19 avr. 2023

Roscoff !

 C'est la photo plus que celle

C'est la photo plus que ça

Parce qu'on n'était à peine née, parce qu'on était celle qui est dans les bras. 

Donc, on ne se souvient pas.


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C'est la photo qui partout est restée, chérie, parmi une dizaine d'autres en noir et blanc, qui sont installées dans les recoins de la chambre, même loin d'ici, emportées dans les bagages et les avions.

Les photos rescapées.

C'est la photo qui fait presque pleurer à 63 ans, soixante trois années plus tard, parce qu'on ne sait pas exactement, pas très exactement ce que la famille a fait durant ce séjour breton inopiné. 

"Tu as failli mourir, alors on t'a emmenée en Bretagne". Pour l'iode, l'air marin, le vent, pour que je me nourrisse à nouveau. Qu'est ce qu'il avait ce bébé six mois après sa naissance à se vider ainsi et ne rien retenir dans son mini corps pourtant né potelé ? Le docteur a dit "Du grand air", une Thalasso pour bébés, on n'ira pas en Corse cet été. Cela n'arrivait jamais, ou presque.

C'est le grand-père paternel qui prend la photo, Robert, amoureux de la photographie. Sa femme, à droite, Alice, née au Québec, sa petite-fille à côté d'elle, ma soeur Alice, et mon frère devant. Mon père me porte, ma mère cheveux au vent surveille, à gauche.

Et tout à coup, après cet été iodé, je me suis "re naît", je me suis secouée, j'ai mangé avidement en Bretagne, mon teint a rosi, j'ai re démarré ma vie.

Depuis longtemps je me demande où cette photo a été prise. Ce matin, en réfléchissant à cette Bretagne adorée où je vais peut être séjourner cet été, je me suis dit " Et si j'enquêtais?". J'ai regardé cette photo de très près et j'ai constaté que les indices étaient maigres. On pourrait être n'importe où en bord de mer breton ! 

J'avais en tête Quiberon, mais en regardant la carte de mes futures vacances j'ai frôlé Perros-Guirec dont je n'ai cessé d'entendre le nom quand j'étais petite. Perros-Guirec par ci, Perros-Guirec par là. Mon père, lui, louait Quiberon qu'il avait beaucoup aimé. Sans doute un pont ou une route ou une digue en construction en 1960, année de la photo. Ingénieur des Ponts et chaussées, toutes les nouvelles constructions audacieuses le passionnaient. Bon, alors on était où finalement !?

 Eureka ! Je me suis souvenue que ma mère notait toujours derrière les photos les lieux et dates et parfois les personnes. Et toujours de me répéter "Il faut toujours le faire, car après on ne s'en souvient plus". 

J'enlève délicatement le cadre en verre et tente de détacher la photo qui est collée à la paroi et aux photos voisines, depuis des décennies. Je tourne doucement la photo et...de la plume délicate de mon grand-père je lis "Roscoff. Août 1960".

Roscoff !! On est bien dans le secteur auquel je pensais. 

Et maintenant que je sais avec certitude où j'étais à l'été 60, me reviennent des images de Quiberon, mais on est au moins huit ans plus tard car des souvenirs m'effleurent.  Quelque chose, par là, avait tapé dans l'oeil de mon père. Géographie, architecture, route sur la presqu'île... Bien des années après mon séjour "thalasso bébé", quelque chose avait attiré mes parents vers le Morbihan, et nous n'étions que trois, eux et moi, durant ce séjour.

En 1960, on longeait les côtes entre Finistère et Côte d'Armor. Ma théorie est que nous séjournions à Perros...et que nous sommes là en balade. Les bateaux vers l'Irlande et l'Angleterre étaient-ils là, à mouiller les yeux de ma grand-mère bilingue, née d'une mère anglaise ? La présence des grands parents est intrigante car nous n'étions jamais en vacances d'été avec eux. Ils vivaient à Paris et nous y allions tout le long de l'année, sauf en été. Ils sont peut être juste passés durant un week end. C'est fort possible.

Roscoff ! J'ai comme retrouvé un ami. Un sentier, un panneau de randonnée, un fil d'Ariane. Je suis avec eux quelque part, je sais où. Je sais où j'étais, je sais où nous sommes sur cette photo adorée. Ce n'est pas l'oubli, le manque, l'interrogation gardée durant soixante trois années "Mais où étions-nous tandis que je revenais à moi ?". Et il suffisait de regarder derrière la photo.

 

C'est la photo balancelle

Celle que tu es

Celle née, celle rescapée, celle portée

C'est la photo plus qu'une photo quand il ne reste plus que cela

Et aujourd'hui je retourne, je vois, je suis dans la photo

C'est la photo celle

Que tellement je vous aime, que tellement j'aime

Que nous pleurer est un cadeau


 
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3 commentaires:

Tifenn Yvon a dit…

Oooh. Ainsi tu es bretonne. Je le savais.
En plus Roscoff c’est beau.

La tortue légère a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
La tortue légère a dit…

Viii. Je suis. La Renaissance !. Reconnaissance éternelle. Et c'est Stef qui m'a emmenée à Roscoff, "pour la première fois"...je croyais !