29 janv. 2010

Un rien vous suffit ?!?

C'est Renée qui me l'a dit...Renée vit seule au fond de sa vieille ferme à la lisière de la petite ville.
Je l'ai rencontrée au cours d'une semaine passée à découvrir le portage de repas (municipal) à domicile. En cinq jours je suis entrée dans 130 foyers. Un métier extraordinaire qui mériterait bien plus qu'un simple "portage" pressé par les trente autres personnes à aller voir dans la matinée...

Des rencontres incroyables, bouleversantes, dont Renée.
En plus, Renée c'était le dernier jour, quasi la dernière personne que j'ai vue.

Comme tous les autres elle s'est retranchée dans une unique pièce.
Adieu les étages, adieu les chambres aux volets fermés pour de bon.
La grande pièce "de ferme" avec un évier en alcôve, derrière un rideau plastifié.
Renée est sur son fauteuil près de la fenêtre, près de la porte. S'agirait pas de rater les rares visiteurs, et de faire trop de pas pour répondre au coup de sonnette !

Et du caractère, Renée, elle en a. Elle est solide, le visage entier, plein, elle te regarde,
elle fait pas semblant.
Et elle tricote assidûment...

" Ah ! C'est bien ça, vous faites quoi ?"
- Des chats, vous voulez voir ?
....
Je n'ai pas le temps de répondre, avec Renée c'est comme ça. Là voilà partie dans une pièce et revenue avec un sac plastique rempli de petits chats tricotés main.

" Prenez ! choisissez-en un, allez, prenez !!"

Je suis un peu confuse

" Non, mais non, c'est trop gentil"
- Allez, allez !
- Non mais ils sont tous beaux, choisissez pour moi.
- Non mais c'est vous ! Allez, vous en prenez un !!

J'aime mieux vous dire qu'avec Renée ça file droit. Pas de chichis ma petite dame.
Bon...ça me va. Je prends le bleu et je m'extasie.
Je suis vraiment ravie et émue.
Et je lui dis à Renée. Je la remercie, j'ai le sourire aux oreilles et le coeur qui bat.

Je l'embrasse, elle se recule un peu mais finalement...c'est bon à prendre quand même, le premier et seul bisou de la journée, hein ?
Je lui dis que ce chat est super, que c'est génial ce qu'elle fait.
Je le lui dis d'autant plus que j'ai vu une centaine de "vieux" avant elle et que rares sont ceux qui ont une activité manuelle, en tout cas j'ai pas vu.

Elle recule et me regarde comme un genre de toquée.

" Eh ben vous il vous faut pas grand chose pour être contente hein ? Un rien vous suffit !?!"

- Mais oui, bien sûr. Mais d'abord ce que je vous me donnez ce n'est pas rien. Pour moi c'est un cadeau. Et puis, oui, un rien suffit pour me faire plaisir. Il faut, Renée, il faut, sinon, on fait comment ? On fait comment pour vivre ?"

Elle me dévisage. Je ne sais pas ce qu'elle pense.
Je crois qu'elle voudrait bien un peu plus que des riens. Mais ses yeux me disent aussi qu'elle sait où elle en est et que l'impossible elle n'y croit plus.
Vivre encore chez elle est sans doute le dernier cadeau qu'elle s'accorde dur comme fer,
et elle a bien raison.

Moi je repars gâtée et épatée et je demande à ma collègue :

"Elle a quel âge Renée ?"
- 96 ans
-Non....
- Si.

19 commentaires:

Tifenn a dit…

Y a des gens comme ça. Et des comme toi, qui les voient.

Lôlà a dit…

Oui, mais sans cette vue là, comme la vie serait triste.
Merci toi...

croukougnouche a dit…

elles en ont de la chance , toutes ces vieilles dames extraordinaires mais isolées ,que tu viennes ensoleiller un peu leurs journées ,à leur parler et à faire attention à leurs petits passe-temps..!!

Anonyme a dit…

Renée me fait penser à une de ses soeurs qui au même âge cousait des porte-aiguilles ( je n'en connais pas le nom) et qui récitait tout un tas de poèmes ... et bien peu profitaient de toute cette richesse, sinon elle-même, ce qui la maintenait bien vivante et souriante ! mabes

Mingingi des prairies a dit…

Très belle rencontre, l'autre jour au marché j'ai rencontré une dame agée de 95 ans, on lui en donnait 75 ! Comme tout le monde s'extasiait sur sa forme et sa jeunesse d'esprit elle nous a dit que son secret c'était d'être allé à la piscine jusqu'à ces 90 ans ! Mais je pense qu'il y a aussi beaucoup d'amour de la vie, de curiosité, si tu avais vu comment ses yeux pétillaient ! Le plus beau de l'affaire c'est qu'elle a réconcilié une autre dame avec la vieillesse, celle-ci lui a dit : "Avant de vous renconter j'avais peur de vieillir, vous me redonnez espoir !"

