14 juil. 2021

Grand Bonheur

 

J'étais installée depuis un temps certain dans la voiture du train, on dit voiture maintenant, pas wagon, mais parfois je l'oublie, wagon c'est joli aussi. Bref, je ne sais plus, j'étais à ma place, sur mon siège de première réservé depuis des lustres, oui avec ma carte séniors je vis dans le luxe et la volupté au même prix qu'une place en seconde classe, chez les manants qui puent des pieds et mangent des bananes dans des wagons surpeuplés.
 
Le train partait de Rouen, parfois il part du Havre (Ô toi je t'aime aussi...) mais j'étais contente de trouver le TGV qui attendait sagement sur le quai depuis vingt minutes. Que viennent les voyageurs, que chacun prenne son temps pour monter. 
 
Mais ce n'est pas au départ du départ que j'ai entendu Madeleine. Je crois que c'est ensuite, trente minutes plus tard ou quarante, après le premier arrêt vers Mantes la Jolie. C'est un TGV qui va à Marseille. On est en juillet, très vite le train fut rempli. Joyeux, plutôt calme dans les voitures des privilégiés comme moi. Mais je te ferais remarquer que les voyageurs en première classe ont beaucoup changé. Il suffit parfois de trois euros de plus pour s'y loger, et ça vaut vraiment le coup durant cinq heures de voyage et plus.
 
J'étais sagement à ma place, envisageant, comme d'habitude, d'aller visiter les autres voitures au cas où il resterait une place encore plus aérée dans une voiture encore plus climatisée, quand j'entends un bébé qui pleure, re pleure, puis appelle au secours. Un bébé qui flippe, se tortille le cerveau et le corps, a peur, s'angoisse un peu, se demande ce qui se passe et commence une petite crise de colère. Ce bébé est dans des bras, j'en suis sûre, mais les bras et le bébé sont fatigués à peine installés, et ça coince un peu. Je sais ça sans regarder, je suis une pro en pleurs de bébés. J'ai travaillé dans le domaine, j'ai eu des centaines de bébés dans mes bras au fil des dizaines de structures, crèches et autres, dans lesquelles j'ai démarré ma carrière de ouf qui a ensuite totalement viré vers autre chose.
 
Je suis de belle humeur. J'ai passé cinq jours avec des humains que j'aime, qui me manquent car ils sont trop loin, je me suis baignée seule souvent, dans une mer à 16 degrés. J'ai pris l'apéro avec mes amis devant des couchers de soleil à tomber dedans. Je suis emplie, remplie, bouillonnante de vie(s). J'en ai à revendre, j'ai du temps, j'ai envie encore d'être avec mon prochain, de parler, de rendre service, d'être encore plus heureuse. Je me lève donc, et vais voir la maman de Madeleine, qui tient sa fille et essaie de la bercer, la consoler, devant les toilettes, sur la plateforme où sont rangés les bagages. Je lui fais juste un "ça va ?" avec un sourire large et des yeux empathiques, genre, je sais que ça va pas, et tu peux tout me dire. Et là, paf, on flashe, je rencontre une jeune femme en or qui me dit que non, ça va pas trop. Qu'elle stresse, que bébé le ressent, et que le papa est marin. Et tout de suite on s'accroche bien toutes les deux, genre, j'ai besoin de toi et genre, on va se faire du bien mutuellement. Dès qu'elle me dit "papa.marin" comme ça, en deuxième phrase-cri du coeur, me viennent les sous-titres, "papa parti en mer, maman seule, premier voyage en train avec bébé tout neuf, maman chagrin". Et je sais très bien qu'être seule en voyage, pour la première fois, avec un bébé à peine sorti de l'oeuf, c'est pas du gâteau, ça peut même aller de mal en pis et partir en cacahuète. Et oui, Maman me confirme que c'est son premier bébé... Donc, je vais dire qu'à partir de là je lui prends la main mentalement et ce sera comme elle veut.
 
Et c'est comme ça que j'ai passé une heure avec Madeleine, un boudha d'or, une perle d'amour et une maman exceptionnelle qui en plus sait dire comment ça va pas et sait demander, partager, avec une inconnue qui a l'air de vouloir lui faire du bien.
 
