9 janv. 2021

Avec

 

 Hier je me suis cognée. Les accidents arrivent. Sans qu'on les voie venir, souvent dans des circonstances anonymes,banales, stupides ou presque. Minuscule parenthèse dans ma journée, hier vers 17h je me suis cognée.

Mauvaise perspective, mauvaise distance entre un obstacle matériel et moi. En l'occurrence, le cadre de la portière de ma voiture, arrière, derrière le siège passager. J'ouvrais la portière pour prendre au sol le sac de la petite fille qui dormait dans son siège de retour de l'école. L'enfant dort souvent dans le trajet qui la ramène chez elle. Sa petite soeur, sur le siège à côté la regarde et sourit, elle qui a fait la sieste à la crèche.

L'enfant dort et avant de revenir doucement la réveiller, je prends ses affaires au sol, dans un élan, dans un mouvement qui prend une vitesse je franchis l'espace ouvert et me penche mais BAM je cogne le haut de l'encadrement de la porte, je me le fiche bien sur le crâne au dessus du front. Je suis sonnée, je me tiens la tête. Je pense à moi et aux autres moments où je me suis pris une beigne comme ça, franchement, tempe droite, arcade gauche, Vlan, ce n'est pas la première fois que je me prends un bout de bagnole ou de rétroviseur dans le ciboulot. J'en garde des marques sur ma peau, une ombre ici, par exemple. Les accidents arrivent.

Je monte dans la maison avec la petite. Je ne sais pas comment ce coup va évoluer. Je trouve le gel arnica, le doliprane, l'arnica montana. La petite joue. Le monde peut s'écrouler les enfants jouent, innocents face au temps qui passe, gaiement. Je me frotte, je bois de l'eau, je me fais un shampoing sec à l'arnica, mon brushing est foutu. J'ai l'air de tenir debout, je n'ai pas mal. Les accidents arrivent et sur le coup on n'a pas mal. Je ne saigne pas, Dieu que le crâne est dur ! On redescend chercher l'enfant qui dort. Une heure passe. Je vais bien. Puis, en sortant de la salle de bains, une heure et demie plus tard, je titube. Tituber n'est pas ordinaire. Tu as déjà eu une cuite, été saoûle ? Moi un peu, dans une lointaine période de ma vie où je me suis forcée à boire ( je n'aime pas l'alcool) pour socialiser avec des alcooliques pas anonymes, des amis, des frères, des beaux, des solidaires. Quand tu es pompette tu peux faire des trucs très marrants, sortir du cadre, épater les garçons, danser sur les toits des voitures la nuit, embrasser à bouches pleines sans penser au lendemain, faire l'amour dans l'ivresse, le corps envolé qui ne t'appartient plus tout à fait et se donne dans l'euphorie et sans questions. Quand tu es pompette adieu les questions, adieu les emmerdes d'hier et de demain. Et parfois tu ne marches pas droit. Mais là j'étais un peu mal à l'aise dans l'ensemble, sortant de la salle de bains avec mes deux fillettes chez elles. Encore vingt minutes avant que papa n'arrive.

J'ai fait semblant, j'ai tenu le coup, bu et rebu de l'eau et suis restée silencieuse, attendant papa, me demandant si j'allais conduire. Je n'arrivais pas vraiment à jouer avec les filles, j'étais un peu passive ce qui n'est pas mon style. Mais les enfants jouent...Il fallait rester droite, ne pas regarder sur les côtés, respirer et attendre. Cela a marché et en voiture, j'ai roulé vite, inutile de téléphoner pour prévenir l'Homme qui ne répond jamais sur son stupidphone, j'ai roulé vite en respirant durant les dix minutes en descente vers chez moi, et une fois dans la plaine je savais que j'allais arriver. Je me suis assise sur le canapé et n'ai plus bougé un petit doigt. On est habitué à pouvoir se mouvoir, tourner la tête ou les yeux. Et voilà qu'on ne peut pas. Cela n'a pas duré. Une soupe, du pain, un peu de télé, je te rassure, j'étais bien dans mon lit, enfin immobile. 

Les accidents arrivent, on se fracasse sur un truc. Et ensuite on se demande comment on va tenir. On ne s'y attend pas. Un jour un amant te dit qu'il ne veut plus de toi. Une autre fois, un amour pour la vie dit que tu dois partir et ta vie est finie. Un jour un scanner est mauvais, ou un IRM est bon et on revient de loin. On s'est décomposé dans la salle d'attente. On entend chaque battement de coeur comme s'il était le dernier. Tout tient à quelques minutes près. L'infirmière te met une perfusion pour la première fois de ta vie, puis tu entres dans la machine. Il y a trois ans c'était moi, hier c'était toi. Hier à la télé j'ai vu des infirmières anglaises pleurer, en pleine action, à l'hôpital. Je zappe si je vois l'hôpital et le covid mais là je n'ai pas été assez rapide. Elle m'ont touchée. Comment certains, certaines, peuvent-ils me dire que tout va bien pour eux dans cette période, et qu'il n'y a pas de quoi se biler au delà du raisonnable et que ce sera fini un jour, il ne faut pas exagérer. Bien sûr qu'on vit, bien sûr. Le monde vit, le monde bouge, des millions d'êtres bougent, meurent, survivent, sont heureux, basculent, balancent et moi je suis avec eux. Et chez moi, tout est touché, bouge, bascule, se heurte et secoue, demande une attention différente. Sur un fil.


 https://www.youtube.com/watch?v=w4kl_yPpt8M

2 commentaires:

Anonyme a dit…

On se cogne, on se heurte, on se fait mal aussi sans conscience
on ressent la douleur, elle vit en nous de l'avant du pendant de l'après…
Ici, on conscientise la violence qui nous est faite.
Elle vient d'où ? on la gère ou pas ?
La bataille de nous-même a commencé.
On se laisse aller? On s'épuise? on se fait mal pour aller mieux ?
On la repère, on la singe ou on plie.
Une ligne fragile.


La tortue légère a dit…

Merci pour ce beau commentaire
Ravie