26 nov. 2018

Au Laos c'était comment ?

Une amie me fait le cadeau de me dire qu'elle ne sait rien de ce que j'ai vécu au Laos. Et de me demander si je veux bien en dire quelque chose.
ouh la la, ai-je répondu ( par mail)

Résumer en un chapitre ? Combien de paragraphes, combien de textes ai-je déjà écrit là dessus ?
Je me suis souvenue de mon blog plumedhirondelle.wordpress.com. Démarré le 19/12/2009 et abandonné le 21/12/2011, pour en ouvrir un autre. 

Ce fut le premier site d'écriture consacré à des textes, des envies d'écriture plus construite ( après ce blog j'ai d'ailleurs démarré le manuscrit de mon livre),  pas les mêmes textes courts de la tortue légère qui se voulait légère et séduisait pour cela, à cette époque.

Je suis allée chercher chez cette "hirondelle" des textes liés au Laos. Pas facile de fouiner dans mes archives mal classées. 

Je crois que je vais en mettre trois, dans trois articles ici, que je démarre aujourd'hui. Je poserai le texte "ancien" puis j'écrirai ce qu'il m'inspire maintenant pour décrire ma vie laotienne.

Ce texte ( ci dessous) a été publié dans la revue Scribulations, recueils de textes publié chaque année ( j'y ai consacré un article début novembre).

Au bord du fleuve

Ne m’oublies pas me dit-elle aujourd’hui.

A 80 ans elle a perdu son mari et depuis se meurt de chagrin et d’ennui. Alors depuis trois ans je lui envoie très souvent des cartes d’amour et là je suis en retard. Ne m’oublies pas, répète -t-elle. Le Temps s’allonge pour elle dans un vaste filet.

Ô je t’en prie, je ne veux pas vieillir, je t’en prie.

Je resserre le haut de mon gilet à cause du vent. Le bouton d’en haut est parti. Je ne m’en suis pas aperçue. Est-ce que je me laisse aller ? C’est pourtant bien agréable…

Je revois les bords du grand fleuve marron peuplé de doux marchands ambulants. Une grande terrasse en bois qui surplombe un peu. On peut y manger du riz gluant, le meilleur, servi dans des petits paniers tressés, petites boites aux odeurs divines. Et du poisson grillé. Poisson du fleuve mythique. Poisson d’arêtes à manger avec les doigts, comme tout le reste. Bouteilles de Pepsi, Coca, Sprite, mieux vaut parce que l’eau…Et personne ne sait que tu es là.

Est-ce cela vivre ? Personne ne sait ce que tu fais de mieux ou de plus beau ? Comme manger ce poisson au bord du Mékong. Seule, ou avec deux, trois amis. Les bras accoudés sur la balustrade de bois sombre. Quelques rares bateaux sur les flots bruns. Et puis rentrer chez toi à vélo sur la piste orange.

Et pour toi seul, le Temps dans un filet, jeté sur le fleuve.

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Un ami qui vivait au Laos en même temps que moi, avait lu ce texte et m'avait demandé où était la suite. Pour chaque texte qu'il lisait dans la revue Scribulations il me disait " C'est bien mais et après ? On attend une suite !."
Ah....

Je fus un peu désarçonnée. Et plusieurs années après je me rends compte que mes essais actuels de roman plongent leurs racines dans cette expérience précisément. Parce que ce fut la troisième et la dernière expérience en Organisation Non Gouvernementale, ONG on disait, et que ce fut la seule des trois où je vécu seule, célibataire, sans amoureux. 

Je travaillais sur des questions d'éducation et de santé publique. Je dirigeais une équipe, c'était la première fois que je faisais un travail si difficile, loin, seule. C'est sans doute pourquoi les deux autres textes que je vous mettrai dans les prochains articles parleront de mes amies rencontrées sur place, si essentielles ( Marie-Claude, Allison,...).

