2 déc. 2018

Oh la belle vie ( Laos dernier épisode)

Très au Nord, tout en haut du pays, nous allions.

Se lever à 4h pour prendre un coucou qui s'envole quand il peut et atterrit quand il veut.
Soulevant les brouillards au dessus des montagnes, les montagnes peuplent ce pays au Nord, si tu continues vers le Nord, tu entres en Chine. Cela m'a tenté plus d'une fois.



Deux villages où nous travaillions. Luang Nam Tha et Muang Xing. Muang Xing, là c'est vraiment, vraiment, tu touches le bout d'un pays, tu entres dans un no man's land. Tous les repères ont sauté sans que tu ne l'aies voulu. De fait.



Nous faisions partie d'un projet de développement communautaire, avec MSF ( Medecins sans frontières) et ACF ( Action contre la faim). Deux ONG auxquelles tu peux donner ton argent les yeux fermés, leur travail est juste, admirable, bien pensé. On s'associait sur les trois éléments prioritaires, demandés par les populations.

La démocratie participative est une clé des ONG dans leur travail avec les locaux.
Enquêtes, analyses, chercheurs, travaillent en amont pour comprendre les besoins et les entendre.

Trois besoins dans ces hameaux de groupes ethniques :

- La santé, surtout pour les enfants, qu'ils meurent moins. (MSF, formations d'habitants relais de santé)
- L'eau, à rendre potable, des puits. ( ACF, aide à la construction puis formation à l'entretien sanitaire et logistique pour être autonome)
- Lire et écrire en laotien. ( ESF ( Ecole sans frontières, nous), création de centres d'éducation non formelle. Une grande cabane de bambou pour toute la communauté du village, avec un "instit" local capable de former tant les enfants ( niveau scolaire de base) que les adultes ( sur l'élevage, par ex, les conditions sanitaires, les cultures....en collaboration avec d'autres ONG dont des allemands très expérimentés ( plantation de vergers...)).



Les femmes, toujours les femmes, qui portent tout, travaillent du soir au matin, se parlent, ont de l'humour, fument la pipe, entretiennent les maisons sur pilotis. Les femmes sont les piliers.


Pour l'UNESCO, le critère de démocratie et d'ouverture d'un pays se calcule en fonction du nombre de filles ayant accès à l'école.


Les moments où je rejoignais les équipes sur place, pour faire le point et visiter les villages, me changeaient du tout au tout.
Le seul fait de prendre un coucou improbable et de n'être sûre de rien une fois le sol quitté. Le voyage serait long. A l'arrivée, toujours le contrôle militaire des laisser-passer délivrés par le Minisitère de l'Intérieur. On te fait peauroiter autant que possible. La lenteur, toujours la lenteur. Assis sur des bancs bien durs, on a le temps de retrouver des collègues qui sont aussi "montés", on a le temps de papoter. Puis on part au Q.G, une grande maison de bois, à étage. Douches d'eau froide récoltée dans un tonneau. Coupures d'électricité récurrentes, feu de bois dans le jardinet, dodo sous moustiquaire avec la collègue,  sur un grand matelas au sol.
La nuit très tôt, le resto au plat unique, avec ses étagères de petite épicerie de conserves de base pour les rares occidentaux. Youpi des vache kiri et du pain de mie américain, ce sera la fête au petit dejeuner.

Le café à broyer l'estomac sur le bord de la route qui mène en Chine.
La planète Mars, l'échappée totale.
La poussière, les bagnoles des gros chinois-à-putes, les vélos, les mob, les jeunes filles costumées traditionnellement, tissus bleu teint aux plantes, broderies, jupes plissées brodées et chaussettes sans pieds, épaisses, colorées.
Quelle est leur vie ? Quelle sera-t-elle ?
Etre totalement étrangère et dépassée, à un tel point qu'on ne réfléchit plus. Et on se laisse totalement partir et être là, juste là. Sans réfléchir.





...Les  routes sont longues, montent, patinent dans la boue, dérapent, sautent. Celui qui est assis dans le pick up et non devant, saute et se fait mal au dos en rebondissant sur sa banquette.
On roule, on quitte le monde, on rejoint des groupes qui sont en autarcie ou presque.

