Clo est une des dernière découverte amie-du-lointain.
Tu peux la voir de dos, sur le montage de la bannière, la petite photo à gauche, lors de la cérémonie de départ du Laos. Cette cérémonie se nomme " baci". Je suis de face et au fond à droite c'est le dos de Clo.
Une grande fille splendide, la première chose à laquelle j'ai pensé quand je l'ai vue au boulot c'est qu'elle aurait pu être mannequin. Grande, avec juste les formes qu'il faut, svelte, des cheveux bruns frisés d'un volume de rêve et des yeux verts aux grands cils. Une sirène. Et tout ça au naturel, pure nature. Pas un brin de maquillage ni quoi que ce soit.
Tout vêtement sur Clo tombait comme par magie d'une élégance simple à couper le souffle. Bref, un corps. mais surtout une tête. Et un rire, à pleines dents, et des mains longues. Enfin, tout.
Le père de Clo travaillait dans la marine marchande et sa mère était anglo-saxonne. La petite Clo avait donc beaucoup bougé dans sa vie et avait passé son enfance en Nouvelle Calédonie, pieds nus, sauvageonne.
Pieds nus nous l'étions tout le temps au bureau et dans nos maisons, dans ce pays boudhiste où tu laisses tes chaussures au dehors.
J'ai d'abord rencontré Clo par son C.V. J'allais quitter Lyon pour Vientiane, la capitale du Laos, pour diriger une équipe laotienne ( et deux collègues françaises ) dans une association dédiée à l'éducation et à la santé. Je résume en disant cela, je ne vais pas te parler en détail de ce que nous faisions, pas là. Là je raconte ma Clo. Je veux raconter ici ceux qui ont compté pour moi et ceux qui ont partagé ma vie d'expatriée.
Alors j'ai lu le C.V de Clo en me disant " je vais être sa boss, voyons voir cette fille". On m'avait dit qu'elle était jeune et parfois impulsive. Elle avait ..? 24 ans ? Je ne sais plus... et un parcours qui m'a plu d'emblée. Elle avait fait une grande école de commerce et en sortant de là avait été logisticienne-manager d'une troupe de cirque. Elle avait fait ses études moitié en France, moitié au Royaume-Uni. Elle avait plein d'expériences dans le domaine des arts de la rue et des langues vivantes plein la poche. Tu sentais là fille qui est en pleine possession de ses moyens et qui n'hésite pas.
Et puis quand je suis arrivée face au spécimen, c'était encore mieux. J'avais signé pour deux ans mais je n'en ai fait qu'un et quand on s'est écrit alors que j'étais rentrée en France "la laissant aux mains" d'un directeur bof bof, elle et son autre collègue Pat...Elle m'a fait comprendre que ce gars était une tâche, un mou du genou et que ça ne le faisait pas. Elle était déçue. J'avais rompu le charme d'une collaboration hors pair entre elle, Pat et moi, les 3 nanas de l'équipe..et les dizaines de laotiens travaillant avec nous...Je sais. C'est moche...
Clo avait toujours le sourire, ce n'est pas une référence là-bas. C'est obligé de sourire, surtout dans le malheur. Une des plus belles choses qui m'aient été donnée d'apprendre. Mais le sourire de Clo, avec les yeux et la bouche, c'était du pur, du sérieux, de quoi avancer ensemble. Elle était responsable de "l'atelier' en charge de toutes les productions de matériel pédagogique : bandes dessinées, posters en tissus et papiers, marionnettes,livres...Elle a mené ça tambour battant et surtout elle était imprégnée du pays.
Elle parlait, écrivait et lisait le laotien. Cette fille t'apprenait une langue en trois mois, sans problème. Elle vivait avec les locaux, les fréquentait, buvait des bières avec eux et plus si affinités. Et affinités il y eut avec péripéties, je te le dis. Pas que du bonheur d'ailleurs. Des choix, toujours des choix.
Des troupes de cirques sont venues au Laos, c'est Clo qui les hébergeait, bien sûr. Sa maison était en bois, loin du centre ville, les voitures s'embourbaient. Une nuit elle roulait en belle robe légère, au sortir d'une "party" arrosée, quand elle est tombée en panne, de la boue jusqu'aux mollets. Equipée rocambolesque entourée de laotiens en deux roues, éberlués et saoûls, pour la sortir de là...Hisse et Ho la Clo !
