22 oct. 2021

Hier c'est avant, demain c'est après

 Elle n'a pas encore trois ans, mais presque. Son langage s'affine, merveille des merveilles l'apprentissage du langage chez l'enfant. Je continue de m'émerveiller, oui, chaque enfant qui apprend à parler me met K.O d'admiration. Avoir étudié en neuro-psycho-linguistique les rouages de ce miracle ne m'a rien appris comparé à ce que je vois et entends in situ avec les petits et actuellement avec La petite qui n'a pas encore trois ans mais bientôt.

Les phrases qui se forment, les consonent qui se transforment et s'entrechoquent pour déraper dans un mot, les jeux de langage, l'humour, les formes et formules de socialisation, l'ouverture de toute la fonction langage vers l'autre, vers dire ce que, dire le moi, dire et au delà, entrer dans le monde, saisir les moments, découvrir le temps et l'espace. Et en ce moment elle veut aussi nommer et dire le passé et le futur. Dire ce qu'elle a déjà fait, et ce qu'elle fera. Là voilà qui vogue sur la courbe temporelle et s'anime, raconte, pose des mots, des actes,  qui furent et qui seront.

Sa grande soeur sait le calendrier, c'est la gloire des quatre-cinq ans que de comprendre et nommer les jours de la semaine, les mois, les avant-hier et les demain, après demain, avant Noël, après Noël. Son planning est précis, les jours d'école, le jour de la danse, le mercredi avec les grands parents, les semaines où je viens le matin et l'après-midi. On discute et programme comme des grandes tandis que la petite écoute, les oreilles aimantées, les yeux qui n'en loupent pas une goutte. Elle aussi veut dire "demain", veut se poser sur la portée de ces notes là, elle ne veut plus rester stockée sur l'ici et maintenant, dans la minute ou l'heure. Le jour, elle l'a acquis, c'est aujourd'hui, Jeudi ? Mardi ? C'est une journée, avec ses matins, ses siestes, ses après-midi, ses douches, ses lectures, jeux,  soirées et nuits. Cela c'est dans la poche, inscrit dans son carnet de bord mental, gravé dans le marbre.

Maintenant, donc, on peut passer à l'étape suivante : sa vie avant et après aujourd'hui. Deux mots sont testés cette semaine, depuis deux semaines en fait : Hier et Demain. Il faut dire que beaucoup de choses bougent, elle quitte la crèche aujourd'hui pour reprendre l'école en novembre, mais à temps plein et non plus à mi-temps. Il y a, entre deux, les vacances, une semaine en famille, l'autre à la maison avec moi et surtout l'anniversaire qui viendra conclure les vacances et démarrer le nouveau rythme scolaire endiablé ( et épuisant). 

Oui, j'ai vraiment réalisé hier que les deux mots qu'elle met en boîte en ce moment sont Hier et Demain. "Ramassé les pommes avec Laure hier ? " - Oui on a ramassé les pommes mais pas hier, c'était la semaine dernière, vendredi." . " Moi partir à la mer demain avec Maman et Papa"...- Oui, tu vas partir à la mer, mais pas demain, demain c'est ta dernière journée à la crèche, et ensuite c'est les vacances et tu vas aller à la mer, oui."

Hier je me suis dit, "mais quelle poésie !".  Nommons "Hier" tout ce qui fut, ce qui est derrière. Hier je vivais au Laos. Hier ma mère est morte. Hier j'avais douze ans. Et décidons que "Demain" est pour tout ce qui viendra. Demain je pars en vacances à la mer. Demain je vais retourner en Normandie. Demain tu iras à Paris. Demain j'irai à Gurs et à Lurbe. Ah c'est plus difficile de faire des phrases avec "demain"...mais c'est plus calme aussi, plus reposant de rester imprécis. Demain inclurait un grand tout, une zone à venir, on ne serait pas pressé de définir, dater, organiser. Quant à ne retenir qu'un "Hier" pour dire tout le passé, comme il est doux alors de ne pas enquêter dans mon cerveau pour dérouler un calendrier, compter des années, m'engouffrer dans des puits sombres, des souvenirs poignants et vitaux, des visages qui ont tant changés, des jeunesses perdues, des années empilées qui parfois étouffent et semblent enterrer toute renaissance. Non, c'était juste "hier", c'est suffisant et plus tendre. Hier reste beau.

"Hier...", la petite le clame d'une voix de grelot, de lutin ravi de son coup. La petite n'a pas peur non plus de lancer un Demain, de l'accrocher dans une phrase et de voir, entendre et sentir ce que ça fait, comment ça sonne, comment ça résonne en face, chez les autres. Sautillent ainsi dans sa gorge, sans appréhension, les mots du futur et du passé, comme des écureuils des noisettes plein les pattes et c'est joyeux ce temps qui va et vient et ira, elle jette l'hameçon dans sa vie, tout autour, une pêche pour demain, une pêche d'hier, remonte le poisson. Sera, seront, étais, étions.

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3 commentaires:

Frédérique a dit…

Ah oui quelles merveilles que ces grands demain et hier, tiens je devrais trouver une jolie source de paix avec cela. Une autre manière de dire ce qu'expriment les sagesses orientales, nous nous tenons sur la crete entre un hier et un demain.
Beau texte Laure, la joie de l'enfance fait des bulles dans ton sang et c'est joyeux.

Laure a dit…

Merci beaucoup, je suis touchée par ton commentaire et par le seul fait, déjà, d'avoir posé une patte ici.
Oui je pense que laisser faire les volutes de Demain et d'Hier peuvent vraiment adoucir la vie...
Bises

iseredrome a dit…

Un texte que j'apprécie. Un poème que l'on pourrait lire aux enfants, aux grands.
C'est si simple écrit comme cela !
Merci Laure.