20 mars 2023

La chanteuse

 Projet d'écriture de mars 2023. Portraits d'amies perdues.


Mais où l'ai je rencontrée ?

De tous les portraits à venir c'est le plus court dans le temps. La fulgurance d'un essentiel moment. Le cadeau qu'elle m'a fait sans le savoir.

On est à Paris c'est sûr

L'ai-je rencontrée à la fac d'Arts plastiques, de St Denis-Paris8 ex-Vincennes ? 

Est-ce grâce à ce cours de chant qui n'est pas un cours de chant mais d'expression vocale-de-soi, donné par une femme incroyable, visionnaire rebouteuse d'âmes, chamane des sons qui nous fait monter sur un tabouret et crier puis en descendre et chanter ce qu'on veut tandis qu'elle prend la main et tâte notre pouls spirituel. 

Après des semaines à accompagner-encourager-recevoir l'exercice de mes compatriotes étudiants,( nous sommes tous debouts dans la salle, en cercle), je me lance. Quand je descends du tabouret la prof me regarde et me dit en serrant mon poignet "Mais vous êtes là pour quoi vous ? Vous cherchez quoi?". Je me tais, tétanisée, durant ces séances les vibrations sont tellement palpables qu'on est tous saisis. Parfois on pleure, souvent on se retient, on rit aussi, on fait corps. "Vous n'êtes là que pour donner" me dit-elle, lâchant mon poignet. Je suis perdue. Déboussolée. Elle me fout la trouille.  Au secours. Je suis partie peu de temps après.

Ce cours a marqué toute ma vie, tout comme le grand moment d'auditions au Conservatoire de Paris avec La Chanteuse.

Etait-elle dans le groupe d'étudiants ? Etait-elle sur deux des autres ateliers de chant où je suis passée ? Etait-elle amie d'amis? Bossait-elle dans la plus grande Poste de Paris avec moi. Entre 6h du mat et 11h, où se croisaient beaucoup d'étudiants très marrants, étudiants de tout un peu partout, un régal.

Je ne me souviens de rien. L'unique vision très nette que j'ai d'elle est celle de cette femme bien plantée sur la scène, salopette rouge cheveux acajoux guitare en main. Elle m'a demandé de l'accompagner au Conservatoire de Paris pour la soutenir dans son audition. J'y viens guillerette, curieuse, passionnée, émue, sans avoir la moindre idée de là où je vais mettre les pieds.

Elle chante Barbara seule avec sa guitare, seule en scène. Nous sommes une vingtaine de spectateurs dans l'immense théâtre, le jury est visible, de dos, en contrebas. Concentrations en mégatonnes, tremblements, peurs. Moment de vie intime,  décisif, pour les candidats et finalement pour moi à une moindre mesure.

J'arrive dès le début des auditions auxquelles je vais toutes assister.Une claque, un choc émotionnel qui m'entre dans toutes les pores de ma peau, tous les neurones en vrille. J'apprends, je découvre, je suis pétrifiée, je suis en scène avec eux tous, j'ai un trac de malade assise sur mon fauteuil. Je savoure le privilège aussi, la chance de vivre cela, je la savoure encore aujourd'hui. Il y a des fois qui sont des une seule fois qui dure en nous éternellement, c'est comme ça.

Elle chante, je crois qu'elle chante deux chansons. Un pianiste est à disposition pour ceux qui le veulent. Je la trouve magnifique. Elle est habitée, elle n'a pas peur, elle interprète les paroles, elle a la fibre,  belle Terrienne courageuse, combattante, artiste qui connaît déjà la scène en amateur.

Voilà ce qu'elle m'a donné. Je ne sais plus rien d'avant ce moment là, et plus rien d'après. Nous étions comme des poissons dans l'eau, ensemble. Combien de temps nous sommes nous fréquentées? Elle a bougé sans doute, je ne sais même plus si elle a été reçue au Conservatoire. J'ai bougé moi aussi, on a nagé dans nos eaux, carapaté, évadées, libres.

Cet après midi de fou à écouter voir respirer chaque candidat a changé ma vie. J'ai compris ce qu'était un artiste, j'ai compris le travail à fournir pour monter en scène. J'ai vu le don inné. J'ai ressenti que pour les candidats, tout était joué dès les premières secondes. Les positionnements des corps et des voix, l'interprétation, ce qui se dégage de l'être, l'allure,  les gestes, et leur invisible mis à jour. Parmi la trentaine retenus sur sélection préalable, trois avaient crevé l'écran direct, nous avaient pris, soufflés, épatés. Comment faisaient-ils. Il n'y avait pas que le travail. C'était au delà. Moi qui avait encore en tête de composer des chansons et de chanter peut être, j'ai reçu une magistrale leçon. 

Je suis entrée un peu plus à la fois dans la poésie et dans la vie réelle grâce à elle, dont je n'ai gardé que la fulgurance d'un après- midi extraordinaire, inoubliable pour toujours.

 Je la revois sur scène dès que je le veux, la photo est gravée. Sa salopette, sa stature puissante et décidée, campée sur ses pieds guitare en bandoulière. Je revois la grande scène noire et grise, les lumières qui reviennent après chaque prestation. Je revois le silence, les présences, les chuchotements, les pas qui glissent sur la scène, le trac que j'ai eu, les émotions profondes qui m'ont sidérées. Avalée toute crue.En chantée.

Un moment d'amitié lumineuse et d'aventure aussi. De ces années où l'on a vingt ans et quelques brindilles en plus. Les années où l'on ne sait rien de soi mais on tente tout. Les chanteuses rêveuses qui partiraient sur leurs chemins.

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