7 déc. 2021

Ménage de pensées

 En ce moment je pense beaucoup à ma mère. Je ne sais pourquoi. Je me suis dit qu'il était inutile d'en parler. Mais non. Mais si. Je crois même avoir rêvé de l'appartement de Paris cette nuit. En tout cas, émergeant de la couette, j'y étais. Mais ce n'est pas seulement que j'y étais, c'est que je refaisais le chemin que mes parents ont fait pour arriver dans ce lieu.Je n'étais pas avec eux quand ils ont visité cet appartement, cette résidence du XVème arrondissement, dans les années 1975, peut être.

Avant l'âge de la retraite, prise en 1983, mon père a changé de métier. J'étais une jeune femme trop préoccupée par sa vie, je n'ai pas posé de questions. J'ai entendu des choses. J'ai eu l'impression qu'il avait un peu été obligé de cesser son activité de chef d'entreprise en Normandie, et qu'on lui avait trouvé, via des copains,  un boulot moins stressant pour passer les quelques années avant la retraite. Mais ce sont des idées floues dans ma mémoire. A Paris il écrivait pour une revue des Ponts et Chaussées, son domaine de spécialité. Faisait-il autre chose pour cette revue, des enquêtes de terrain ? Ou était-ce essentiellement des articles techniques incompréhensibles pour le commun des mortels ? Toujours est-il qu'il avait acheté cet appartement même avant de travailler sur place ( quasi toute la famille vivait à Paris XVeme, on y venait souvent, mes parents y avaient vécu au début de leur relation), et que c'est vraiment une des meilleures choses qu'ils aient faite, de mon point de vue.

Un très bon choix. Un quartier sympa, entre la Porte de Versailles, les rues de la Convention et de Vaugirard. J'y ai séjourné, beaucoup d'amies y sont passées, des fiancés aussi. J'ai travaillé de temps en temps entre le XVeme et le XIII eme. J'y ai passé des moments heureux avec ma mère pour laquelle Paris était sa deuxième patrie. J'y ai vécu seule en été, ravie. L'appartement était parfait. Pas très grand, donnant sur le petit jardin de la résidence, au premier étage, les arbustes arrivaient sur le balcon. Calme, très calme pour Paris. Cuisine, salle, deux chambres dans un couloir en longueur. Toutes les fenêtres étaient du même côté, et cela n'était pas un inconvénient, puisque c'était le côté jardin, ou personne ne passait, un côté piéton, protégé, bien loin de la rue qu'on entendait pas. 

J'aimerais les voir visiter ce lieu. réfléchir et décider. J'aimerais pourvoir dire aujourd'hui à mes parents, combien ce choix fut un excellent choix, combien j'ai aimé cet appartement, et dans un sens, peut être me manque-t-il mais je suis réaliste, je n'aurais pas pu le garder et il aurait été trop marqué par leur vie à eux. Non, c'est bien ainsi, et nous en avons bien profité. Des petits-enfants y ont vécu et étudié, des  Noël, des anniversaires ont été joyeux. Ma soeur, qui vivait en banlieue chic, y passait beaucoup de mercredi avec ses bambins. Ma mère a marché dans les rues, a aimé ce quartier bourgeois très vivant, elle s'est un peu consolée de la mort de mon père, elle était encore jeune,elle avait l'âge que j'ai maintenant, elle était entourée, de jeunesse aussi. 

Elle a quitté ce lieu sans savoir qu'elle le quittait. En vacances en Corse, dans la maison familiale, elle a soudainement été amenée de force dans un avion par mon frère qui l'a quasi "déposée" dans une maison de retraite à Rouen puis est reparti finir ses vacances au soleil. Ceux qui ont lu mon livre-récit connaissent ce drame. De ce drame, personne ne peut se remettre. La violence qui nourrit ma famille, via des passages à l'acte dévastateurs, est un poison. Ma vie entière ne suffira pas à m'éloigner d'elle et à moins blesser ceux que j'aime. Il me manque sans aucun doute des indices, des pièces du puzzle, des secrets, pour mieux avancer.

C'est peut être la mort récente de ma tante qui me ramène à ma mère mais il n'y a pas que cela. Je crois que ma mère se ré installe en moi comme être vivant, qui a vécu, pleinement, avec des contours redevenus charnels. L'horreur, insoutenable à mes yeux, des dernières années de sa vie, s'estompe, l'équilibre se refait dans les images, les pensées. Je peux réellement voir, revoir et rechercher sa vie, sa vraie vie durant des décennies, la majorité de sa vie, sans plus m'appesantir et me culpabiliser sur les six dernières années terribles ne reflétant absolument pas l'ensemble de son parcours. 

Comme pour beaucoup de personnes, hélas. "Finir en beauté", tu parles !

Je ne veux plus ou ne peux plus, peut être, remuer les glauques fonds. Je remonte en surface et sors de l'apnée, je me console. Je caresse alors l'eau claire, les nuages de bleus, de verts, de gris, la transparence et les reflets du soleil des vies rivières. Ruisseaux, fleuves, forêts, buissons dans un bois, trois oiseaux dans une haie, un chêne seul dans un pré, la courbe d'une colline vert azur. On ne voit pas ce qu'il y a de l'autre côté. La courbe de la colline touche le ciel bleu. 

 

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