23 sept. 2010

Daniel



Daniel Je pensais pouvoir parler de toi ici mais je vois que c'est encore beaucoup d'émotions, plus encore que quand tu es mort. Daniel, oui, n'a pas choisi de voir au delà de la quarantaine. Il a fait son choix. Un soir de 1995 après un dîner très sympa au Laos, chez lui, dans ce pays qu'il adorait, auprès de sa femme laotienne et leurs deux jeunes enfants.
On ne sait pas, on ne peut jamais savoir.

Daniel je le connaissais peu. C'était un homme d'une voix exquise. Il y avait en lui une immense douceur et une tristesse douce, lointaine. Son sourire était un appel. Son sourire était franc. Ses yeux brillaient. Il avait beaucoup de charme, celui de la féminité et cette voix lente, éraillée à peine, qui trainait, qui captivait et laissait aussi la place à l'autre.

Il a travaillé à l'Est de la Thaïlande, dans un camp de réfugiés, il a adoré cette période, il rayonnait. Ensuite il fut mon deuxième directeur à Bangkok, puis il partit au Laos diriger l'association, enfin, non, il avait pris un poste plus tranquille, celui que Clo prendra ensuite. En 1992 je le recroisais là-bas et il m'encourageait à aller dans la ville ancienne de Luang Prabang qui est un joyau sur terre. Il adorait ce pays, il adorait cette ville. Il m'a dit " En y allant, tu retournes un siècle en arrière" Et il avait raison. Nous sommes dans une rue de Vientiane, la capitale du pays, enfin, capitale...Quelques rues goudronnées le reste en terre, tu vois...Et il porte ses éternelles chemises larges et bariolées et il me souhaite bon voyage et c'est la dernière fois que je le vois.
Je vis alors au Cambodge pour encore quelques mois et je n'ai absolument aucune idée mais absolument pas l' idée que quatre ans plus tard j'arrive à Vientiane pour diriger l'association. Là où j'ai laissé Daniel ce jour de mai 1992. je vais être au même endroit en 1996, et sans lui.

C'est dans ce beau pays qu'il a choisi de quitter sa vie. Il aura eu la cérémonie boudhiste qu'il aimait et ses cendres dorment là-bas au pays nonchalant de ses amours. Finalement la nonchalance c'était son truc, ses pays. Il avait vécu une première partie de vie en Guyanne française, instituteur dans des villages isolés dans les forêts amazoniennes. Il avait adoré, il en était un peu nostalgique, je crois. Hamac, tongues, et immersion chez les locaux, c'était sa vie. Il gardait de puissants et magnifiques souvenirs de cette période qui l'avait bâti je crois, conquis. Il y avait rencontré les Hmong, ce groupe ethnique laotien qui avait fui après la guerre du Vietnam. Les réfugiés Hmong cultivent les terres en Guyanne et vendent leurs fruits et légumes sur les marchés. Ensuite, c'est dans les camps de réfugiés de la Thaïlande que Daniel était venu les retrouver et travailler.

Il était conquis. Il était entièrement à son travail qui était sa vie et il était comme un poisson dans l'eau en Asie du Sud-Est. Peut être le Laos était-il le point de non retour, peut être savait-il qu'il bouclait une boucle ? Que rien ne pouvait mieux répondre à ses attentes... Peut être qu'il n'y avait aucune autre perspective. Juste rester là pour toujours. Mais pourquoi y mourir déjà ? Daniel était dépressif ? Il avait une pharmacie pleine. Et sans doute s'il avait été en France aurait-il été suivi différemment, une thérapie, d'autres perspectives ? Oui mais sa vie était là-bas. Et certes, quand tu te maries avec une femme du pays, tu as très peu de chance de la rendre heureuse ailleurs. Tant d'autres amis se sont cassés les dents...Alors ? Alors, la vie.

