gars avait su faire. Jerôme, son prénom. Elle l'avait autorisé à l'appeler par le sien, le vrai, Pascaline. Il ne s'était pas moqué. Brave garçon, bien élevé. Il terminait son Lycée agricole mais surtout il avait le don. Un lycée ? avait-elle pouffé. Manquait plus que ça ! "Une école pour la nature !??". Elle hausse les épaules, La Miche, ça la fait marrer.

Non, il n'y a pas un jour de marché qu'elle rate à moins d'être morte un jour. "Faudra bien que ça vienne ! "qu'elle rigole.

Ce courrier secret, il était bien arrivé, et non pas posé sur la chaise mais en main propre, le fouineur de facteur lui avait donné. 

Cela faisait quarante quatre années qu'elle n'avait pas revu l'expéditeur. Elle était ouvrière à Toulon, elle vivait avec Jocelyne, une collègue, dans un petit studio, ça suffisait bien. Et puis, un jour de compétition de pétanque, son sport favori, elle l'avait rencontré. Et puis bien d'autres choses encore et  le studio n'avait pas suffit.

Lui, grand, costaud , la coupe réglementaire en chatain clair,  mais avec des yeux de biches " comme une fille", était en congès pour quinze jours, avec chambre payée. La chambre avait suffit, eux deux avaient fait le reste et comme il fallait. Elle avait même été deux fois en retard à l'usine. 

 Mais il était engagé et avait dû partir au Moyen Orient, qu'il disait. Il lui avait montré sur une carte.
Ils s'aimaient, mais on ne pouvait pas le dire trop, " les mots ça serre la tête et on devient fou", avait-il dit en l'embrassant sur le quai, ce dernier jour. Une seule chose toutefois : les yeux dans les yeux ils avaient promis de se revoir, où que ce soit, ils ne mourraient pas sans se reparler, se remettre les yeux dans les yeux. Ils l'avaient juré.

Les mois et les années finissent toujours par passer, lessiver les promesses, ranger au panier les ivresses et coûte que coûte Pascaline oubliait son Pagure, Antoine de son prénom, Pagure c'était son surnom militaire, celui que les copains lui avaient donné. Il ne lui avait jamais dit son nom de famille. Elle n'avait pas insisté. Elle s'était dit " C'est pas comme ça que je vais le retrouver un jour, je ne sais même pas son vrai nom." Rideau. Point. Couture, suture, enclume, marteau, colline, brûlures, monter, descendre, parcourir, chèvres, paniers, marchés, marchés, café, hiver, été...

Août de cette année. Il y a six mois, il lui avait écrit : " Quelqu'un viendra te donner les détails sur le marché, cet été". 15 août, personne n'est encore venu. Elle y pense quand elle descend le chemin, la carriole pleine. Elle n'y pense plus quand elle remonte, les sous dans sa sacoche. Encore une bonne journée de remplie.

Et puis arrive les dépressions des hauts plateaux. Arrivent les orages de géants. La nuit, des nuits. encore  et encore. Jusque là on sait faire. Puis arrive un courant d'air chaud mêlé à de la grêle, la radio s'affole, la météo parle du degré d'hygrométrie qui panique. Elle ouvre son dico des mots anciens et bizarres, elle trouve que c'est un engin qui mesure l'humidité atmosphérique. Elle apprend aussi que les japonais ont trouvé comment recréer des orages dans les nuages, des éclairs, pour déclencher la pluie. Ca lui fout un coup de pétard. " Sont ti cons dans c'monde, Nom d'une bretelle à p'tit pois !!??"

Et alors ça part en vrille. L'hygromachin annonce que la vallée est innondée et que ça va retomber.  Le jour, la nuit. Il tombe des pluies qui ne sont pas de ce monde, il tombe, quatre jours durant, des poteaux d'eaux grises, il tombe de la grêle en août. A 6h, le 20 août, elle voit la fin du monde. Noire, verte sur les bords, bleu méchant à midi, puis tournoiement de blancs sur le versant Nord-Est. 

Et de marché point. Le village est évacué, elle accueille même Dédé, elle sur sa colline a les pieds secs. C'est pour venir que c'est une histoire. Boue, torrent marron dans la ravine, la pente est en furie, le bouillon coule, les talus s'effondrent.

Amédée et Pascaline scrutent par la fenêtre. Ils n'ont jamais vu ça. Ils attendent que la radio annonce le retour de l'ancien monde. Celui d'avant le 15 août.
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8 commentaires:

la Mère Castor a dit…

C'est tout un monde, je me régale. (et comme j'aimerais, rêve insensé, voir tomber la pluie)

Anonyme a dit…

Il tombe des poteaux d'eau grise, trop belle l'image !Je me suis régalée, ai dégusté tes mots pendant mon petit déj. Cela bouge ton écriture en ce moment, je trouve.

La tortue légère a dit…

oui il faut la pluie ici aussi ( drôme) !

La tortue légère a dit…

Trempée dans le café ou le thé, l'histoire te remercie de ton attention ! Ah oui je veux bien faire bouger, en saisir les contours, les fonds zé formes ( merci les auteurs japonais...que je lis)

La tortue légère a dit…

oui il faut la pluie ici aussi ( drôme) !

AnneC a dit…

J'aime!...Que dire d'autre?! Merci, merci.

christie a dit…

je pense qu'on peut dire sans exagérer que tu nous as fait là une magnifique hypotypose

La tortue légère a dit…

zut va falloir que j'aille rechercher la définition chez Mère castor !! hi hi