Les oiseaux piaillent dans le jardin, d'une nouvelle façon. Quelque chose se passe depuis que le gel polaire a laissé place à l'humide qu'aiment les petits oiseaux nourris et logés au jardin.
Mercredi, marchant lentement dans le sous bois tout proche j'ai découvert les premières primevères. C'est un petit endroit que j'aime beaucoup, malgré le mini sentier au milieu parfois fréquenté, il garde pour moi un air sauvageon. Les broussailles s'entremêlent, les ronces envahissent la pente des deux côtés du sentier. Un côté déboule sur un ruisseau, bien en pente, seuls les animaux y accèdent. Mercredi le flot de l'eau était fougueux et d'un chant bénéfique, un glou glou précieux.
Sur ce petit chemin, arbres et végétaux sont encore libres de pousser n'importe comment sans que l'humain ne vienne tout brider. Toutefois il y a eu une grosse tempête l'an dernier qui, partout, a mis à terre des milliers d'arbres. Autour du sentier l'homme est donc venu couper dans le tas, permettre des passages, des ouvertures, déblayer à minima, en quelque sorte. Je lui pardonne. L'essentiel est resté et certains groupements d'arbres s'en trouvent mis en valeur, leurs troncs en bouquet forment des sculptures qui me plaisent. Sur ce chemin j'aime m'arrêter, observer, toucher, écouter. Et toujours les oiseaux, sentinelles.
Je reviendrai avec mon appareil photo car il y a des écorces admirablement peintes, colorées, tachetées de coups de pinceaux blancs. Des couleurs feutrées inédites, bruns orangés rouille chamois gris doux blancs beiges mousses miniatures verts fluo. Beautés. Un peu plus loin, après la petite descente, je choisis de quitter à peine le sentier, un léger décrochage à gauche, vers l'eau vive. Le sentier a été remodelé au printemps, on ne croise plus la mini chute d'eau qui se jette dans le ruisseau et qu'il fallait enjamber. Le nouveau tracé s'éloigne de plusieurs mètres vers le champ, plat. Moi je vais toujours vers l'ancien tracé devenu impasse, abandonné, qui recèle mes souvenirs, mes émois, autrefois il était bien boisé, pullulait de petites pousses, des gosses y faisaient des cabanes, tout a été rasé suite à la tempête. Il y a huit ans j'y ai prélevé une pousse de noisetier qui est aujourd'hui le jeune noisetier du jardin. Au printemps j'ai découvert une pépinière de murier, dans le sol sablonneux près de la chute d'eau, au pied de ce qui fut un bel arbre dont il reste l'ombre d'une souche. Ces bébés muriers ont très bien prospéré en pots. J'en ai même planté deux au jardin, on va voir...
Tandis que je méditais dans ce coin à part, une famille passe sur le sentier à quelques mètres de moi. Je me tais, je ne bouge pas. Ils marchent à grands pas, sans rien regarder autour d'eux. Le père, les deux ados, la mère suit avec un gros chien dont la longue laisse s'emmêle sur le petit "pont" en bois. Quelques planches pour éviter de se mouiller les pieds au dessus d'un filet d'eau. Se retournant vers la laisse coincée, elle me voit. Et me demande " Qu'est ce vous regardez ?". Prise de cours, interrompue dans mon immobilité et mon silence, je bafouille " Mon coin"...je vois qu'elle ne comprend pas et j'ajoute "Mon coin chéri !". Je porte un masque, que j'ai mis en les voyant arriver au loin, elle ne voit pas mon grand sourire. Elle, n'en porte pas, je vois qu'elle s'étonne et elle me dit "Ah je croyais qu'il y avait quelque chose, un poisson, ou...". Non, rien " d'extraordinaire" sauf tout. La nature, vibrante et tellement vivante qui ne demande qu'un peu de silence et de liberté d'être comme elle va.
J'aime marcher plutôt lentement et m'arrêter souvent, je crois que je n'aime pas marcher d'un pas vif longtemps. Chacun marche à sa façon. J'aime aussi marcher seule, pour prendre ce temps d'observation et de ressentis. Et je me suis souvenue de la complicité que j'avais avec Jeannine. Une voisine devenue amie, de trente ans mon aînée. Nous flânions dans les bois, sur les sentiers, les chemins, avec la même liberté. Des moments solitaires, loin l'une de l'autre de plusieurs mètres. On se parlait peu. On ne bavardait pas, on ne parlait pas de la vie, des tracas, des choses quotidiennes. Nous étions totalement concentrées sur la vie végétale et animale autour de nous. On s'arrêtait longtemps autour d'une branche ou d'une plante pour en célébrer la beauté et notre émotion, on touchait, on caressait, on s'extasiait du bonheur. Elle connaissait toutes les plantes. On remarquait chaque petite chose, une écorce, un sol, un chant, un bourgeon. On s'arrêtait, assises au sol ou sur un tronc couché, avec toujours de quoi boire et grignoter. On papotait, toujours à propos de la nature et du lieu où on s'était posées. J'ai des photos adorables de ces moments rares. Rare de partager autant avec quelqu'un. Au même rythme, avec les mêmes ressentis profonds et silencieux.
Un jour nos pas nous ont conduits vers des champs de pêchers et d'abricotiers en fleurs, sur les collines. Une féérie. La première fois que nous nous trouvions sous autant de fleurs sous le concert immense des abeilles. Couleurs, douceurs des fleurs d'une tendresse incroyable, et vibrato assourdissant des butineuses. Nous étions seules au milieu d'hectares de fruitiers. Subjuguées. On s'est assises et on est restées là, à se faire le plus invisibles possible. Merci Jeannine. Tu vois, tu n'es plus là, mais tu restes unique et importante pour moi, nous avons vécu des moments qui m'émeuvent encore.
Hier, Jeannine, alors que je roulais en voiture près des immeubles où l'on a vécu en voisines, un petit oiseau s'est précipité sous ma voiture. J'avais une petite fille de deux ans à l'arrière. J'ai tout de suite regardé dans le rétroviseur et j'ai vu une petite chose au sol... Aïe. J'ai continué de rouler mais la tristesse m'en empêchait, il fallait que j'aille lui dire au revoir. Nous avons fait demi-tour et comme aucune voiture ne circulait là, je me suis garée sur le bas côté et j'ai pu prendre dans mes mains l'oiseau mort. Beau passereau, un peu grand, pas un chardonneret mais avec quelques plumes vertes, des ailes rayées noir, gris, blanc, un bec très pointu, je ne connais pas son nom. Bel oiseau. Je lui ai parlé, il était mort mais encore chaud. La petite fille était dans son siège auto, je suis allée la voir et lui ai montré l'oiseau " cassé", "cogné sur la voiture" "bada boum aïe". Zazio, elle a dit. On a caressé son doux ventre, tout doucement. Puis je suis allée le mettre sur le talus, entouré d'herbe et de paille dans un petit creux. Sur le chemin du retour vers chez elle, j'ai encore expliqué à la petite fille combien on était tristes que l'oiseau soit tout cassé cassé. Un peu plus tard, chez elle, s'arrêtant de jouer, la petite fille a joint ses mains comme je l'avais fait pour contenir l'oiseau entre mes paumes et elle a dit, l'air triste " Morte Zazio...". Oh.
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