6 mai 2023

Le jardin

  Dis-moi ton jardin, je devinerais peut être qui tu es, mais pas qui tu as été, ni quel jardin tu avais entre les mains il y a quelques années, quelques dizaines de vies d'avant.














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Le jardin c'est déjà, un jardin qu'on trouve, qu'on prend sans connaître toute sa vie d'avant.
Moi je suis arrivée dans un jardin abandonné depuis cinq ans et  juste taillé, tondu, à la va vite pour les visiteurs avec l'agence. Un genre de mini pré avec trois arbres. C'est tout ce que j'ai vu. J'avais les yeux bouchés. Je n'ai vu les rosiers que plus tard, je n'ai vu la vue démente sur le Vercors que plus tard en taillant la haie. J'ai acheté la maison sans avoir aucune idée du jardin. Un inconnu caché.
 
J'ai bataillé avec lui. Il a trois parties distinctes. J'ai laissé en friche la partie "arrière" et j'ai lutté avec les deux autres. Je voulais planter ça et ça, là et là et pas ailleurs,  et le jardin se moquait de moi. 
Je tentais quelques légumes faciles que je sais cultiver,  et les fourmis et les araignées se moquaient de moi.
 
Des années après je peux dire qu'il a bien ri de moi, avec moi. Au bout de quatre bonnes années je me suis "décervellée", j'ai arrêté de passer en force, j'ai décidé de suivre le courant naturel du jardin. J'ai laissé tout ce qui venait naturellement. J'ai délicatement pris des pousses d'arbres dans la nature, tout près et je les ai plantées. Un maternage merveilleux, des joies inespérées.
Des arbustes viennent aussi, sans que je les ai vus venir, je les laisse. Les fleurs sauvages n'en parlons pas, elles sont chez elles.
 
Et de la Marâtre qui forçaient ses petits, je suis devenue une Enamourée qui s'étonne et mon coeur bat avec celui du jardin. 
 
On s'amuse bien, on se fait des petits cadeaux. Les voisins n'entravent que dalle. Essayent de nous contenir, de nous dénigrer, "trop haut", "trop de ", "cabane qui va tomber". Je laisse parler, je cajole les grincheux. De temps en temps je fais du grand ménage, ce ne sera jamais assez pour eux. Tant pis. Quand un inconnu entre au jardin, un facteur, un artisan, ils disent Oooh OHH c'est bien toute cette nature, et ouvrent des yeux grands. "C'est le paradis ici !"a dit la factrice un jour. Quand deux collègues sont venues déjeuner pour notre fin de saison ensemble, dehors nous mangions, elles furent toutes éblouies. " J'ai l'impression d'être complètement partie loin...". Leurs regards s'évanouissaient dans l'horizon.

J'ai misé sur l'ombre et le sous-bois. J'ai laissé les choses se faire, voir comment seule la nature se débrouillait, comment le rosier grimpait dans les branches du robinier, comment la haie montait trop haut et fleurissait trop. On vit l'expérimentation. La glycine de ma voisine crapahute chez moi. Le frêne venu tout seul est gracieux, le prunus de mon voisin a fait un bébé en plein milieu, là. Je lui parle.
 


Un jardin plein d'erreurs, très simple, trois parties animées, même celle de "l'arrière" qui reste la plus bordélique et me pose question. Questions qui s'envolent. 
Le jardin change énormément au fil du temps. Il absorbe ma paresse et les coups de débordements. Les branches penchent comme des ombrelles, cassent avec la neige de printemps. Il ne m'appartient que peu maintenant, je le regarde faire sa vie, le plus souvent.
 
Au début, je n'avais pas de connaissances écologiques particulières, quelques bribes simples liées à la rencontre avec une jardinière professionnelle et engagée qui animait des jardins collectifs au village. J'avais le mien, c'était le grand apprentissage, autour des années 2000. Un jardinier-citoyen était passé devant ma parcelle et avait dit "Ce n'est pas un jardin, c'est une mosaïque". Quel cadeau ! Je ne semais jamais rien en ligne droite mais en courbes et spirales.

De ce jardin d'aujourd'hui je dis : "C'est un jardin du XXIeme siècle". On essaie. 
Apprendre à désapprendre :
 
Ne pas faire le jardin de nos parents ni de nos grands-parents. Se décrasser les neurones. Pour certains ce n'est pas possible, trop dangereux, trop risqué. Où va-t-on aller ? Vers l'inconnu ? Oui.

Lié autant à ma fantaisie qu'au rapport du GIEC. C'est un jardin de résistance, mal foutu, mais c'est ma poche libertaire, ma minuscule consolation face à toutes les conneries que je vois, toute la maltraitance faite au monde vivant. Ce béton qu'on coule, encore au XXIeme siècle, sur des arbres à peine déracinés. 
 
Je n'ai aucune illusion sur la connerie des humains. Alors, c'est mon coin, très personnel, des illusions pas perdues. Au piquet j'irai, bête comme un âne.
 
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