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Je prends mes bâtons de marche, ce sont juste des alliés, et de quoi faire bouger mes bras, sans se presser, je les lance tous les deux, les deux bâtons en même temps, puis je les ramène ensemble vers moi au rythme de mes pas, sans réfléchir. J'ai décidé de flâner ce matin.
Il ne fait pas encore trop chaud mais j'ai hésité avec le vélo. Puis j'ai pensé qu'il me suffisait de rester autour de la maison, par ci par là. Alentour. Sans aucune intention violente, sans effort, sans aucun effort visible.
Dès que l'idée de marcher lentement s'est imposée, je me suis sentie détendue. L'idée de faire petit et lent, comme on bavarde sans prétention, en regardant autour ce qui se passe, en prenant tout le temps qui vient, en le mâchant dans la bouche, s'en délectant.
J'ai souvent envie de m'arrêter quand je marche, de me poser sur un arbre couché ou un banc, m'assoir, oui. Et me fondre là où je suis. Pas arrivée, à peine avancée, immobile surtout. Même la marche est parfois trop rapide, elle pousse dans le dos et moi je veux rester, morceau par morceau.
Je me tiens droite, et je suis heureuse, il ne fait pas trop chaud, non. Je traverse la route et vais sur le chemin goudronné qui monte un peu, je regarde les quelques maisons, celle qui se construit à petit pas, et où, il y a quatre ans il y avait encore un vieil homme fantomatique et une glycine qui était la seule habitante possédant tout le mur de pierres. Depuis, l'idée de construire et le vieil homme parti, la glycine a été matée, réduite au minimum. L'humain réduit au minimum la nature qui se déploie, toujours trop à son goût. Pas moi.
L'autre maison, très belle en bord de ruisseau, a construit un garage à trois portes, comme une maison de petits cochons, un gros, un moyen, un petit. Au tournant j'aime bien le fouillis d'un champ-jardin. Un terrain qui devient de plus en plus habité, une cabane devenue petite maisonnée et beaucoup de soin à jardiner. Des arbres fruitiers.
Je monte un peu mais finalement, dans le grand tournant je vois des gens qui parlent, immobiles, devant une maison, celle du grand tournant, toute refaite il y a cinq ans, là aussi, tout le verger a été massacré, tous les arbres coupés, tout le fouillis éliminé, et avec lui les oiseaux et tous les êtres invisibles dont c'était l'univers. L'Homme piétine les habitats des êtres vivants qui ne savent pas lui casser la gueule et le dominer. L'humain n'est pas facile à contrer, repousser, amadouer.
Donc je m'arrête dans la montée, avant le tournant. Je fais demi tour. Auparavant j'ai marché en marche arrière, c'est bon pour les articulations. Je fais ce que je veux. Maintenant si je veux faire demi tour je le fais, j'aime beaucoup faire demi tour. Qui a dit qu'il fallait aller tout droit et jusqu'au bout ? Je l'emmerde celui là. Bon, maintenant je suis tellement libre et vacante, libre et lente que je ne sais pas trop si je passerai par le sous-bois. Je traverse les noyers et au bout du champ je vois une petite famille. Je m'arrête voir où il vont. Ils viennent vers moi, on se croise. A l'orée du sentier vers le sous-bois j'hésite. J'entends un aboiement. J'aime être seule sur ce sentier car il y a beaucoup d'oiseaux qui se taisent s'il y a d'autres personnes, du bruit humain. Donc, je rebrousse chemin, on dit, mais refaire un chemin n'est jamais pareil que la première fois. J'entends le ruisseau, les oiseaux se sont faits discrets, tout à l'heure je me suis arrêtée pour les entendre, au moins quatre sortes de chants, très joyeux, comme reprenant leur place, retrouvant des amis, affirmant leur présence, de branche en branche, une danse du retour, de l'automne qu'on prépare. Je les écoute et je vais de branche en branche, heureuse de les retrouver, préparant l'automne. Que j'aime.
Je redescends vers la route vers chez moi, et je vois la petite famille qui revient sur ses pas. J'avais bien compris cela tout à l'heure, alors je leur demande clairement s'ils cherchent un chemin. Ils sont timides mais osent un peu m'en dire. Je leur donne des indications et des idées. Ils veulent marcher sur des sentiers, ils ne sont pas vraiment dans le bon secteur. Ils apprendront. Ils connaissent déjà pas mal de coins. Je me demande s'ils sont nouveaux dans le bourg mais je ne dis rien. Ce ne sont pas des bavards mais des polis qui disent le moins possible. L'inverse de moi. Il est onze heures, ils ont un bébé et un petit de trois ou quatre ans, ils ont l'air prêts à se balader encore une bonne heure. Me voilà à me demander à quelle heure sera le repas des enfants, les enfants meurent de faim tôt. Non mais de quoi je me mêle ?
Je finis ma balade et m'amuse de cette rencontre agréable qui n'aurait pas été possible si j'avais marché d'un bon pas, si j'avais continué la montée, si j'avais pris par le sous-bois pour rentrer chez moi. Au fond, ce qui m'intéresse c'est de récolter quelque chose, m'arrêter pour chercher des bouts de branches jolies, cueillir une pousse d'arbuste, faire un bouquet, voir un oiseau, observer les méandres des arbres dans un fouillis sauvage, et, parfois, pas trop mais parfois, voir des humains pas pressés eux aussi.