10 févr. 2012

Sur la route

S'il y avait une première page ça se saurait.
On s'installerait dedans, ce serait comme mettre un pied dans une porte. Et on ne lâcherait plus prise.

J'ai terminé le dernier livre de Delphine De Vigan "Rien ne s'oppose à la nuit". (J'ai failli me tromper et écrire "Joséphine" ou " Rien ne justifie"). Un beau travail personnel et bien écrit. J'ai eu envie de décrocher de cette lecture quand on quitte la vie de sa mère uniquement et que l'auteure entre en scène : elle enfant, ado, adulte et cette mère en face.

J'ai tellement sympathisé avec les personnages que je n'ai réalisé qu'à la fin que noms et prénoms n'étaient pas les leurs, j'étais déçue. Mais faut pas pousser, elle en dit déjà assez dans le genre mise à nue. Elle parle régulièrement de la façon dont les membres de sa famille appréhenderont ce récit de leurs vies, leurs vies aussi, forcément. "Ce sera ta version à toi, c'est tout, ce n'est qu'une version", voilà ce qu'ils lui disent, semble-t-il.

Terminer un tel ouvrage, et on sait le sang et l'eau que ça demande, cela doit être une sacrée affaire. Il ne peut en être autrement, cela doit être fait. La famille vous colle à la peau, vous redoutez toujours, vous vivez en sursis d'angoisses permanentes après la mort d'une mère. Et les circonstances sont décisives. Les années  et les mois précédents le décès vont être un calque posé sur les années à venir. Imparable. L'écrire alors, quoique cela soit, offre cet espace entre le calque étouffant et la vie libre. Offre l'espace suffisant pour subsister et rester unique, non pas collée aux faits, aux regrets, aux souvenirs, aux fratries déchirées, aux mal être des uns ou des autres. Etre soi. Dans son propre cadre pouvoir prendre et laisser et entrevoir une issue, un passage.

Ce qui doit être écrit doit être. Quelque soit le contenu. J'ai cru au début que j'écrirais autour de ma mère  et ses années de démence sénile, mais rien n'est moins sûr aujourd'hui. Cela pourrait être autre chose, même si je ne sais bien écrire que du vécu. Du vécu personnel ou de l'imaginaire déjanté. 

S'il y avait une première page quelque part on la prendrait comme on monte dans un bus, vite, s'accrochant au poteau en montant, ne sachant si on veut s'asseoir ou rester debout mal installé. On tiendrait. On roulerait. On suerait, on refuserait. Mais le bus serait en marche et finalement tu ne connais pas le chauffeur. Il se dévoilera au fil du trajet.
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3 commentaires:

Mabes a dit…

finalement pour la première et dernière page j'aurais envie de prendre deux consignes ou deux phrases obligées pour aller de l'une à l'autre !

Anthom a dit…

J'aime beaucoup comment tu parles de ce livre qui m'a profondément touchée, simplement parce qu'il rejoint mes propres interrogations sur le récit que je souhaite faire des miens. Moi aussi, j'ai senti une perte d'intérêt lorsque le récit s'est focalisé sur l'auteur et non plus sur sa mère. Ce type d'écriture correspond à un besoin, une force qui nous pousse au-delà de tout désir littéraire, un travail au forceps en quelque sorte, pour qu'enfin on puisse mettre des mots sur des émotions, des ressentis dont on a l'impression qu'ils n'appartiennent qu'à nous et pourtant qu'il y a urgence à les dévoiler...J'ai commencer à écrire sur mon père, c'était le plus facile, je ne parviens pas à franchir le pas avec ma mère. Et pourtant il ne s'agit pas forcément de vécu dramatique ou extrême, il s'agit de vies ordinaires, mais ce sont elles qui m'ont faite telle que je suis aujourd'hui.

Anthom a dit…

Juste un poost-scriptum pour la clarté de mes commentaires: Anthom et Thomlab, c'est la même chose, c'est juste un problème de compte wordpress!