1 juin 2020

Dire, écrire

Ce matin à la radio, enfin deux intervenants du monde d'après qui me plaisent et ce qui me plait c'est leur capacité à dire, écrire.

Rien de très commun dans leurs interventions. L'un est philosophe aux chemises blanches, l'autre est metteur en scène et comédien.

L'un analyse et ose dire ce qui l'a traversé émotionnellement et intellectuellement, sur les deux mois passés. Il dit tout ce que je pense aussi. La peur mauvaise mère, les médicaux qui ont pris le pouvoir et ont parlé aussi à tort et travers, alors qu'eux ils le savent, ils savent que le monde médical est autant divisé que bien d'autres castes professionnelles et intellectuelles. Le monde médical n'est pas beau ni rose. Tous se combattent aisément et disent noir quand l'un dit blanc, et tous les laboratoires planétaires, plus riches que les gouvernements, terrorisent et mentent. Le pouvoir, l'égo, et la science qui n'est jamais noire ou blanche non plus, à cause de ce fameux PFH, le Putain de Facteur Humain. Qui fait notre grandeur et fera notre perte.
BHL ce matin décrit sa peur d'une société et d'un gouvernement où, par exemple,  "contre ta santé tu me donnes ta liberté, OK ?"  Il parle de l'humain, du contact, sans lesquels rien ne vaut la vie.

L'autre intervenant a écrit une lettre pour son père, Guy Bedos.
J'écoute ce texte qui m'étreint et je me dis, aussi pour retenir mes larmes, je me dis combien savoir écrire et créer à partir des douleurs, des joies, des émotions qui  nous mettent à terre, combien écrire est un don de l'humain, une chance, un outil fort, fort de nos résurrections.
Je ne saurais sans doute pas écrire une telle lettre pour un aimé décédé mais j'aimerais. Etre artiste est douloureux, angoissant, difficile, oui, les artistes sont sur un fil, toute leur vie, des êtres en recherche et en doutes, quelque soit leur art. Mais ils détiennent ce miracle de nous parler, nous bousculer, nous élever au dessus de la terre molle et dure. Ils nous donnent en vie.

J'ouvre ensuite mon ordinateur pour t'écrire ces mots. Pour me donner du courage.
Auparavant, avant que de m'assoir devant mes phrases, j'ai fait le tour du jardin. Si j'étais en ville, je serais sortie flâner, voir des humains, et boire un café en terrasse. Ce geste qui a tant manqué et que j'aime depuis l'enfance. Combien de terrasses de cafés en famille, à boire et grignoter, combien de terrasses m'ont consolée, m'ont comblée, seule ou avec une amie chère ? Seule pour observer, m'évader, surtout dans les villes aimées. A deux pour se parler, se dire, s'aimer comme ça, se raconter, se retrouver.

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4 commentaires:

Iseredrome a dit…

Un joli texte qui reflète le jour.
Nos angoisses aussi de ne plus y revenir.
De ne plus connaître ou reconnaître ces moments là.
En trouver d'autre.

La tortue légère a dit…

Merci pour ce commentaire
Ecrire, écrire, c'est important même sur peu de choses ou riens
Oui
Il n'est pas simple de laisser derrière nous ces mois passés qui nous ont dépassés

Frédérique a dit…

Et as tu lu le texte de sa fille, un joli bijou aussi.

"Mon père préféré, à l'heure où je t'écris, je suis allongée dans ton lit, je porte ton eau de Cologne Roger Gallet et j'ai mis un de tes pulls en cachemire, le rose poudré, à col V, qui t'allait si bien. Dehors, il fait chaud, c'est presque l'été, mais j'ai froid, si froid de toi. Aussi froid que toi quand je suis venue te voir au funérarium, hier après-midi, et que j'ai posé un baiser sur ton front. Il était glacé, ça m'a affolée car, à part ça, tu avais l'air d'être là, tellement là, j'ai même failli te demander un mouchoir pour éviter de renifler trop bruyamment à tes côtés.
Tu avais toujours un mouchoir dans ta poche, prêt à être dégainé en cas de chagrin. Mais, cette fois, tu ne me l'as pas tendu. Je t'en ai voulu. Je t'en veux, papa, de ne plus être là. Et je pleure en écrivant cette phrase et tu ne me tends toujours pas de mouchoir.
J'en veux à ce putain de corona, putain de confinement qui nous a éloignés de toi avec Nicolas (...) On n'a pas pu venir te voir par peur de te tuer en t'embrassant. Et on t'a tué en ne venant pas t'embrasser finalement.
Tu as cessé de manger, de marcher, de lutter. A quoi bon puisque mes enfants ne m'aiment plus ? Maman avait beau te rappeler que c'était à cause du confinement, tu ne voulais pas, ne pouvais plus comprendre.
-"C'est à cause d'une pandémie mondiale. Quelqu'un a mangé un pangolin qui était infecté par le virus. Le corona. Enfin le covid. Une grosse grippe très puissante et très méchante. Du coup, on avait plus le droit de sortir de chez nous sinon on se prenait une amende."
Là, tu nous as regardés d'un air de dire : 'Ils se foutent de ma gueule les deux petits cons !' Nous sommes partis dans un fou rire avec Nico, un fou rire comme tu les aimes, car, en effet, ton fils et moi, on avait l'air de deux ingrats qui inventent un mytho à dormir debout pour justifier notre absence à tes côtés.
Tu es parti jeudi à 16h30. Il fallait que tu partes, tu as voulu partir, en homme révolté que tu es, tu as fait une grève de la faim pour que ça s'arrête. Que cette confusion mentale cesse, que ce brouillard dans ta tête disparaisse. Et maman (Joëlle Bercot, ndlr), Nicolas et moi, on a compris, on a accepté, on n'a pas lutté contre ta dignité.
Même à bout de forces, tu as réussi à m'envoyer un baiser. Ça a dû te demander un tel effort mais tu me l'as offert, ce baiser, un baiser de papa qui veut s'assurer que sa petite fille sait qu'il l'aime. Ça y est, je repleure. Elle est pénible à écrire cette lettre ! Elle est pénible à vivre cette vie sans toi !"

Victoria Bedos

Illustration : Guy Bedos et sa fille, Victoria, à Cannes le 17 mai 2016

La tortue légère a dit…

Merci !