14 oct. 2022

Les tournants

Quand je suis arrivée ici, dans cette maison, en 2011, j'ai été prise d'une frénésie créative. 

C'est venu sans que je réfléchisse, impulsivement et très construit, avec une forte détermination , très profonde.


 

( si tu cliques sur les photos tu les vois en grand)







 

 

Auparavant j'étais en appartement avec un coin bien délimité "à moi" dans la salle, où je faisais déjà de la peinture, pas trop, et surtout des collages et coloriages. 

Dans la maison, au bout de trois mois, j'ai définitivement choisi la pièce qui serait mon atelier, à l'étage. 

Une grande table à tréteaux, deux fenêtres sur les arbres du jardin. Un beau parquet récemment mis à jour et poncé. Des murs orangés doux et vifs aussi, des murs en planches de bois peintes en blanc, je n'ai rien eu à modifier. 

 










 

A partir de là, assise à ma table face au jardin, j'ai été méthodique et décidée. 

J'ai acheté tous les matériaux possibles, gouaches, huile, acrylique, pigments, encres, fusains, pastels,  crayons, feutres, colles, carnets Canson de diverses tailles, papiers divers, tout y est passé. 

Je faisais n'importe comment, sans technique, je mélangeais tout avec délectation, j'en mettais partout, parfois rien ne "tenait" bien sur le papier, je mettais de l'eau avec de l'huile, c'était la tambouille, vraiment jouissive.

Ma frénésie la plus dense et la plus incroyable, avec le recul, a duré tout le premier été ici. J'ai tout gardé pour me souvenir toute ma vie de ce moment.

 





 

Le chat à droite, ci dessous, est mon premier essai à l'huile. 

Celui de gauche mon premier essai à l'acrylique



 

 En septembre j'ai découvert un atelier collectif au bourg, avec une prof hors norme, artiste et arthérapeute. 

Elle a quitté l'atelier fin décembre après dix ans d'un travail extraordinaire. J'ai donc juste bénéficié de quatre mois avec elle. Je pourrais dire qu'elle m'a ouvert les bras, les miens, et j'étais sur un tremplin où je me lançais, inconsciente, sans peur, naviguant à vue. Je ne cessais d'improviser et de faire tout ce qui me passait par la tête. On peut dire que cela a duré une bonne année.

Aujourd'hui j'ai regardé ce qui me reste de cette période ( cf photos de cet article). 

Je ne sais pas qui est cette fille qui a fait tout cela. Ce fut une période très intense, sur le plan créatif et professionnel, et aussi douloureuse. Deuils familiaux, distance avec des amies anciennes. L'absence cognait à ma porte et m'engouffrait. Il y a des périodes d'immenses changements où l'on ne maîtrise plus rien.

Qui est cette fille qui a fait ces dessins, ces peintures ? C'est comme si en arrivant ici j'avais "tout déballé" ce qui était bien le cas...après un déménagement !

Mais je déballais bien plus que du visible et du conscient, bien sûr. Je pourrais dire que j'avais de l'or sous les doigts, j'étais l'enfant prodigieuse, l'enfant dans sa grotte qui écrit sa préhistoire, qui jette sur les papiers tout ce qui est en elle, spontanément. 

Je pense avoir fait les plus belles choses à ce moment là. Quand je les regarde à nouveau je vois ce qui m'animait et l'exploration joyeuse qui était en moi.

 









 

Je prenais régulièrement des modèles pour m'inspirer. Bien souvent je croquais d'un bond, en quelques traits, parfois je prenais le temps et m'appliquais d'une nouvelle façon. Tout était nouveau pour moi, même si je puisais dans des expériences anciennes, dans des fonds qui ressurgissaient. 

Un été après, en 2012, sans doute encouragée par toutes mes expériences récentes, je faisais des petits tableaux, dix exactement, pour mon récit issu de la terrible fin de vie de ma mère, " Le dément voyage" auto édité en 2012. 

Là aussi, tout me venait sans jugement. En une après-midi je pouvais faire trois peintures pour mon bouquin, c'était plié, j'étais sûre de moi. 

De cette année très spéciale, 2011-2012, j'ai gardé pas mal de créations, et quand tu viens chez moi, tu les vois au mur aussi. 

J'ai gardé les quatre premiers croquis de ma première séance avec cette arthérapeute en or, les souvenirs de ces moments d'illuminations sont totalement intacts.

Par la suite, je me suis mise à envoyer par courrier presque tout ce que je faisais. Je me suis mise à créer "pour"quelqu'un, comme une mise en images de mes pensées pour cette personne à laquelle j'allais écrire.

L'importance du courrier dans ma vie a pris le pas sur la création sans intention précise vers une personne définie, a pris le pas sur la création "pour la création", chez soi. 

Je me suis aussi lancée dans une correspondance assidue vers des personnes âgées qui ne sortaient plus de chez elles. En particulier ma tante chérie, et ma deuxième maman-meilleure amie de ma mère.

Les créations sont devenues "utiles" et "liens vitaux". Réparatrices, consolatrices, sans doute. Je ne peux ni savoir ni dire tout ce qui se joue dans ce fonctionnement si intime.

 L'art est toujours arthérapie, n'est que thérapie,  disait ma prof, avec un petit sourire en coin, presque épaule contre mon épaule, jetant un oeil sur mes exercices.


 Par la suite j'ai gardé tout de même quelques productions.



Aujourd'hui je me demande si je ne suis pas à un tournant, un tournant comme celui de 2011. 

J'ai mis beaucoup de temps pour me sentir bien dans ma maison et dans son environnement. 

Il faut beaucoup de temps pour se faire un nid et surtout s'accepter dans ce nouveau nid, dans un contexte nouveau, des espaces nouveaux autour de soi, villes, nature, rues, murets recouverts de végétations, qui sommes-nous ici ? Comment trouve-t-on une place, un regard ? Qui sommes-nous ? Plus jeune je m'acclimatais en quelques semaines, je pouvais déménager avec entrain tous les deux ans. Et maintenant ?

Retrouveras-tu, sur la table à tréteaux  de l'atelier,  cette vigueur et cette insouciance ? Faut-il ranger mieux et jeter ces pots secs et inutiles ? Faut-il reprendre des modèles pour mieux s'en défaire et jouer joyeusement ? 

Il n'y a plus de personnes âgées et immobiles qui attendent ton courrier. Tu les as bien consolées.

Tu es libre maintenant ?

 

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