Je ne sais pas trop quand je t'ai vu la première fois, je ne sais pas trop pourquoi nous sommes tant unis bien des années après.
Bien des années.
Nous travaillions dans le même camp de réfugiés, j'étais très inquiète de ce que j'allais y faire. J'avais la trouille et l'appétence. Tu avais cette nonchalance et l'expérience.
Je ne sais pas toujours aussi ce qui uni et désuni des amis. L'amitié est somme toute bien fragile. Il y a deux mois j'ai compris que j'avais perdu des amis, que vraiment, nous n'étions plus ensemble même de loin, surtout de loin, la chose rare dont j'ai besoin. Rare et difficile, exigeante.
J'ai bien fait. J'ai voulu tester, être sûre. Il y a pourtant une chose simple c'est quand tu ne reçois plus de signes, plus de réponses à rien, ni courrier, ni téléphone, ni e-mail, etc. Quand tu ne sais plus rien de leur vie, quand tu apprends, presque par hasard, qu'il y a eu une grande fête pour un âge canonique et que l'on n'a pas pensé à toi. Même, tu étais éliminée d'office parce que trop solitaire " Tu n'aimes pas les groupes, les assemblées de gens" te répond-on pour te dire "Tu n'avais rien à faire avec nous en ce jour de fête".
(Moi qui suis une séductrice bout-en-train grande danseuse devant l'Eternel ! )
Alors je voulais être sûre. Avec ceux qui ont partagé l'expatriation avec moi et la vie d'Asie, je veux être sûre car ils sont rares et chers, nous avons des secrets.
J'ai dit "Je viens". Six ans après s'être croisés un soir chez eux. Depuis nos vies ont beaucoup bougé. Depuis j'ai changé, je n'en doute pas et ils me savent beaucoup plus fragile et casanière. Ma vie ne leur parle guère. Leur vie de famille pleine de principes moraux n'est pas non plus de mon genre mais je m'en fous.
En serions nous à nous juger ?
J'ai dit "je viens" et j'ai reculé. Un retard de train, la trouille devant l'attente dans une ville que je déteste car elle m'a coupée en morceaux et je ne retrouve rien. La trouille devant des foules, une peur panique, un besoin de sécurité, j'ai fait demi tour. J'ai sonné mon glas. J'ai ensuite fait sonner le téléphone pour l'entendre. Entendre le jugement, les questions sournoises et inquisitrices sur ce que je fais de mon temps, de ma vie, sur mon utilité quoi...Et l'incompréhension totale devant une fille inconséquente, quasi malade parce qu'elle fait demi-tour au lieu de rester trois heures dans une gare. Oui, cette fille est Barjoland, il n'y a plus rien à en espérer de clair et définitif.
L'amitié n'aime pas dire ses points de ruptures. L'amitié aime le silence, je crois. Et moi je ne sais pas cette amitié là. Je ne sais pas lui faire du bouche à bouche pour des morts annoncés. Je lui demande autant qu'à l'amour, je crois. Et il faudra bien que je le comprenne tout à fait, seuls les barjots amochés peuvent aimer être à mes côtés.
Comme toi, comme toi.
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11 commentaires:
J'ai perdu des amis par manque de soin. je me suis rendue compte, trop tard, qu'à tel moment j'aurais dû être là, mais que faisais-je à ce moment-là?
J'en garde une tristesse certaine, de choses qui ne peuvent pas se refaire. Amitié perdue pour toujours. Bête, que c'est. ;-)
Je connais ces sentiments....je reconnais ces déceptions...incomprises, la plupart du temps ! !
Mais il faut reconnaître, admettre que parfois, je ne suis vraiment pas désirée...mais pas du tout !!! et il s'agit de la famille....
Alors peu à peu, je fais sans! Ayant quand même droit de rire, d'éclater de rire devant des situations inexplicables....irais jusqu'à penser inavouables !
bonne semaine.Nicole
moi ce que je lis, c'est une histoire d'amitié avec la solitude...j'y reconnais cet espèce de plisir à être seule dans un monde peuplé d'émotions vécues, rêvées ouen attente...
dans lequel nous sommes libres d'aller et venir...
Mais la réalité n'est pas la même,il nous faut passer par les conventions,les droits de dire et de passage...des emboutellages de protocoles, de règles et de politesse...le jeu d'un rôle pour lequel on ne se sent plus aucune aptitude et qui nous laisse sur des quais de gare à regarder nos rêves prendre des destinations inconnues en nous laissant tout nu devant nos coeurs,les bras ballants sans plus aucune envie d'aller plus loin...
je connais ça aussi...
je m'en veux souvent et parfois j'en veux aux autres de ne pas merejoindre plus facilement dans cet espacede liberté qu'est la solitude,la distance...
te lire me défait d'une culpabilité...:-)
Oh des commentaires pleins et puissants. Ca fait chaud au coeur aussi.