Lôlà a dit…

Formidable ! Et pis toi dis donc t'es quelqu'un qui sait faire son marché...le coeur ouvert !

Dana a dit…

"Pas de chichis ma petite dame."
Il y a de telles phrases que j'adore lire, empreintes d'humanité et de naturel, de simplicité qui est de plus en plus à mon goût, bien que je fasse souvent la snob ; )

Je me souviens une réplique d'un film dont j'ai oublié le nom :

"Simplify, simplify " !

Bon we, Lôlà !

claire fo a dit…

Des rencontres comme je les aiment!
Savoir donner du temps,de l'amour, de l'attention c'est important pour soi et pour les autres.

Lôlà a dit…

Merci pour vos passages, et pas de chi chis entre nous, oui.

Anonyme a dit…

Chaque mot écrit compte pour chacun de nous, chaque attention, regard, geste.
C'est une bonne leçon de vie de "savoir" être pour l'Autre.
Inévitablement pour soi. Un jour ou l'autre...
On oublie tout cela, nous, ceux qui marchent, qui voient dehors.

Quand on devient un peu moins mobile, entendez " se déplacer, être libre", la vie devient très complexe.
On se cantonne dans un tout petit univers, pas le notre, mais on s'y fait, on se formate...

On attend l'inconnu (e), on attend la vie de l'interieur, et quand Lolà vient, alors...
Un petit coin de ciel bleu devient bleu.

Isabelle.

Epamine a dit…

Poser sa main sur une main "pleine de vie",
croiser le regard bleuté d'un horizon lointain,
écouter de belles histoires d'antan,
et savourer l'instant
et ne jamais l'oublier...

Il est de ces belles rencontres qui embellissent nos souvenirs.

Magnifique billet...

Lôlà a dit…

Merci les amies.
Les instants fugaces qui tiennent la distance font la vie autrement, même un peu, même tout à fait.

la Mère Castor a dit…

Ne l'oublie pas. Et quand tu seras bien vieille, ce que je te souhaite, j'espère qu'une Lola viendra te voir, et qu'elle saura à son tour prendre le temps de te parler et de te regarder.
J'ai perdu ma maman en septembre, elle avait 87 ans (presque une jeune fille) elle est restée chez elle jusqu'à la fin, c'est sa victoire finale.
C'est peu de dire que ton billet m'a beaucoup touché.

Lôlà a dit…

Bises à toi conteuse Castor...
Perdre sa mère, j'en ferai un billet un jour...

Marie-Claire a dit…

Belle histoire. Je la prends, je la cache au fond de moi. Je sais qu'un jour, elle m'aidera.

Lôlà a dit…

Je te l'espère, alors...

Anonyme a dit…

une histoire très bien racontée. Le don, la gratuité, le simple échange amical, un sourire ... sont les véritables richesses, alors un bisou!!là , on touche de l'or! On est riche de ce que l'on donne. La vieille dame pensait peut-être à d'autres richesses dans sa vie, des richesses plus matérielles, peut-être. Elle a du se frotter à la vie et peut-être que ces petis instants lui aparaissent peu de choses. Pourtant, c'est elle qui va chercher ses petits chats. J'ai le sentiment que vous l'avez touchée derrière sa carapace. j'ai connu une vieille dame qui s'est éteinte à 102 ans . Un vrai chameau à la langue bien pendue, mais qui à sa facon savait encore s'émouvoir . Je crois que votre passage a laissé des traces comme le mien des fautes d'ortographe.

Une belle plume en tout cas

ces petits rien qui font tout

La tortue légère a dit…

Merci beaucoup. Vous avez un nom,un prénom, ou un pseudo quelque part où vous lire en retour ?
En tout cas Bienvenue ici !!

Anonyme a dit…

je n'ai pas de blog, j'ai choisi l'option anonyme en bon petit soldat parce que c'est proposé dans la fenêtre "enregistrer un commentaire"
je papilonne de blog en blog en m'arretant quand il y a de la lumière

stéphane