Jeune je vivais tambour battant. Jeune, que dire, quand est-ce? Cela s'arrête-t-il finalement ?
Peut être. Peut être qu'après la cinquantaine, la vision est autre, les perceptions différentes, les décisions se posent avec moins de facilités, parfois. Parfois. Une fois, deux fois, trois petits tours et s'en va.
Je ne sais pas.
Ce que je sais aujourd'hui c'est que je vivais dans l'instant, dans les ressentis, et que j'actais dans ces instants et ces ressentis, impulsivement. Souvent pour le meilleur, vers le meilleur et le plus exaltant, ici, là, suivant mes courants, mes amours, mes intuitions profondes. Parfois pour le pire, détruisant ou choquant des aimés, balayant l'avenir sur mon passage pour ne m'exercer que sur le présent. De force le passage cédant. De vivre sur tous les fronts. Les frontaux, les fronts hauts. Exister. Etre adulte et depuis mes dix-sept ans.
Je n'avais pas le goût de l'effort, je n'étais pas patiente sauf parfois dans mon travail. Je vivais les douleurs de façon ultime, destructrice. Je partais quand je me sentais détruite et pas à ma place. Toujours les ressentis, la façon dont mon corps reliait ma tête et l'inverse, j'étais une barque et les vagues en même temps. Peut être.
Je n'étais jamais très malade, jamais méchamment, c'est sans doute cela la différence, le tournant entre la pure jeunesse divine et les autres âges de la vie. Et puis un jour je me suis retrouvée au lit regardant le plafond, avec ma première pneumopathie, un truc dont je ne connaissais rien. Je me suis retrouvée totalement à zéro sur tous les niveaux. Coïncidence, j'ai vécu cela quand, pour la première fois de ma vie, j'avais gardé un travail au lieu de le fuir. Je n'avais pas quitté un travail dans une école qui était toxique et me brûlait de l'intérieur et où j'avais été humiliée comme jamais dans ma vie professionnelle. En décembre, au bout de trois mois de travail, je savais que je devais partir. Mais à 57 ans tu fanfaronnes moins, de ce salaire de 800 euros j'avais besoin absolument et je ne voulais pas retourner à Pôle Emploi qui est devenu un presse-citron-travailleurs qui te fait regretter la bonne ANPE disparue.
Je suis restée. Deux mois après j'ai connu la maladie comme jamais dans ma vie. Quatre mois d'angoisses. Un premier immense apprentissage. A l'été je revivais, c'est facile avec les antibiotiques. Guérie. Quatre ans après, cette année, je me suis revue désintégrée mais à un niveau bien au dessus, toujours sur les bronches, moins longtemps mais plus durement. Mon corps, dont je prends grand soin, est très fort, résiste et combat. Je vais bien mais avec séquelles légères. Deuxième apprentissage. Enorme.
Et qu'est ce que j'apprends, donc ? L'effort mental, l'endurance, la résistance au désespoir. J'apprends l'endurance face à l'impuissance ponctuelle et possible. Je sais qu'ensuite je reprendrai les rênes, l'envie,la possibilité, le nouveau.
J'apprends que la souffrance augure des jours heureux, encore plus doux tant l'ombre était sévère et t'a mangé des bouts. J'apprends que nous récupérons, que nous reprenons nos morceaux, billes l'un après l'autre nous regagnons. Je ne dis pas que c'est le bonheur béat. Je dis que c'est. Que le fil se déroule. Que revient la marée.
Plus jeune je vivais incendiaire, dévoreuse de joies et de chagrins. Enfant affamé, ogre qui croque dans un fruit mûr gros comme tout l'univers. Je n'avais pas conscience de mes angoisses et de leur pouvoir, je les contrecarrais, sans doute. Aujourd'hui c'est le temps des apprivoisements.
J'apprends que le réconfort vient à chaque fois. Il fait "sa job" comme disent mes amis québécois. Et j'ai confiance. En L'Après.
Nostalgique je suis de ma folie, de ma force de décision sans retour en arrière, de mes traits droits sur les pavés. Suis-je nostalgique de celle-là qui vivait ainsi et me grignote encore parfois ? Pas si sûre. J'apprends à patienter, j'essaie vaguement de me comprendre, de me guérir, me prendre par la main.
Vivre demande de l'aide.
Ce matin la pluie m'a réveillée après une première nuit entière, de plus de cinq heures. Dormir enfin. Une résurrection. J'ai sauté du lit, suis vite descendue et j'ai dansé sous la pluie dans le jardin. Cette eau du ciel que je n'ai pas revue depuis si longtemps. L'amie manquante.
Ce matin, enfantine, j'ai croqué dans un fruit mûr, toute à moi.
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2 commentaires:
J'aimerais être celle-là, toi, la force d'y croire.
Cela va
Cela vient
Cela part
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