Je suis rentrée tout à l'heure en me disant " mais c'est quoi ce billet que tu as pondu ce matin, un peu à l'arrache, l'arrache-coeur et pas très beau ? Tu le retires ?"
Et pis, ben...
C'est cela Flo, l'amitié d'une solitaire qui a besoin de l'amour des autres mais pas des conventions, pas des jeux de rôles...rares alors, oui, encore plus rares sont ceux qui...
T'es pas forcement dans Barjoland, les autres aussi, quelquefois, quelle que soit leur vie, même tranquille et conformiste vivent dans leur propre Barjoland, chacun vit sur sa planète, et puis les amis qui s'annoncent, ils disent j'arrive-ok, super tant mieux- et puis ils n'arrivent plus, a cause d'une gare ou par envie de solitude-ok, très bien aussi, c'est ça l'amitié, t'es toujours contente, tu t'adaptes, tu comprends, celui qui vient comme celui qui reçoit. Bon, sinon, les jeux de rôle, t'es pas obligée, rester naturelle c'est bien aussi, c'est même mieux, sinon ce n'est plus de l'amitié si tu ne peux pas être toi-même. (dans ma vie chuis assez forte pour garder les amis, ça donne du boulot, mais je ne sais pas faire autrement!)
Bravo..je vois que t'as l'art et la manière, le lard et le cochon, le beurre et les spinach avec tes amis. Tu sais aussi ce que c'est que d'être loin, puis près, puis loin !! L'amitié c'est un truc mouvant qu'il faut savoir faire bouger, les amis changent aussi, on change soi même, ils faut arriver à changer la forme de la marmite et la teneur du feu dessous pour que la soupe soit toujours appétissante. Je crois que c'est ça. Et ce sont les points d'évolution, de glissements de frontières intérieures, les marges, les gouffres, les ponts...qui font les ruptures ou bien les cordées où l'on se tient ensemble malgré et grâce à tout. C'est là où ça glisse, ça risque...faut-il dire cette mouvance, fait-il dire les troubles, les gouffres qui s'installent, les fragilités ? faut-il se taire et attendre les bons moments pour être ensemble, tout simplement, sans rien dire de ce qu'on ressentait hier, avant hier. L'amitié doit-elle se taire comme une nonne toujours prête et bonne à tous ?
Bah dis donc, tu racontes drôlement bien! quelle jolie réponse, j'en suis toute remuée.
"l'amitié doit elle se taire comme une nonne toujours prête et bonne à tous?" chaipas, je dirais que oui plutôt. En attendant, on vit sa vie, si l'amitié revient, tant mieux, et sinon, on oublie et on passe à autre chose. Ca dépend, quoi!
Voilà "passer à autre chose"...toi tu cernes bien ce qui me traverse.
Un ami c'est une pièce d'un puzzle, absolument unique, irremplaçable pour moi. Je parle de vrai ami : qui te connait, avec qui tu dévoiles mutuellement, tu traverses et avances dans la vie, tu doutes, tu dis, un ami c'est une lumière de plus dans ta vision du monde, un éclairage, parfois trop spot, parfois lampe de poche, et sans lui c'est une lumière éteinte sur toi, un petit millimètre de peau, peut être, un bout d'orteil ou un bras entier, mais qui restent dans une ombre.
Oui, vous l'avez compris, je suis amoureuse de mes amis. Sinon ce ne sont pas des "amis" ce sont des êtres dont on aime la compagnie, des connaissances agréables, des moments passagers, des compagnies, des chouettes personnes...de ces personnes à qui et avec lesquelles on ne dit pas tout, on en garde beaucoup, la barre de l'intime y est bien gardée.
Les amis avec lesquels on trempe la chemise jusqu'aux os, voilà ce que je nomme "ami".
Brrr ça fout les j'tons ?
Je l'avais raté celui-là.
Les amis.
Vraiment?
Ceux qu'on aime, qu'on sent et qu'on ressent?
Ceux dans lesquels on se reconnaît à l'endroit ou à l'envers?
Ceux qui comprennent qu'on les appelle tous les jours quand il le faut, et puis plus, et puis de nouveau?
Celle qui vient dormir avec toi et te faire la soupe pendant une semaine parce que ton homme est aux prises avec des mains médicales, et qu'on sait pas si et comment il reviendra?
Ben, n'en a pas beaucoup, mais ça suffit, pas beaucoup, c'est pour ça qu'on les aime, parce qu'on a de la place pour les trimbaler dans nos têtes et nos coeurs.
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