Je me souviens de lui et moi dans un touk-touk à Bangkok, à son époque thaïe. Il détestait, d'ailleurs, devoir vivre dans cette ville. J'allais à l'Unesco voir un collègue et il m'avait déposé là. Je m'étais sentie toute chose. Le charme de Daniel. Ce petit brun avec ses chemises larges, un peu serré dans ses pantalons et son visage lunaire. Sa voix, son corps près de moi, nous nous touchions dans le tuk-tuk et la moiteur. J'étais novice, à peine arrivée quelques mois avant, je vivais au Nord du pays. Il me parlait, me parlait. Nous faisions connaissance. Je n'ai aucune idée de ce qu'il pensait de moi. Il savait que je n'étais pas célibataire. De sa vie amoureuse nous ne savions rien à l'époque. C'était un mystère. Avait-il laissé une belle quelque part ? 

Un jour une beauté du diable est arrivée pour un séjour dans la maison de Bangkok, sa maison, qui faisait aussi office de siège de l'association. Cette fille était belle comme cette actrice dans "La femme du Coiffeur" de D. Leconte, tu vois ? Une brune pulpeuse avec des jupes en volume. Je la revois faire le ménage comme une fée penchée sur la maison. Et le Daniel assis à son bureau, lutin malicieux, ne disant rien avec un sourire rêveur. Un air illuminé que je ne lui avais jamais vu. Elle est repartie. Je n'ai jamais su. Il était hyper discret. Finalement qui savait son monde et son mal intérieur ? Je me le demande.

Il était doux et il se noyait au dedans. Il aimait profondément ses amis, tendrement, profondément, je crois qu'il aurait donné sans compter pour eux. Un an avant qu'il ne se suicide, son meilleur ami du coin, notre Christian, (qui rit dans le coin à droite, sur la photo là-haut) était mort du sida. Ils avaient vécu l'aventure asiatique ensemble durant presque dix ans. Christian avait pris le poste de Daniel quand celui-ci était parti au Laos. Daniel avait tout créé au Laos, l'assise de l'association, les projets du Nord au Sud, les partenaires, les contenus, tout. Idem pour Christian qui n'a survécu ses dernières années que par la passion de son travail.

Pourquoi je parle de Daniel que je connais peu ? A cause du touk-touk dans Bangkok et de nos corps qui se frôlent, du désir ambiant, de la pudeur et de son regard bienveillant sur moi. C'est vrai que je l'avais aussi revu lors d'un dîner dans le Nord, chez moi. On avait mangé une soupe délicieuse dans un restau bizarre. Un de ces plats chinois où tu as un immense bouillon devant toi et tu partages, tu mets les ingrédients et les odeurs se mêlent. On s'était régalés. Il n'allait pas très bien. Il semblait blasé, il semblait s'ennuyer un peu, il n'en pouvait plus de vivre à Bangkok.Nous ne savions pas, nous n'avions pas idée qu'on se retrouverait deux ans plus tard au Laos, moi de passage une première fois, lui installé.

Pourquoi je parle de Daniel ? Un être mêlé, une âme vagabonde, un homme de charme sincère et simple, et tant de secrets. Finalement tous les êtres que nous rencontrons nous changent, nous façonnent, même si nous  les connaissons peu ?


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5 commentaires:

Mingingi des prairies a dit…

C'est un très beau portrait.

L. a dit…

Merci pour lui. Un bel homme. Au coeur vaillant.

Tifenn a dit…

Il y a des rencontres qu'on oublie pas, qui remontent en plein visage un jour, on réalise que. Et on a le coeur qui se serre. Parce que parfois, on voudrait avoir eu plus de temps.

L.A a dit…

File le temps, file sa perle tissée de soi, les autres qu'on croisait, avec lesquels on riait des yeux. Je ne suis pas nostalgique pour Daniel. Nous avons échangé à notre mesure et puis, sans le savoir, j'allais mettre mes pas dans les siens là-bas. Avec bonté.

L rajoute a dit…

Mais Tifenn, je vois ce que tu dis.
Finalement savoir qu'il y a de beaux êtres sur terre et avoir eu la chance de les croiser, cela m'aide à vivre...