Ce matin j'entends à la radio un italien parler si bien le français et tout à coup je repense à Cathy et je réalise, oui ce matin, 26 ans après...Je réalise qu'elle m'a un peu montré une voie.
D'abord les "Cathy"..Deux, j'en ai rencontré deux à dix ans de distance et si semblables ! Amoureuse je suis, des filles en tout point opposées à moi physiquement. Donc mes Cathy sont grandes, fines en haut et large des hanches, ça c'est la base de la Cathy dans ma vie. Ensuite il y a leur voix, un truc chaud qui grésille, comme des chataignes dans un brasero et après il y a le rire. Puissant, qui déboule et déboulonne toutes tes défenses, tout ce que tu croyais, qui emplit la pièce, fait entrer l'Afrique bouche et gorge ouverte, libre cours, un torrent. Voilà mes Cathy.
Celle là est entrain de finir son diplôme d'éducatrice et on bosse ensemble à Paris. Elle finit son dernier stage. On parle de tout sauf de boulot, finalement. C'est un bonheur son corps qui emplit l'espace, sa vision des choses, ses gestes. Et nous parlons beaucoup. Elle a 25 ans et moi presque. Je n'aurai pas le temps de la connaître vraiment, elle est en recherche, en doute, elle a l'impatience et la prestance aussi. Elle est là quand elle est là et elle est déjà ailleurs à peine sortie de la pièce.
Qui suis-je moi, je ne sais pas. Je ne veux pas être "simplement". Mon père vient de mourir, j'ai rejoint ma mère à Paris dans cet appartement du XV eme que j'aimais tant. Métro et boulot et beaucoup de marche dans cette ville qui est toujours là pour toi. Le boulot est dense, un centre maternel dans le XIV eme, pas loin du quartier chinois. La découverte des mères célibataires entre prostitution et pauvreté extrème, morale et physique. La découverte de la psychanalyse de terrain, des centres thérapeutiques, du travail d'équipe. Un gros paquet. Qui changera ma vie et mes choix. Et cette Cathy en plein qui passe et va me laisser sa trace. Du genre "voilà comment on peut vivre aussi". Une plus folle que moi, à ce moment là.
Que se passe-t-il de si fou ? Elle prend un train pour Rome, seule. Elle a besoin de changer d'air quelques jours, d'oublier, de se sentir bien.
Elle séjourne à Rome et rencontre un homme, plus âgé qu'elle, "bien sûr", ai-je envie de dire. Bien sûr c'est vers lui que son coeur tire. Il est italien, "bien sûr." Il a déjà un sacré parcours, avec des zones d'ombres, je ne veux pas savoir, elle non plus, et elle aura le temps...Quelque chose se passe.Ils se voient, dînent, parlent, marchent des heures, mangent, rient, se prennent à peine, se jaugent, s'écoutent. Bien sûr il a beaucoup à lui dire.
Cathy revient bosser, elle reprend le train le vendredi, hop, directement. Il faut être sûre, il faut savoir. Cet impossible. Cathy revient le mardi. C'est décidé. Bien sûr. Et ainsi elle va passer tout son temps libre là-bas pendant deux mois. Il la veut. Elle veut. Elle revient un jour pour me dire "si mon appart t'interesse, passe chez moi, je m'en vais bientôt".
A Rome tout s'organise, Cathy est folle, Cathy est amoureuse. Toute. Elle vit chez lui, dans ce vieil appartement immense et déglingue. Lui. Lui un homme magnifique qui veut d'elle. Tout. Cathy est heureuse, elle décroche tout sur son passage, elle me parle de cet homme, de la langue italienne qu'elle s'est mise à apprendre i tutti rapido presto, va , va, amore mio. Tout est un manège, tout va vite et la vie à Rome l'emporte, l'emporte. Elle n'a peur de rien, je crois que c'est cela que je retiens. Ce n'est pas la première qui me le dit, qui me le montre. J'ai déjà retenu pas mal la leçon et je suis en plein stage d'application. Et Cathy me pousse, m'entraîne, m'énivre de sa vie, de sa capacité à tout laisser et à reconstruire devant.
Elle cousait déjà beaucoup, elle avait un tempérament d'artiste, elle ouvrira un atelier de couture, elle enseignera le français. L'amour parle, quand l'amour parle il parle court, simple, droit, tout court, avec des points partout. Point. C'est comme ça. Un ouragan est une mauviette à côté, bien sûr. Tout est sûr.
Et c'est çà que je retiens de cette fille là. Et elle laisse en moi cette impertinence, cette folle beauté, encore, encore une qui me laisse ce tatouage de la vie. Je prends son petit appart de banlieue, bien sûr. J'y reste quatre mois, mes 25 ans sont passés et lui, ailleurs, m'a enfin dit qu'il m'aimait. Alors il faut partir, "bien sûr".
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