31 janv. 2021

Aller aller aller


 

Quand la lourdeur s'installe

S'installe, sale

On croit tenir quelque chose, une épaisseur, un dégoût, une envie de foutre en l'air

Aucun angle ne décolle du plafond

On sent mauvais, au vent sale, on s'installe, on ne croit plus aux jours

Puis ça passe, on se dépasse sur les côtés, on vire à droite, on glisse un peu, on s'évite, on ne peut plus se regarder

Etre malheureux est épuisant, y'a plus rien d'autre qui compte, on pompe, on déglonfle tous les atouts

C'est comme ça que j'avais perdu mon vélo. Abîmé. Cassé. Je ne savais pas réparer et je ne pouvais compter que sur moi-même. Essuyer le pavé. 

Cette semaine, je  l'ai enfin amené au magasin. C'est le pneu, j'ai dit. Y'en a qui roulent sur les jantes et m'ont foutue par terre. M'ont pété le biclou.

Vous avez 50 euros de l'Etat, vous savez ? Non, j'avais oublié. Cela commençait bien. J'ai laissé le vélo, on ne pouvait pas me dire quand j'allais le récupérer, le magasin est plein, les gens profitent des 50 euros. Y'a du boulot.

Quelques heures après, le téléphone sonne. Le vélo est prêt, et les deux pneus ont été changés parce que ça faisait pile 50 euros. Libération !

La crasse, l'erreur, la rancoeur, la colère et l'épuisement sont soufflés d'un coup. Je suis au bout d'un marathon. Voici mon vélo réparé revenu chez moi. Et soudain je réalise que je n'ai pas demandé de réparer aussi les freins. Depuis plusieurs années ils étaient presque inexistants. Puis eux aussi ont été abîmés, réduits à néant, usés à la corde par autre que moi. Il y a des gens qui descendent les pentes à toute berzingue, quelque soient leurs capacités de freiner. Ils foncent vers le bas, à fond la caisse, et usent leurs freins jusqu'au bout. Peu importe la suite, peu importe les conséquences. Il faut de la vitesse, de l'exaltation coûte que coûte, quoi qu'il en coûte. Mon vélo n'avait donc plus de pneu et plus de freins. Zut, j'avais oublié de le signaler. Quelle bourrique !

Je vais voir mon vélo, je vois ses nouveaux pneus plus étroits et plus fins que les anciens, gonflés à bloc, durs comme des muscles boostés. Je tâte les freins, tiens on dirait que ça freine ?! Et je réalise qu'en changeant les pneus le spécialiste a obligatoirement rajusté les freins. 

Je ne suis plus dans la boue. Le temps lourd se jette dans la rivière. Je  reviens en arrière, presque au moment où mon vélo était neuf. Et je ne le prêterai plus jamais aux imprudents qui vous laissent sur le carreau.

Tout à l'heure, je reprends mon vélo pour la première fois depuis des mois. Je monte sur la selle et nous roulons au soleil. Mon vélo tout neuf, comme un miracle de Noël en janvier. Un jour avant mon anniversaire, mon vélo-ami, mon anti dépresseur depuis quinze ans, me reprend sous son aile, me promet d'aller, aller, aller.

 

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4 commentaires:

Tifenn a dit…

Comme je comprends. Le vélo la liberté de voler ! Le vélo ? Être un oiseau !
(Je découvre Christine Salem, je tortille et je maloya, comme en vélo )

Laure a dit…

Vii. Et surtout ce fut difficile pour moi qu'on me rende un vélo hors d'usage. J'étais très choquée. J'ai donc le sentiment de tourner une page double et triple.

Anonyme a dit…

Magnifique texte. Poète.

Laure a dit…

Merci !