Beaucoup de collègues ethnologues, comblés, passionnés, adorent ce pays au 120 dialectes. Tous sont bouffés par les moustiques et ont la malaria. Car les palabres se font à la tombée de la nuit, dehors, quand les bestioles attaquent. Problème aussi pour les femmes, au moment de la lessive dans la rivière, puis des douches qui se font à la fraîche dans l'eau vive, où les moustiques attendent les corps offerts.

Je ne sais pas si j'étais très utile, je ne sais pas si nous faisions du bon, mais l'ambiance était bonne. Je me souviens, dans ce Nord, d'un couple étonnant, missionnés par MSF, totalement installés. Grande maison en bois, Lui bricolait beaucoup et avait conçu des pièces, des terrasses où balançaient des hamacs dont on ne pouvait plus bouger. Ils étaient vraiment chez eux. Ne cherchaient pas autre chose, bossaient, avaient des amis locaux, faisaient de la délicieuse cuisine, avaient roulé leurs bosses dans beaucoup de pays et s'étaient posés. Presque la cinquantaine. Arrivés. Accueillants, des  repères. Des êtres pleins et originaux. 

Revenir vers la ville, revenir vers la maison, vers le bureau. C'était pas mal non plus. Plus banal mais.
J'ai eu mon amie Allison et j'ai eu Marie, qui a été très présente. On s'est plu très vite, elle, seule avec sa fille de six ans, moi seule. On avait le temps, on se retrouvait chez l'une, chez l'autre, on partait à vélo dans la gadoue, sur des petites routes, sous le soleil, on trouvait une gargotte où boire un Coca chaud. C'était bon. On se racontait toutes nos vies. Elle m'a hébergé le dernier mois, avant mon départ. 
Sa petite maison était face à un temple. Les moinillons se rinçaient l'oeil gaiement. Des mômes.


La lessive dans la cuvette dehors, Marie se moquait de moi parce que je laissais essentiellement tremper dans la lessive sans beaucoup brosser, frotter.

Sa cuisinière géniale, une vieille femme, qui faisait le poulet au gingembre le meilleur de la terre.
Le gingembre coupé très finement grillait d'abord dans le wok. Je n'ai jamais réussi à le faire indentique. Je pense à nos repas chaque fois que je mets du gingembre dans une poêle, c'est à dire au moins une fois par semaine ( je mange du riz tous les jours, du riz thaï cuit à l'autocuiseur asiat).



Le Laos a beaucoup changé en 20 ans. Il est devenu touristique, plein de commodités, d'hébergements chics. Mais je suis sûre que le fleuve Mékong brun et charriant les eaux de mousson est toujours là. En face, la Thaïlande.

Cathy est venue me voir.
Quel grand moment !
Nous avions une histoire.
Rencontrées à la fac, quand j'ai repris les études à 34 ans. Elle, a huit ans de moins.
Assise côte à côte le premier jour. Le flash. Tant pour le prof extraordinaire, de sociolinguistique, qu'on avait sous les yeux, tant pour nous deux. Comme des écolières.
Retrouvée ensuite dans diverses aventures de sa vie, dont sa rencontre avec un "cirqueux" québécois, qui deviendra le père de ses enfants, au Cambodge. Pays où elle vit peut être encore, elle y est devenue un des piliers de la fac de linguistique.
Elle est au Cambodge depuis un ou deux ans, quand nous voilà "voisines", et elle passe me voir.
Oh la rigolade  ( Cathy a un "rire africain", totalement contagieux, elle est belle, hypra intelligente et ouverte à la vie, oui).
Oh le plaisir !
On est allées se faire  teindre les cheveux chez une amie thaïe coiffeuse. 
Oh la rigolade en vélo, au retour !


Oh la belle vie.







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5 commentaires:

Jimidi a dit…

La vie, la belle !

Laure a dit…

Ouiiiii

Ces périodes qui nous font accepter les moments durs et font qu'on a vécu ce qu'on devait vivre, absolument.

iseredrome@gmail.com a dit…

Récit ô combien remarquable. Merci.

La tortue légère a dit…

Merci Madame !
1,2,3 nous irons aux bois....ici et ailleurs
Bises

Tifenn a dit…

Ah ah ah! le gingembre! Comment faire sans n'est-ce pas?
Vraiment quelle vie tu as eue. J'avais déjà lu et vu de nombreuses photos, mais je ne me lasse pas. C'est beau. J'ai chaud. Bien. Garam Massala le café dans ma main, là.