On parle, et on décide ensemble d'aller vers l'autre voiture qui est dotée d'une banquette à côté des portes bagages, place souvent très prisée. Je vire gentiment le d'jeune qui est assis là avec son stupidphone. Très sympa, il s'était déjà levé en voyant arriver deux gonzesses et un bébé hurlant. Les voilà assises loin des voyageurs. Maman avait peur de déranger, ça la bouffait. Je pars chercher le sac de Madeleine. On discute, on se rassure. Je prends Bébé tandis que maman prépare le bib. J'enlève le petit pull, bébé transpirait et ça, ça énerve. Madelou, Le Havre et l'air frais, le vent du large et l'odeur des algues, Madounette, oui, t'y es plus, on va changer de braquet ensemble. Madeleine a des joues gonflées comme deux brioches que j'embrasse un peu en lui murmurant des mots doux. Quatre, oui, quatre contrôleurs et euses passent à ce moment là. Nous, on porte pas bien bien le masque en cet instant et on est pas à nos places dans un train blindé de monde, ils en touchent un mot ( masque/nez), puis captent la situation, leurs zieux se mouillent un peu et je vois les sourires qui sortent des masques. La contrôleuse-chef nous dit " restez là, faites ce que vous voulez", le bonheur de bébé d'abord".
Plus tard, endormie dans les bras de maman, Bébé reviendra dans les miens pour que maman marche un peu et accède aux toilettes. Plus tard je lui proposerai un café ou un biscuit, à la maman pas à Madeleine, mais maman n'en veut pas. Je vais à la cafèt, je lui dis que je repasserai, qu'elle me dise si autre besoin.
 
Je retrouve bébé encore profondément endormie dans les bras de maman. On discute sur les avantages de revenir à leur siège où est le berceau de bébé. Oui. Non. Avantages, inconvénients. Quand je repasse, elle me dit, oui, allez, on y va. Je porte le sac, et je la laisse, les laissent se ré installer. Je vais descendre du train dans deux heures et demie. Madeleine m'a donc sauvé deux heures d'ennui dans le train. Ma place est dans le même wagon, au fond. Je ne les entendrai plus, juste un coucou en partant. "On se reverra peut être au Havre !". Car nous avons parlé de nos vies, et de cette ville qu'on aime "ce biotope qui m'est vital maintenant" dit-elle, et je le prends en plein coeur ça, parce que, ben...moi aussi j'aimerais bien. Patience.
 
Retournée à ma place je peux enfin mieux rencontrer ma voisine Juliette, à peine deux ans, qui est avec une tante en or, ses parents sont montés dans le train, au départ de Rouen, avec Juliette et tata, puis les ont laissé partir vers Marseille chez papi mami. Dans ce TGV tous les enfants vont chez papi mami. Le train est plein de mômes, de papa ou maman seuls, de taties, etc etc. Juliette en a un peu marre, on a dépassé Lyon je vais bientôt descendre, déjà trois heures et demie de train pour la petite fille qui prend sur elle et rit beaucoup. 
 
On se met l'une à côté de l'autre, je lui passe mon magazine Géo, elle tourne les pages religieusement, on commente...puis elle voit, dans mon sac, un cahier avec une couverture de chats. Hop stylos feutres dans ma trousse, je détache des pages , lui fais des chats qu'elle grabouille magnifiquement ensuite, découvrant le stylo quatre couleurs qui fait clic quand on appuie pour changer de couleur, ce qui n'est pas facile avec un pouce de 18 mois d'âge.
Puis je dois partir, mais lui laisse notre feuille d'artiste. Le stylo, non, mais ça passe, car tatie a une pochette de feutres pas encore sortie. Tatie est fine, elle se réserve des cartouches, car il faut occuper sa nièce jusqu'à Marseille.
 
Dans tout ça j'ai aussi eu Sofian dans les bras, 6 mois, sa maman passait sur notre plateforme-nounou sncf- canapé- solidarité femmes et a tout de suite senti le vent. Je peux vous le laisser pour aller aux toilettes ? Mais bien sûr. Et les toilettes, c'est juste devant nous. Tout a l'heure une dame chouette avait peur de s'y enfermer, j'ai posé mon sac devant la porte tandis qu'elle était à l'intérieur, "je surveille, personne n'entrera" j'ai dit. Donc quinze minutes après me voilà avec Sofian. Je le porte dos contre mon torse pour qu'il voie la porte des toilettes. "Je te porte comme ça pour que tu voies ta maman et où elle est". Impec le bichounet. Madeleine en a pris de la graine. Pas moufté, pas peur, quelques minutes sans maman avec des inconnues. Même pas peur, à l'aise. Les bébés sont des warriors, des E.T, les bébés sont mes amis.
Tout, ils m'apprennent et m'ont toujours appris.

2 commentaires:

iseredrome a dit…

Jamais je n'ai lu un texte aussi beau, aussi humain, aussi aimant pour le petit en devenir.
Tant de plaisir à le lire. Je suis aussi humaine.

Laure a dit…

Merci ça fait plaisir d'avoir cet écho.
C'est vrai que j'étais dans un état profond et léger, vers l'autre. J'ai adoré.
Bises