28 nov. 2018

Episode 2. Laos, on se saoule, on est cool


"...Il fait si beau ce matin à 6h les portes-fenêtres grandes ouvertes sur le vert et le ciel. Cela m’a transportée dans ces matins lointains de ma maison laotienne.


Le jardin était au milieu des rizières et des bougainvilliers. Une petite route de terre et quelques jolies maisons basses, isolées. Je passais mon temps sur la terrasse couverte. Couverte comme un préau si bien que tu pouvais rester des heures à voir les grosses pluies s’abattre sur la nature qui en voulait encore, jusqu’à se noyer.
Allison venait souvent. Une australienne qui n’aimait guère son pays, du moins était heureuse d’être loin, comme toutes les autres australiennes gauchisantes de mon quartier.
Allison était toujours pieds nus. Hautement diplômée en agronomie et hautement écologiste, elle vivait les pieds plantés dans la nature. Très en avance sur moi, sur nous, l’Europe de 1996.

Elle passait son temps avec les paysans laotiens à monter des clôtures, élever des cochons, construire des enclos, planter des arbres, loin dans les campagnes. Sa maison était grande et en cohabitation, of course. Les poules entraient dans la cuisine et un gros canard était son animal de compagnie. Elle conversait et philosophait avec lui.
Voilà la belle vie. Une amie aux pieds nus qui philosophie avec un canard et vient boire le thé chez toi aussi.
Cette fille aux yeux verts vivait sans peurs et sans contraintes. La nature et elle, le compte rond y était. Issue de ce continent où la nature est souveraine, elle était chez elle dans ses plis, ses contours, elle s’adaptait partout. Plus tard elle a passé une année au Canada pour des études et partait camper seule dans la neige.

Elle y a rencontré un de ses fiancés futurs. Comme c’était trop facile elle est revenue au Laos seule, pour vivre au bord du Mékong dans une petite chose en bambou sur pilotis, deux pièces maxi. Il l’a rejoint. C’était le test suprême.

Il a tenu bon. Et un bébé en est né, plus tard, de retour sur son continent à elle, celui qu’elle avait fui mais parfois, on s’adapte. Leurs trois enfants y vivent souvent pieds nus, j’en suis sûre. Les parents ont fini par se marier. Une cérémonie au fond d’une forêt, made by Allison, of course, avec plantation d’arbres par les invités et sûrement une communauté aborigène dans les parages. "I missed you there",  m’a-t-elle écrit ensuite. Le billet d’avion ne s’accordait pas avec mes finances, hélas. ..."

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Un texte retrouvé dans les méandres des textes.

C'est au Laos que j'ai le plus communiqué avec les australiens, australiennes devrais-je dire. Je ne les avais pas croisées en 1988 et 1992 dans mes deux autres missions en Thaïlande et Cambodge. 
Je ne sais plus très bien ce que faisaient les amies d'Allison. Ce qui m'a plu c'est leurs cohabitations, dans une maison et une autre. Elles avaient des notions de français mais nous parlions dans un anglais adapté à mon niveau. C'est à dire qu'elles ne m'embrouillaient pas avec leur accent très très spécial. Elles venaient de Melbourne ces femmes là, ou de Sydney. Hautement diplômées. Extrêmement généreuses et enchantées d'accueillir une petite française qui savait suffisamment converser en english.
Je n'ai pas de photos d'Allison qui avait de long cheveux bouclés, châtains, ne s'épilait pas, ne se maquillait pas, et faisait son jogging le matin, avec un walk-man dans les oreilles. 

J'ai une photo de Kate avec une nana sur un canapé qui me ressemble. Je ne suis pas sûre.
Damned.



C'est Allison qui m'a fait rencontrer un des Robert, ces gars qui voulaient m'emmener aux States.
Ce Robert là était de Californie, mère asiatique, un métis, donc. Il sortait d'un divorce difficile, on pouvait deviner sa femme encore chevillée autour de lui. Alors vraiment, on était dans la même mouise, cela ne pouvait marcher. Pis il ne me plaisait pas, sauf sa mobylette qui nous emmenait au resto ou au bar, le soir. Nous étions un peu gênés, par je ne sais quoi. Il ne voyait pas que rien ne se passerait. Je devais quand même maintenir sa taille, assise dans son dos sur la mob. Tout cela ne rimait à rien, mais cela a duré un bon mois, je finissais par avoir pitié, et de lui et de moi.

L'autre Robert avait fait venir son VTT de Chicago. On passe vers l'Est, donc. Grassouillet, très bon enfant, plein d'humour, très agréable, mais un peu collant. On mangeait des viennoiseries dans l'unique "bakery" de la ville. Il parlait très vite, je ne comprenais pas tous les mots de ses phrases, il me parlait comme si j'avais été américaine. Sans doute parce que je parle aisément, sans gros accent, et que je comprends à peu près, mais il ne faisait pas d'efforts. Je n'ai rien dit. Je commençais à être gênée de faire semblant, d'autant qu'il était fort bavard. Il a fallu que je l'évince, un peu sèchement. Pauvre Bobby, il avait le béguin, et la petite française, ça lui disait bien.

Il faut savoir que dans ce genre de job, entouré de centaines de collègues souvent très intéressants, originaux et pleins de vie, tu ne restes pas célibataire, sauf si tu en as envie. Ou alors tu es blasée, ou alors tu es trop en chagrin d'amour et coucher avec tous les Bobby énamourés ce n'est pas possible.

A l'arrivée.
Grosse fête (Baci), saoulerie, les laotiens picolent comme des trous.



