Projet d'écriture de mars 2023. Portraits d'amies perdues.
Oh la belle époque !
1997. De retour du Laos je viens d'arriver en Drôme. J'y vis depuis trois mois quand je signe un contrat de travail sur trois ans, avec un contenu et des défis à ma mesure, cette mission va m'apprendre beaucoup et n'est pas totalement différente de ce qu'on peut mettre en place à l'étranger, loin.
Bonheur double, nous sommes deux, chacune avec son propre employeur, à devoir monter ce projet de santé publique, sur un mi-temps où nous travaillerons main dans la main. Et voilà ma Tranquille !
On va vraiment bien avancer ensemble, sur ce projet d'accompagnement à la santé-bien-être et aux soins pour les 18-25ans. C'était avant la C.M.U (couverture maladie universelle) de 2000, qui a ouvert l'accès à la santé gratuitement pour toutes les personnes à petits revenus. Je n'y connaissais rien en insertion des jeunes gens. Elle m'était d'autant plus indispensable.
La Tranquille et moi, quel duo improbable. Nous étions très différentes, sur de multiples plans. L'intranquille avec une tranquille? On a déchiré!
Elle est de grande taille et sa voix est douce, jamais elle ne hausse le ton. Avec elle je découvre l'ambiance drômoise, elle est ma première collègue locale pur jus. Miam.
Tout ce qu'elle m'a appris ! Je ne parle pas que du boulot, où elle connaissait déjà beaucoup de partenaires, elle était précieuse. Mon guide. Mais surtout, elle m'a initié à cette délicatesse locale, cet amour de la nature, cette diplomatie ambiante. Au militantisme aussi, militantisme doux et social, convaincu.
J'atterrissais dans un département où tout le monde est heureux d'y vivre, les locaux en premier. Quelle joie ! Les drômois appréciaient de partager leur douceur de vivre et aimaient que des personnes venues d'ailleurs dévorent leur pays, l'aiment, s'y installent, prennent des emplois. Ouverture, ouverture, accueil. Piouf !
Les drômois aiment leur terre, aiment tout de ce qui y vit, ne se plaignent pas, passent beaucoup de temps dans la nature, prennent soin de leur santé, s'aèrent. Ils sourient, invitent, partagent leurs bons plans, leurs bons coins ( pas les ardéchois qui gardent pour eux les coins secrets des baignades en eau vive!). Mais un drômois a souvent du sang ardéchois. Grâce à elle j'ai eu le sentiment d'être adoptée, j'ai eu beaucoup de chance.
Et en prime j'apprends à connaître La Tranquille hors du travail. Elle m'emmène chez elle, cette grange parfaitement aménagée en maison, sur le terrain de ses parents arboriculteurs. Elle mange plein de légumes, ceux que son père cultive, et comme tout bon paysan, il ne peut pas faire un petit ou moyen potager, le sien peut nourrir une dizaine de personnes. Et elle me donne. La Tranquille a une générosité débordante. Elle a la foi envers l'Humain, de cette humanité qui penche vers le courant protestant que je vais découvrir ici. Car en Drôme, il y a des temples, des traditions, des Histoires, et le protestantisme se vit au présent. Centres d'accueil, activités, engagements, restaurants collectifs où se mêlent divers publics, etc.
La Tranquille a une soeur qui vit depuis les années 90 environ, en Crète, dans un habitat troglodyte, avec son compagnon. Ils ont des petits contrats avec des bergers et des artisans locaux. Ils vivent en dehors de la société de consommation. Il faut marcher assez loin pour chercher de l'eau. Quand j'apprends cela je suis épatée. C'est toujours passionnant de voir les destins dans une fratrie. Deux soeurs. L'une en rupture de la société occidentale, l'autre ancrée en sa terre, vivant en face de la maison de ses parents. Ce couple atypique reviendra en Europe au début des années 2000 pour des raisons de santé tout d'abord, et ensuite pour changer ce mode de vie devenu trop ardu, très physique, éprouvant au bout de dix ou douze ans. Comment ont-ils tourné cette page ? Quelle vie ont-ils retrouvée et où ? Je n'en sais rien. Elle était très discrète sur sa soeur, la voyant peu, le couple n'ayant pas les moyens de prendre l'avion. J'avais oublié cette soeur originale, elle vient de me revenir en écrivant ce texte.
La Tranquille m'apprend la nature, la santé par la nature, les plantes, les huiles, les graines. (Finalement, elles sont bien reliées ces deux soeurs.). Je suis contaminée. Enchantée. Cette région est à l'époque (avant 2000) en haut du tableau des initiatives écologiques et solidaires. Chez elle on mange doux, frais et bon. J'y découvre aussi la retraite des paysans, la vie ralentie, après les arbres, après les fruits, après les moutons et les vaches dont il faut se séparer.
Dans la ville où nous travaillons, elle me montre LE restaurant végétarien de dingue, qui va changer ma vie lui aussi. J'avais déjà mangé végétarien, par ex, à Paris, mais là on est bien au delà. Je ne cesse de découvrir, en fait, c'est une période bénie où tout me réussit.
On a travaillé ensemble trois ans. Je pense qu'ensuite nous nous sommes donné des rendez-vous de temps en temps, et puis la vie, les boulots, nous ont séparées. Cela s'est fait sans regrets car je n'étais pas vraiment une amie intime. Ses amies je les connaissais de loin. Elles partaient ensemble camper, elle partaient en vacances en plein air, un groupe de femmes soudées. Des femmes qui partaient, sans leurs mecs, sur de courts séjours de vacances. Tiens, tiens...pas mal ça !
Sept ans après ce beau partenariat, alors que nous sommes peu en contact, la voilà dans notre camion de déménagement, la seule à nous aider, accompagnée d'un panier très beau, que j'ai toujours, avec cadeaux et fruits et légumes. On se ré installe en Drôme. Elle donne, c'est sa vie, sa foi, son socle. Quelques années auparavant je déménageais d'Ardèche vers l'Isère, et ne savais que faire de certains meubles, dont une télé. Qui me propose de les garder dans le cagibi de sa grange ? C'est à toi, lui dis-je, tu prends ou tu vends, tu fais ce que tu veux. Je suis devenue une vraie drômoise?
Après ce déménagement où elle participe activement, alors qu'elle connaît bien ma nouvelle adresse, curieusement je crois qu'on ne se revoit plus. Elle a pris des fonctions de responsabilités assez lourdes qui lui ont demandé une année de formation à Paris. Je sais que ce fut dur. Je pense que cette expérience enthousiasmante au début ( grosse promotion personnelle) a dû lui peser à la longue. Je ne sais pas ce qu'elle vit actuellement. Ses deux enfants, dont j'ai un peu suivi le parcours jusqu'au Bac, sont des adultes qui ont dépassé la trentaine. A-t-elle changé de branche professionnelle, refait des formations ? Elle en est capable. Dans la botanique ? Elle adore. Cuit-elle du pain dans une épicerie engagée qui propose des paniers bio? Elle en est capable aussi.
J'ai regardé sur facebook. Trouvé un vieux site abandonné depuis quatre ans, il me semble. Je n'ai rien fait. Je crois qu'on s'est séparées, perdues de vue, comme on dit, de manière naturelle. Si un jour on se croise quelque part, ce sera de façon simple et naturelle, impromptue. Elle est comme ça.
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