A n'importe quel moment de la journée elle se posait dans l'entrée du bureau où il y avait deux fauteuils en osiers, à l'abri d'un paravent. Elle se mettait en tailleur et disparaissait aux yeux du monde. Elle méditait ou simplement "faisait le vide" comme elle disait. Pas plus de cinq minutes lui suffisaient. Elle revenait ensuite dans son bureau toute lissée, détendue, disponible à 300%. Clo passait sa vie au travail sans jamais regarder l'heure. Elle était passionnée, elle adorait son équipe de trois dessinateurs laotiens, elle adorait le pays, elle y était chez elle.
Un jour France Culture a débarqué, invité par Clo. Elle avait commencé à enregistrer des chansons de groupes éthniques, faut dire que nous étions en lien étroit avec une équipe d'ethnologues, dont un pote à elle. ainsi qu'un chercheur de haut vol, de vraies perles. Deux animateurs-chercheurs de Radio France venaient pour enregistrer des traditions orales et c'est Clo qui les a guidé. Bon, tu vois, c'était comme ça.
Il y a des personnes qui ont le don. Ils sont entiers, ils sont complètement "à leur place" quand ils font quelque chose. Je dirais qu'ils rayonnent. Ils ont sans doute eu la chance de sortir tôt du nid. Ils ont eu une enfance pleine, avec une multitudes de possibles. On leur a dit très tôt " Tu peux", ils ont vu très tôt que c'était possible. Ils n'ont pas peur. Je pense que la peur est le cancer du Monde. La chose la plus importante à enseigner à ton gosse c'est la non-peur et les possibles. La confiance. Après l'instinct suit, naturellement, pour trouver ta nature. Nous avons le flair quand nous osons respirer.
Alors malgré toutes les galères, tous les moments de doutes et d'abattements, que nous avons traversé dans notre année laotienne, je ne retiens pas les larmes mais le sourire fulgurant de cette fille. La force de sa présence et cette énergie transcendantale. C'est vrai qu'elle était impulsive et pourquoi ? Parce qu'elle débordait d'idées. Tout le temps. Et des bonnes, en plus. De l'envie à ras bord, qui déborde, oui. Des collègues comme ça, qui rient au lieu de pleurer, par tous les temps, et qui savent et se taire et parler pour dire. Tu les gardes au chaud dans ta boîte à merveilles de la vie.
Non, je n'ai pas gardé contact. J'ai un peu essayé mais Clo elle vit avec le présent, pas de soupirs, pas d'adresses vieillissantes. Deux cartes. Elle était à Londres en fac d'ethno. J'ai eu sa mère au téléphone, même, pour me confirmer une adresse. Cela m'a fait sourire. Sa mère s'inquiétait encore pour l'avenir de sa fille...Pas le temps de finir sa Thèse, la miss Clo était déjà repartie, happée par une mission de terrain, etc. J'ai rigolé. S'inquiéter ?!? Les mères, décidémment, ne connaissent pas leurs enfants. J'ai croisé sur le net sa bouille, il y a dix ans...Afrique, Nations Unies, journalisme...? Et puis encore ailleurs et autre chose...
Ne pas la chercher. Un jour je l'ai trouvée dans mon escarcelle. Une chance. Une fois. Merci Boudha.
4 commentaires:
Hé, c'est super de retrouver la tortue légère, ma parole c'était un signe le nuage que j'ai vu l'autre jour !!! Ce texte est vraiment inspirant et donne envie... des collègues qui rient ça me rappelle une anecdote quand je travaillais dans une boutique avec deux super collègues, une femme nous a dit : " je n'ai rien à acheter je suis juste entrée parce que je vous ai entendu rire de dehors et ça m'a plu ..."
Coucou toi ! Bienvenue for the season two ( démarrée il y 2 a billets )! A tea for two ?
Je prends tout, latortue. C'est tellement beau tes écritures.
C'est tellement noir aussi.
Haché dans les couleurs, les nuages, les ombres...
De jour de nuit, de couleurs, j'aime te lire.
Isacorse.
Merci, merci. Lis, lis, prends, c'est à tout le monde maintenant.
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