Au départ

J'allais quand même beaucoup mieux, soyons clairs.

La photo montre la cérémonie du Baci, qui se pratique sous tous les prétextes au Laos.
On fête un truc, quoi que ce soit, tout doit être fêté. On se saoule dès qu'on est joyeux, dès qu'on est ensemble.
Les moines viennent, on organise une grosse bouffe, et on boit comme des trous. Les moines font un speech boudhiste sur les voeux à souhaiter, tandis que toutes les personnes présentes te mettent une petite ficelle de coton ( bénie elle aussi) autour du poignet en venant, eux aussi, te souhaiter tout ce que tu veux. 100 personnes, 100 bracelets de coton à ton poignet, 300, etc. cela devient lourd et tu as interdiction de l'enlever dans le mois suivant. Bonjour la douche !



Clotilde, sur la photo ci dessous. Une collègue extra. J'ai écrit sur elle, plusieurs fois. 
She's a piece of. C'est un sacré morceau.
Elle pouvait s'arrêter de bosser quelques minutes, se mettre dans le grand fauteuil en osier de l'entrée, et faire quelques minutes de méditation. Comme ça.
Et ça repart à fond les mano...
Une énorme bosseuse. Totalement immergée localement.
Elle a ensuite refait des études à Londres, puis elle est partie en Afrique noire (nous ne sommes pas restées en contact).
Elle vit dans l'Hérault maintenant où elle est responsable du Lac Salagou, zone protégée.
Le lac, sa faune, sa flore, ses employés, tout est bien gardé, je te le dis.


Le baci, c'est très rigolo, très gai, très doux. 
On en a un peu marre à la fin car tu peux en avoir un par semaine, mais bon....
Quand on prépare le baci, on arrête de bosser pour le préparer, les laotiens aiment cela.

Les laotiens aiment se fendre la gueule, picoler, se réunir, être ensemble, toujours.

Comme dans tout pays boudhiste, tu entres dans les habitations sans tes chaussures. On bosse pieds nus sur des planchers de tek. Les godasses de tout le monde, du dirlo à la femme de ménage, sont empilées vaguement près de la porte d'entrée. Et je peux te dire que négocier un truc avec un ministre qui est en chaussettes dans ton bureau, cela change tout à coup l'ambiance !

Le Laos est le pays des boudhas debout. Dans les autres pays ils sont tous ou assis ou couchés. Au Laos aussi, avec en prime des représentations debout. C'est curieux  cette position, car c'est plutôt un pays de fainéantise, de douceur de vivre, tout le monde fait la sieste pendant le travail. Donc on imagine plutôt Boudha à l'horizontal. 

Tu quittes le bureau à 13h. Entre 14h et 16h tu as des collègues qui dorment allongés sur leur bureau en bois, comme des bébés. Et là dans ta tête, tout tournebille, tu te dis "qu'est ce qu'on est cons en France, qu'est ce qu'on est coincés !".

Une fois l'an, les statues des boudhas sont lavées, c'est un rituel, qui s'accompagne de prières. Chaque personne vient devant les statues, dans un temple dédié à cela, et verse une eau de fleurs sur le corps du boudha. Ils sont aussi décorés de colliers de fleurs très odorantes.




Avant mon départ, je suis allée à cette cérémonie qui dure plusieurs jours. Il n'y a rien de spécial, le temple est ouvert et vient qui veut. C'était de toute beauté. La dévotion de la population est discrète et poignante. Jamais tu n'es regardé de travers (si tu sais comment te comporter, bien sûr), tu ne déranges pas. Tu ne déranges pas, au Laos. Les gens sont souriants, confiants de prime abord. Pourtant c'est une quasi dictature post-communiste, une annexe du Vietnam, une ex-alliée pour combattre les américains. Il y a eu des drames atroces. Les groupes ethniques des montagnes, utilisés par les US forces, en particulier à cause des cultures d'opium, ont été décimés, ont du fuir. Leur rapatriement de force ( pour ceux qui n'ont pas été accueillis en Occident), dans les années 90, fut douloureux. J'ai travaillé avec eux dans des camps de réfugiés en Thaïlande, puis, sept ans plus tard, j'ai vu leur situation dans leurs pays d'origine ( dont ils ne parlaient pas la langue).

Mais c'est ainsi. Au Laos, sabaï sabaï, on se la coule douce, on ne s'énerve pas, pour rien, d'ailleurs cela ne servirait à... rien. On prend le  temps. On attend patiemment à la Poste, on se délecte, le temps n'est jamais "perdu", on le vit, on se délite dans l'espace, on observe, on sourit (et on se dit que décidément, en France...."qu'est ce qu'on est c.......!!")

Prends-en de la graine, petit vermiceau.

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3 commentaires:

Mabes a dit…

Il fallait que tu aies une vraie motivation pour rentrer en france, non ?

Laure a dit…

Je ne sais pas.
Je ne parle pas bcp du travail, qui était quand même très difficile puisque je dirigeais l'ONG.
Ma motivation c'était la perte d'énergie et de folie qu'il faut pour continuer ce genre de job, je crois.

Compteur à zéro, plus de jus dans le moteur.
Et puis ma mère, c'est sûr. C'est bien que je soies rentrée elle a encore eu 2-3 années chez elle, encore en autonomie. De beaux partages avant le gouffre après 2000.

Tifenn a dit…

J'adore. Le sabaï sabaï me fait penser à l'amoul solo sénégalais. L'art de vivre avec le temps, l'art de vivre au présent. Tellement loin de nous, de moi, tellement difficile. Tu me fais rêver.