Le texte d'aujourd'hui parle du fleuve, le Mékong. Vientiane, la capitale du Laos, où je vivais, est au bord du fleuve. Un fleuve souvent plein de boue quand la pluie fait tout dévaler. Cette ville était une petite ville de province, en 1996, quand j'y arrive. Je suis repartie en 1997. Je ne suis plus jamais partie travailler à l'étranger ensuite. Durant l'année 1997 j'ai réalisé que ma mère démarrait un genre d'Alzheimer. Je l'avais eue au téléphone et c'était la panique chez elle, en elle. J'ai compris que c'était grave. Chez moi, dans ma vie sur place, ce n'était pas très gai non plus. La solitude était lourde. J'étais arrivée dans un état psychique lamentable, je vivais une séparation cruelle, ce poste avait été ma planche de salut pour regagner ma vie de manière indépendante et m'éloigner de Lyon où j'avais vécu. 

J'ai appris à me remettre un peu debout, j'ai travaillé dans cette ONG et j'ai aussi suivi des cours par correspondance pour boucler mon Master 1. J'étudiais tous les week end pour préparer les partiels. Deux américains, tous deux nommés Robert ( Bobby), sont tombés raides dingues de moi, l'un voulait se marier, l'autre me ramener dans l'avion. Je n'étais pas amoureuse, cela m'était impossible, mon coeur, et tout mon être, était pris par un autre que j'ai mis dix ans à oublier. Une amie a été très présente ( texte à venir), une autre aussi, ( texte itou), australienne, avec son groupe de copines, des filles extra.

J'ai eu des collègues géniaux, mais c'est très très souvent le cas dans ce genre de boulot. Des collègues de tous les pays, des gens hors normes. Et ce pays était encore peu fréquenté. Bien des routes dans la "ville " n'étaient pas goudronnées. Tous les déplacements hors de la capitale étaient surveillés, pour aller d'une ville à l'autre, d'une "province" à l'autre, il fallait des autorisations du Ministère de l'Intérieur. Des check point partout, des jeunes militaires, quasi des écoliers, avec des kalach en bandoulière, qui trainent leurs guêtres , mais en très soft par rapport au Cambodge, par exemple. Tout mou, tout doux.  Le Laos est le pays de la félicité, de la lenteur, plus encore que ses voisins. On pense à un éléphant lent. Les gens sont doux, on pense à un hamac. La frénésie de l'Occident est à tout jamais dans ton dos.

Ma maison était très agréable. Je m'y sentais bien. On a cohabité trois mois avec une collègue, avant qu'elle ne trouve sa propre maison. Tout était facile et coulait de source. Quand j'étais plus jeune j'étais très adaptable, immensément, je parle des rapports avec les humains, les amis, les collègues, les connaissances. Je vivais beaucoup "avec" les autres et tout était bonheur. Du moins, c'est ce que je retiens, surtout quand je pense à "après", à tout ce qui a changé en moi. Un mois avant mon départ j'ai aussi vécu avec Marie-Claude, j'en garde un grand souvenir. Elle vivait seule avec sa fille, adoptée au Vietnam. Une adoption qu'elle n'avait pas préméditée. Ses enfants étaient adultes et autonomes, elle vivait une belle vie de femme divorcée heureuse de sa liberté. Elle visite un orphelinat dans le cadre de relations interculturelles France-Vietnam. Une petite chose à quatre pattes se met debout dans son lit et la mange des yeux. Elle craque, elle décide en un clin d'oeil, sa vie change. Oui, c'est ce genre de personne qu'on rencontre dans ces expériences de boulot en ONG.

