Je ne sais pas pourquoi quand je me mets à faire un grand coup de ménage dans ma maison je pense à ma soeur et à ma mère et à la maison d'Ajaccio.
J'ai des images de ma soeur ( aînée, onze ans de plus que moi, elle a l'âge de la retraite) frénétique, la tête dans la poussière des vieux placards. J'ai des images de ma mère et le plaisir de remuer les antiquités de la vieille maison familiale de son île. Dans ces moments là, ensemble, je crois qu'il y avait tout un courant de vie qui passait, très énergétique. On ne sentait pas la fatigue, on se dépensait, comme on dit.
Faut dire que la Mamie partie, la maison restait inhabitée dix mois sur douze. Alors y débouler à l'été c'était refaire sa vie, lui redonner de nous, la faire sourire et débusquer encore des secrets.
Je dis "maison" parce que c'est immense, mais c'est en fait un étage, sur les trois que comporte cette jolie batisse florentine aux murs roses, face au port. Balcons et escaliers de marbre. Moulures au plafonds. l'appartement était si grand, petite je faisais du vélo dans le couloir, que le frère et la soeur l'ont coupé en deux il y a trente ans, à la mort de leur mère, ma grand-mère.
Dans sa forme d'origine c'était un dédale. Couloirs, boudoir, grandes pièces de rangement à l'entrée des chambres avec fioles et bocaux en verre du grand-père médecin. La maison servait aussi de cabinet de consultations. La plaque en marbre avec son nom est toujours sur la rue devant la porte d'entrée.
Immense salon avec son luxueux lustre haut perché plein de gouttes de verre. Une vraie salle de bal pour la petite fille que j'étais et qui pianotait ses compositions sur le vieux piano droit, concentrée au possible et un peu ennuyée par les longues siestes des grands. C'est long, que faire ? On ne va pas à la plage après le repas, on se repose. Mais on y restera ensuite jusqu'au coucher du soleil.
Immense salon avec son luxueux lustre haut perché plein de gouttes de verre. Une vraie salle de bal pour la petite fille que j'étais et qui pianotait ses compositions sur le vieux piano droit, concentrée au possible et un peu ennuyée par les longues siestes des grands. C'est long, que faire ? On ne va pas à la plage après le repas, on se repose. Mais on y restera ensuite jusqu'au coucher du soleil.
Je nous vois avec ma mère perchées sur des échelles pour atteindre des placards, des trappes, en hauteur, des endroits remplis de merveilles : vêtements d'un autre temps, objets parfois bizarres, meubles, bibelots merveilleux.
Je nous vois laver à grande eau les tomettes rouges. Autrefois la grande cuisine donnait sur la ruelle où on faisait sécher le linge sur un fil qui glissait entre la voisine d'immeuble et nous. Comme en Italie, et comme à Montréal aussi, chez mon amie. Les draps flottants comme des drapeaux en haut des ruelles. Les ruelles qui sentent la pisse. Derrière la maison un petit passage qui mène à une rue très commerçante où mamie avait ses habitudes. Toujours une chaise en paille cabossée et qui sent l'osier pour s'arrêter au perron de l'épicière et papoter. "Ah c'est votre petite fille !!". La petite-fille était fière et puis je porte le prénom de cette grand-mère, ça personne ne pourra me l'enlever.
Car la maison familiale je l'ai laissée à mon frère qui a préféré tout garder. Et nous ne sommes pas du genre à passer des vacances ensemble, pas du tout du tout. Il a donc tout racheté. Peu importe, les souvenirs je les ai et cet endroit est mien pour toujours grâce à ce que j'y ai vécu, uniquement moi avec moi.
C'est vrai que c'était plutôt une maison de femmes. C'est sans doute pour cela que j'ai gardé les images fortes de ces femmes fortes qui s'y agitent et rangent, trient, lavent, poussent, déplacent, cherchent, re rangent, organisent les choses, leur donnent forme et goût. C'est aussi pourquoi je sais combien ma soeur va souffrir de ne plus y être chez elle. Une blessure sans fond qu'elle n'a pas su voir venir, qu'elle va subir. J'aimerais la consoler de cela mais c'est encore trop tôt, le lot des failles creusées après les deuils a emporté nos compassions. Des choix trop difficiles entre nous, pleines d'incompréhensions.
Ma grand-mère avait sa chambre au fond, avec de lourds rideaux roses ancien, soyeux ,et personne n'entrait dans son antre. C'est elle qui t'y emmenait. Tu savais alors que quelque chose t'attendait. Préméditation, excitation, chuchotements. "Tiens, je vais te montrer" "Tiens, tu peux prendre ça". Une photo, un objet, un vêtement, une petite boîte avec un billet. Et des baisers très mouillés.
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10 commentaires:
Ouh !! les *maisons de famille*, elles rassemblent tout le clan...elles le dorlotent...
..Et puis, soudain, les vents ont changé, le clan se fissure..et l'on ne sait pourquoi, mais en fait...ces maisons contribuent à le dissoudre !!!
Mais rien n'effacera les souvenirs, ni les odeurs, ni les bruits qui nous habiteront à jamais !!!
On ferme les yeux et tout revient..alors je vous souhaite de douces siestes dans vos souvenirs.Nicole
Oui c'est bien ça. Je garde l'idée aussi que nous restons tous heureux et rassemblés par nos vies passées dans ces maisons. Comme des lutins, petits, qui se sont sérrés les coeurs;
heureuse de te lire. où étais tu ?
De beaux souvenirs pour une belle maison,c'est cela qui fabrique une vie.
Nous avons eu la chance d'hériter de la maison de vacances de ma belle mère, de là ou elle est née, les souvenirs sont toujours là, vivants heureux et joyeux pour les enfants et nous deux. Cet héritage ne s'est pas fait sans douleur, c'est dommage.
Les héritages sèment les partages et les séparations. Les notaires sont pleins d'histoires incroyables et dramatiques. Perdre ses parents c'est revenir aux histoires d'enfance, aux sources, et chacun a la sienne propre. Dans une fratrie, déjà, personne n'a les mêmes parents en vérité....Il faut le vivre pour le croire.
Il y a une maison de famille qui est restée aussi, partie chez une, pour héritage, on y met plus les pieds. Et pourtant chaque fois je passe devant et chaque fois je vois mon grand-père qui m'attend.
Oui je vois...dans le village corse de ma grand mère il y a une maison ( une vraie celle là, de quatre étages et jardin) qui a été séparée et récupérée...Le jardin n'a pas de cloture, sa cloture est le muret de la voie ferrée. Donc, je le saute, et je me rempli de la maison. Ceci dit ils sont adorables ceux qui en ont hérité. Mais ils avaient coupé l'immense tilleul ultra centenaire qui avait tout vu et écouté et ça ma mère ne l'a jamais pardonné.
La maison, c'est un des symbole feminin par excellence...le refuge, le souvenir, la mémoire...et l'île en est aussi un...normal que tout te ramène aux femmes de ton histoire!
et tu la raconte joliment :-)
Oui, tu vis cela tous les jours...Normal aussi, sans doute, que mon frère ait voulu "tout avoir" de cette féminité de là bas, lui le mal aimé de sa mère, lui le seul né en été, donc né dans la maison familiale. Je l'ai compris, j'ai laissé faire.
Merci de ce commentaire, je suis touchée de ce signe.
Ben je comprends que le gout des pépins de pommes t'ai autant plus !!! Une autre belle histoire de femmes...
oui, tu comprends....
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