Comme au premier jour, tout le monde était là à la maison.
La maman et les trois enfants. 5,11,et 20 ans.
Elle devait être absente, elle m'avait prévenue la semaine dernière. Mais non.
Et rien ne s'est passé, une fois de plus, comme je l'imaginais.
Parce que c'était ma dernière visite au domicile de cette famille ukrainienne, parce que la maman m'avait parue tristoune dans la cour de l'école la semaine dernière, j'appréhendais ce dernier moment partagé.
Je m'étais remué les méninges pour savoir quelle gâterie au chocolat j'allais confectionner comme promis. J'ai misé cookies, en pensant au petit. Pleins de chocolat. Il y a mis sa main en premier et s'est tartiné la bouche hilare. Gagné.
Et toute l'heure est passée dans la bonne humeur, la rigolade. J'étais au spectacle, elles se marraient, se racontaient des trucs dans leur belle langue veloutée et musicale. Fous rires, une contamination de joies. Un cadeau. Tout leur plaisait, la mère souvent énervée face à la prononciation douloureuse du français, ne faisait plus de grimaces, là voilà qui expliquait des mots à sa collégienne qui refuse d'articuler cette langue étrangère. L'aînée, d'un niveau avancé, à fait prof avec moi, posant des questions en français auxquelles les autres comparses devaient répondre, sans se bidonner, svp.
Une légèreté à tout casser. Tous les préjugés, toutes mes inquiétudes. Mais de quoi oserais-je m'inquiéter. On apprend le mot "heureux, heureuses" et elles disent haut et fort "Oui heureuses en France." Le petit vient, me montre des objets, m'apporte un litre de lait et un pot de Banania. Cacao on dit. Pas café, cacao. On aime le café ? Oui je bois du café, dit la collégienne. Je suis paumée, tout le monde rit. On se moque les uns des autres. Je suis dans une famille heureuse, heureuse de vivre. Les enfants sont intégrés, ont des amis, font du sport, sont invités aux anniversaires. Le petit me montre royalement les cartons d'invitation qu'il a eus à l'école. Très fier.
Je demande si les nouvelles sont bonnes. Parce que je me demande, elles sont si joyeuses, y-aurait-il un projet de retour ?! Pas du tout. On me fait défiler les vidéo de chez eux. Des trous, des fumées, des incendies. Non, ça ne va pas là-bas.
Mais c'est ainsi. Cette famille respire la vie, le bonheur aujourd'hui. Sa chance. Son union. Une autre famille amie a emménagé en face le mois dernier. Elles vont à la piscine enfin ouverte. Elles se baladent, elles marchent. Elles vivent et leurs visages sont radieux.
Elles m'auront tout appris.
Elles n'ont plus besoin de moi, pas de cette façon, et nous en sommes ravies.
J'avais préparé trois phrases pour dire que je ne reviendrai pas faire du français avec elles. Mais que surtout elles me préviennent si un jour elles rentrent, qu'on se dise au revoir. Sur mon cahier, j'ai lu les phrases et elle a tout compris, cette femme solide comme un roc, douée, et indulgente avec moi. Elle a compris mon ukrainien timide.
Les cookies ont conclu l'affaire, la recette dessinée sur une feuille. Tout était parfait. On s'est dit A Bientôt ! Elles font partie de notre paysage maintenant. On s'est dit A Bientôt ! Sincèrement.
K.O de bonheur elles m'ont mise. Epatée. Une fois de plus.
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