Le Laos était un pays pas encore conquis par le tourisme. Les villages pittoresques, les montagnes nombreuses, les groupes ethniques ( avec lesquels on bossait) riches d'une multitudes de façons de vivre , en autonomie, pauvres mais dans une nature luxuriante ( rivières, eau, arbres, terres fertiles / quel contraste avec le Cambodge de 1992 !!), le Mékong très présent, les temples baignant leurs pieds, en escaliers dégringolant dans les rivières où les gens se lavent. Une, non, des, des beautés à couper le souffle. Renversant.
Nous avions des équipes dans la capitale et d'autres collègues dans de multiples villages mais surtout dans le Nord, proche de la Chine. Des lieux extraordinaires, d'un dépaysement que je n'avais jamais connu. Des bouts du monde, où vit le Monde. Assise dans des gargotes de bord de route, à boire un café dégueulasse, j'ai ressenti les plus beaux moments de ma vie, laissant tout derrière moi, observant les passants, j'étais une martienne dans leur monde, et ma chance était un joyau dont j'avais une immense conscience. Je savais que je vivais des moments rares, des pépites de ma vie. Je savais que c'était unique et que plus jamais je ne vivrais de telles extases.

Quelques photos prises dans mon album photo


Celle-ci, je suis contente que quelqu'un l'ai prise.
C'est le genre de photo où tu te dis " Est-ce moi ? Qui était cette fille ?!"
Je revenais de deux mois de descente aux enfers à Lyon, où je ne mangeais plus et fumais plus d'un paquet de clopes par jour, moi qui ne suis pas fumeuse.

Cette robe, je l'ai toujours.
De ces vêtements dont tu as du mal à te séparer car ils te racontent, ils en ont vu ( je la portais déjà au Cambodge, en 1994, quand j'y suis retournée pour "me fiancer"...).


pamplemousses et noix de coco




Luang Prabang

Un village -patrimoine Unesco















Deux amies, que je connaissais dans ma vie en France, sont venues me voir durant cette année là. 
Cathy et Michèle.
Des séjours très importants pour moi.
Avec Michèle je suis allée à Hanoï.
Une autre perle, une autre découverte essentielle.

J'ai perdu ces amies.
Vivre des choses si fortes et ne pas savoir se garder dans les années qui suivent, c'est un chagrin, et des regrets. 

Du Laos je garde un peu ce sentiment de "pas assez" ou de "trop" ou de quelque chose laissé pas totalement accompli. Beaucoup de choses à vivre m'étaient difficiles et me demandaient des efforts permanents. La détresse amoureuse était sans cesse présente. J'ai décidé de ne plus jamais repartir à l'étranger, j'ai trouvé que je n'avais plus toute l'énergie suffisante pour cela.
En même temps, le lieu était facile, divinement relaxant, il m'a sans doute beaucoup aidé, le pays, les gens, la nature, le rythme de vie, les collègues laotiens au flegme impayable ( ne va surtout pas attendre qu'un travail soit fait dans les temps, ou soit fait tout court !). Un lieu de détente totale où mes collègues vivaient souvent un bonheur délicieux.

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9 commentaires:

Jimidi a dit…

"Au bord du fleuve" Scribulations 2012, page 85, si quelqu'un se posait la question...

La tortue légère a dit…

ah ah Merci

Visiblement y'a personne qui lit, donc pas de questions, mdr

Merci à toi

iseredrome a dit…

Un moment en te lisant, j'étais là-bas.
Beau récit incomplet tant j'imagine que les mots ne suffisent pas.
Quelques clés de plus pour moi...

iseredrome a dit…

Mince, me suis trompée. Je ne suis pas Unknown mais iseredrome.

Laure a dit…

Merci d'avoir lu et commenté
Il y aura deux autres articles, comme je l'ai dit

C'est intéressant pour moi, de voir ce que je peux dire, et ce que j'oublie, sûrement

Mabes a dit…

Merci, vraiment merci pour ce partage Laure, cela ne doit pas être facile tant dans ces circonstances et à ces âges, on vit tout ce qui peut chambouler... et pourtant "un pays de détente", cela donne envie d'en savoir plus et cela fait rêver !

Laure a dit…

RDV aux prochains épisodes
Et d'autres photos si j'en retrouve dans le fouillis
Le plus simple étant de re photographier celles de mon album papier

sur les autres épisodes, les amis, le pays, le travail

Tifenn a dit…

Ben tu vois, je ne vais pas les lire d’un coup. Très dense et très écho mais je ne sais pas pourquoi.

Laure a dit…

Merci
Bien sûr, tu as tout le temps.
Plaisir