28 août 2020

Bébé et l'eau

 Bébé dans la baignoire se met debout fière. Pieds plantés, petite africaine droite et cambrée, et bombe le torse.

Bébé sourit de tout son corps, me regarde, caresse son ventre à deux mains et plonge. 

D'abord elle lève les deux bras tout en haut et crie, puis à quatre pattes descend vers l'eau du bain, et jette tout son corps dans l'eau, à l'horizontale.

J'ai bien mis la juste mesure d'eau pour que ses oreilles soient au sec, ainsi que sa tête qu'elle relève. Hissée sur ses quatre pattes, elle se laisse glisser de plus en plus vite, d'un coup, pour laisser son ventre toucher le fond. Etend ses bras devant elle autant qu'elle peut, et laisse derrière les jambes s'étaler, nager.

Bébé n'a plus peur de l'eau depuis ses vacances à la mer. Dans la baignoire elle refait dix fois la manoeuvre. Se relève, se positionne toute droite de sa grande hauteur de vie, du chaque jour différent. Lève les bras au ciel et crie et descend vers l'eau, toute allongée, et s'écoute nager se sent étale toute plate dans l'eau qu'il faut dominer. Elle bat des jambes maintenant et écoute ce bruit qu'elle fait et rit, rit et crie, de toute la joie qui est possible et qui est là dans le petit corps immergé au maximum, pour aujourd'hui, de maintenant à cet âge. 

Elle tend les bras le plus loin possible en s'accrochant au fond, pose ses paumes à plat. Tâte et refait. Ventre au fond de l'eau, bain qui enveloppe sa peau. Une nouvelle position, elle n'est plus seulement assise ou debout, elle est allongée comme un poisson. Les yeux emplis de bonheurs. Moi je flotte dans ma tête, loin dans d'autres galaxies, émerveillée de Bébé. Bébé qui, de l'eau tout autour d'elle, n'a plus peur, apprend l' apesanteur légère de tout son être aquatique.


26 août 2020

Parfois enfin

 Parfois je pense que tu viendras ici et que tu liras


Enfin l'été va. Quelle joie. Ce n'est pas ma saison favorite. J'aime mieux les contrastes, les froids, les vents, les frais matins, les nuits longues, les fauteuils remplis et moelleux. J'aime mieux l'atelier ouvert sur les arbres, nus ou pleins de feuilles, l'été l'atelier est impraticable car situé plein sud.

J'aime mieux les changements de couleurs dans le ciel, des roses fous, des mauves, des roux, des jaunes qui n'ont rien à faire là, j'aime voir les chauds et froids se rencontrer dans l'air très haut, j'aime comme ça, j'aime toi, j'aime les pulls et les chaussettes et rien ne remplace la neige juste tombée qui s'épaissit et crisse sous les bottes.


Les nuits sont maintenant, ici, définitivement fraîches et belles pour le sommeil, belles pour se rendormir à quatre heures du matin. On remet des manches aux tee-shirt le matin, on peut poser une couverture sur les genoux où le chat revient. Tout revient, tout me revient, comme la mémoire du bonheur. La fin de l'été ou son début de fin est le début de la clarté, j'ai devant moi tous les mois d'avant juin, les plus nombreux de septembre à mai, j'ai l'automne qui ici est québécois, j'ai l'hiver où j'ai froid, j'ai le printemps où l'on compose le jardin, où l'on sort à toute heure sans être bouffé par les tigres moustiques qui nous privent de l'extérieur de juin à mi septembre.

Cette année c'est venu d'un coup comme souvent après le vingt août, j'aime cette date, elle marque la ligne entre l'épaisseur et la légèreté. La fin du début de la fin de l'été. Où tout ne sera que beauté après.


.

19 août 2020

I look at love from both sides now ( Joni for ever)

 C'est encore et toujours

C'est ce qui nous prend et nous tire

Nous féconde et nous vire d'un bord à l'autre

Entre deux entre nous

C'est l'absolue chanson, l'absolue chanteuse, les paroles du fond du profond

Aimer pour toujours

S'en aller sans accord

Redouter et vouloir encore

Rien ne sera de trop là où nous serons

C'est l'absolue absence la mort aux trousses et la présence

C'est pleurer sans jamais se retenir

C'est revenir

C'est se revoir entièrement s'aimer sans que rien ne vienne assombrir

Pas même la distance

C'est me souvenir qui fait vie et pulse bien plus loin que nous

Que tout

C'est le désespoir du temps, c'est la bougie qui ne vacille

C'est ne rien savoir du tout


I really don't know clouds at all

https://www.youtube.com/watch?v=7cBf0olE9Yc


Rows and flows of angel hair 
 And ice cream castles in the air  
And feather canyons every where
  Looked at clouds that way  
But now they only block the sun  
They rain and snow on everyone 
 So many things I would have done  
But clouds got in my way 
 
 I've looked at clouds from both sides now 
 From up and down and still somehow 
 
 It's cloud's illusions I recall  
I really don't know clouds at all  
 
Moons and Junes and ferries wheels  
The dizzy dancing way that you feel 
 As every fairy tale comes real 
 I've looked at love that way  
But now it's just another show  
And you leave 'em laughing when you go
 And if you care, don't let them know 
 Don't give yourself away  
 
I've looked at love from both sides now 
 From give and take and still somehow 
 
 It's love's illusions that I recall  
I really don't know love  
Really don't know love at all  
 
Tears and fears and feeling proud  
To say, "I love you" right out loud  
Dreams and schemes and circus crowds 
 I've looked at life that way  
Oh, but now old friends they're acting strange  
And they shake their heads, they say I've changed 
 Well something's lost, but something's gained 
 In living every day 
 
 I've looked at life from both sides now 
 From win and lose and still somehow 
 
 It's life's illusions I recall 
 I really don't know life at all 
 It's life's illusions that I recall 
 I really don't know life  
I really don't know life at all
 

.

Un cahier de plage en train

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le train du retour je migre, comme souvent, vers une voiture aérée, quasi vide. Une femme s'installera de l'autre côté du couloir à ma droite. Je suis toute ouïe contre la vitre, un oeil sur le paysage, un autre sur rien, sur la paresse, la fatigue, l'étonnement, presque, d'être là, confortable, en me demandant comment je vais atterrir dans mon quotidien. Après huit jours face à la mer, une révolution.

Mon cerveau en ébullition prêt à tout perdre de toutes ces heures si différentes de ma minuscule vie, je sors le cahier de brouillon que j'avais emmené et qui a dormi huit jours au fond su sac. Un petit cahier à grands carreaux, acheté l'an dernier au  tabac presse près de chez moi. Le stylo est épais et sait dresser ma main et j'écris tout ce que j'ai fait chaque jour. Les détails, les matins sur le sable, les matins sur les galets, le bus de l'enfer parisien sous canicule et masque où j'ai essayé de rassurer quelques personnes en détresse. Les nuits, mauvaises puis meilleures, les essentiels, vite fait, car j'ai peur que tout parte, et chaque détail peut compter. Le stylo rend l'âme. Merde.

Je me souviens avoir aussi emporté une petite trousse de base : un crayon, un taille-crayon, un feutre noir, et 3 crayons de couleurs. Je ne la trouve pas, je prends ma valise et l'ouvre comme un sandwich d'où tout veut, et peut, s'échapper. A pas de loup je soulève les vêtements et fouille les bords. Rien. Cela me revient, j'ai des poches sur le côté de mon sac-annexe, celui où gisait le cahier. Bien sûr. La trousse est là. Hourra. Un bic quatre couleurs. Je continue mon écriture, j'en étais à la moitié du séjour. Des vacances en août, tout ce que je déteste et ne fais jamais. Mais il y a des urgences, il y a des mais, il y a tout ce qui vous arrive et vous broie. Il fallait. C'était bien.

J'arrive, sur le cahier, au dernier jour. Au bain de 8h du matin avec le monsieur beau gracieux, 70 ans ? bien portés,  belle allure, il se baigne avant moi, remonte au camping en combi tout mouillé, sa femme derrière lui comme un poney vaillant, toute habillée, gilet bleu layette, ne mettez pas madame à l'eau. Elle, elle veille, timide, lui il salue, sourit, répond, informe. La première fois qu'on s'est croisés je n'avais pas pris de maillot, je venais voir, découvrir le front de mer tôt le matin comme j'aime. Le matin j'aime la vie et je suis invincible parfois, le soir je la subis et entre dans ma coquille douce, si possible. Cinq minutes après, et après lui avoir parlé, je courais chercher mon maillot et plouf direct. Seule, larguée au large, les yeux vers le chalut qui partait en pêche, suivi de la horde d'ailés criant, agités, masse vivante vivant de la nature, du sel et de l'eau, la vie en l'air, la vie sur l'eau, dessous, dedans, haut et forte.

Je pose le stylo et range le cahier. Et je commence à entendre l'enfant. Ayant bien pratiqué ces petites choses là, je sais, à l'oreille, distinguer ce qui se passe, comment ça va, comment ça vit, comment ça crie, parle, supplie, et bouge, même sans le voir. Il y a des passages un peu difficiles et j'entends et devine qu'un père est seul avec son petit garçon, quatre ans, peut être. Je ne les vois pas, j'entends de temps en temps, et plus les heures s'allongent, plus je sais un enfant qui bouillonne, plein de verve, un langage vif, haché menu, réquisitoire, appel, tempête puis silence et effort pour se tenir, et fatigue. Et je n'entends rien en retour, silence de l'adulte, bloqué, qui subit. Je vais bientôt quitter ce train, je cherche ce que je peux faire pour donner un coup de pouce, ne serait-ce qu'une minute à ce papa, dont je me suis demandée à un moment, tant l'enfant criait au secours, si on avait pas un drame genre jeune papa qui a enlevé son gosse durant les vacances. Je me lève et vais. Papa jeune, plein de foot et Marseille où ils se rendent. Je discute avec le garçonnet, éveillé comme un pou, bille de clown, ne tient pas en place et je découvre que tout est vide autour d'eux. Papa au smartphone et basta. Pas un jeu, pas un livre, pas un sac sur les sièges, pas un crayon, pas un jouet, absolument rien je te dis. Ouh la la. Je dis au papa que c'est dur d'être en train avec les enfants. Oh la la, TRES dur, et c'est la première fois, il me dit. Ils vont chez tonton à Marseille, me dit la puce excitée. "Madame" il m'appelle et on cause. C'est sympa. Papa a cinq minutes de répit. Je lui demande s'il a pris de quoi goûter. Plein, il dit.  "J'ai tout ce qu'il faut, mais...". 

Ah zut un pou qui saute et parle ne se calme pas juste en le nourrissant...Je retourne à ma place et me dis, merde, qu'est ce que je pourrais laisser à ce gosse pour l'occuper un peu. Je n'ai même pas une revue quelconque avec des images, j'ai bien trois crayons mais vu le zozo, ça vaut pas le coup de les sacrifier. C'est un vélo et de l'espace qu'il lui faut. Je repense au cahier. Je reviens vers lui avec le cahier et le feutre noir et je lui dis que je vais lui faire un dessin. J'arrache une page et lui dessine un garçon, c'est toi, je dis et je fais son t-shirt à rayures, son bermuda-treillis et ses baskets. Je fais la mer, un bateau, un seau, une pelle. Il veut la Reine des Neiges. Et ajoute illico "Elle est morte ! ". On négocie sur la mort de la Reine et je lui avoue qu'elle est dans le bateau, en fait, elle dort. Et lui, sur le papier, il va aller la voir, elle fait la sieste ( la quoi?). Je vois bien qu'il n'accroche guère, à partir du dessin, il ne se raconte pas d'histoire, il n'embarque pas, pas comme les enfants de son âge que je connais. Le papier, les histoires, le dessin, l'imaginaire à partir de tout cela, niet. Ma feuille dessinée sera jetée par terre quand je tournerai le dos car papa aussi, bien sûr, ne saura qu'en faire. Mais il sourit, il est joyeux, il prend cinq minutes de compagnie. Puis on se dit au revoir. J'aurais au moins essayé.


.



.

6 août 2020

Dans le cahier

Dans le carnet-cahier de mes angoisses rien, des visages peints, des taches de couleurs sur une page à petits carreaux.
Dans le cahier de mes angoisses, bien couvert et décoré, j'ouvre, hier matin, la page emplie taches.
Je prends deux tubes d'huile, de vieux tubes qu'une amie m'a donnés, qu'elle a récupérés auprès d'une autre personne dont la mère était artiste. Que faire du matériel quand on vide une maison ?
A l'école d'art, nous avions eu, il y a quatre ans, un don d'une femme qui vendait la maison de sa mère artiste décédée. Des cartons de grenier, du matériel ancien, des tonnes de merveilles qu'on a toutes gardées.

Parmi ces tubes qui ont connu une autre vie, une autre personne, je prends le bleu et le vert.
Avec mes doigts je les étale sur la page à petits carreaux,  durant le petit déjeuner dans mon atelier, sur le fauteuil en osier.

Auparavant j'ai esquissé un oiseau.
Je l'entoure de peinture.




Je n'écris rien sur "le cahier de mes angoisses".
Je croyais mais non, c'est gribouiller qu'il me faut. Je ne sais même pas si je mettrai des mots.
C'est dans le geste vacant, confus, spontané, que mon intérieur se dilue.


Ce matin je me suis réveillée dormant sur le côté, recroquevillée. Enserrant des rêves tordus, profonds, saisissants. J'ai rêvé de ceux qu'on quitte. Qu'on repousse. Qu'on évite. Ils tombaient et voulaient me voir. Un rêve prétentieux, sans doute, qui m'a broyé le cou. Je suis maintenant réveillée, debout, avec une petite douleur à la base de la nuque.

Hier je me suis vue un peu voûtée, passant devant la baie vitrée.
Toujours penser à se redresser.


.




.