30 nov. 2020

Il roulait sur les jantes

 

Il roulait sur la jante, il roulait à tombeaux ouverts, il pédalait sur les chapeaux de roues, sans gants, sans freins ou presque, à plat à l'arrière. Et il ne disait rien. 
 
Il n'aimait pas le vélo, jamais, mais son désespoir était tellement océanique avec tempêtes dedans, qu'il m'empruntait mon biclou chéri quand il était au bout du rouleau, restreint dans ses libertés, effondré dans les confinements. J'avais déjà eu des doutes au printemps, j'avais récupéré mon ami-biclou très fatigué, il lui avait crevé son plafond, s'était assis sur les freins dont il ne restait plus rien, il roulait en danseuse sans tutu, perdu, furibard, sans nibars, expulsant ses mâchoires de loup au vent mauvais.
 
A ce point de déroute, en ce novembre qui le rongeait, je ne savais pas, comment pouvais-je savoir ?, qu'il martyrisait mon vélo en roulant à plat, plat du cerveau, esprit en débine, il roulait bel et bien sur les jantes, la valve sifflait la fin de partie, il continuait chaque jour à gonfler, à bloc, un pneu qui ne pouvait plus gonfler le vide de ses pensées, sa déroute, son désespoir.
 
Mais il partait quand même sur les routes, la tête dans les rotules, le moral sur les jantes. Aux abois.
 
Hier j'ai débusqué l'imposteur. Voulant l'aider dans ses méfaits dont je ne savais rien, naïve. J'ai donc gonflé pour lui le pneu malade, par bon coeur et curieuse de comprendre ce qui se passait aussi, j'avoue. Et j'ai tout de suite atterri sur une mission impossible.
Je me suis foutue sur le carreau. J'ai pris cher.
 
Oui, on pouvait gonfler, jouer des muscles, mais ensuite tout partait en cacahuètes. Le pneu ne tenait pas la rampe, c'était la fin des haricots. Trou d'air, vannes ouvertes, trop de pression, l'effondrement d'un pneu et d'un homme. J'ai pris ça en pleine face. Je n'avais rien prémédité, j'étais pas prête.
 
Un trou dans un cerveau, une épingle à l'âme j'avais débusqué là, dans le jardin. La ruse du cow-boy éventée, la folie d'un homme aux abois débusquée. J'ai dit qu'on ne roulait pas avec un pneu à plat. Je me suis fait engueuler. C'est vrai, on vit pourtant avec tout à plat, comme des raplapla, non !? Alors c'est quoi que je disais là, des sornettes de vies bien faites, bien carrées et rondes, solides et sûres sur leurs deux pattes, leurs deux pieds, avé les roulettes et les roues ? Jamais n'as tu marché entre quatre zieux, mal armée, pneus en vrac, défaite, à plates coutures démenbrée ?
 
C'était comme ça depuis toujours, il roulait sur la jante d'un pneu foutu. Une vie en renverse. A tire et à Hu Dada. Je suis tordu, dira-t-il plus tard, contrit comme moi. 
 
Le pneu arrière de mon vélo qui était en bonne santé le mois dernier, ce pneu est mort. Il allait bien, avant que ce cow-boy ne le saute comme un bison, et qu'il ne le harponne comme un voyou. Hier on en a pris un coup. Finalement, tu vois, on vit toujours un peu avec un inconnu. On se retrouve étrangère en sa maison. Faudrait filer à l'anglaise, et ne jamais ramener sa fraise. Passer entre les trous.
 
 
 
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27 nov. 2020

Oser. Se reconnaître.

 

Parfois, pas souvent j'aimerais, on ne prend pas de décisions. On est un petit champignon stocké dans sa gangue boueuse et on reste comme on est. Mal.

Souvent, des décisions j'ai prises, aujourd'hui, parfois, j'essaie de me souvenir si elles m'ont toujours aidées, portées vers du mieux, ou bien si, de toutes façons, c'est ainsi, et si j'agissais alors selon mes impulsions, sûre de faire ce qu'il fallait faire à ce moment là. Le choix, dans tous les domaines, est un sacré manège. Il tourne, on saute sur un siège ou on reste là. 

Souvent, parfois, maintenant, j'ai l'impression que je regarde un manège tourner. Régulièrement, facilement, bêtement, intuitivement, je me dis que je rate le coche, que je suis un petit champignon dans sa gangue herbeuse.

Je ne suis pas faite pour vivre en compagnie. Je suis faite pour vivre seule. Cet état d'être est une évidence, pourtant je partage une maison. Est-ce bien ? Est-ce tort et travers ? Le champignon est embué par son passé, par sa boue boueuse. Je prends appui sur un être qui m'empêche, je crois, de sauter sur trop de sièges de trop de manèges. Un garde-fou, peut être. Comment choisit-on nos aimés, comment les garde-t-on ? Est-ce une balançoire de nous-mêmes sur laquelle nous jouons et prenons le risque. Le risque d'aller mieux, d'aller pire, d'aller moins bien, d'aller beaucoup mieux. Le Temps découpe ses tranches dans le vif de nos choix. Il est le Maître, je crois. En faire un allié demande beaucoup de qualités que je ne possède pas assez. Le passé dans mon dos se moque régulièrement de moi. Bref, je ne sais rien.

Ce matin grand moment de radio sur France Inter, à 9h, dans l'émission Boomerang, avec Anouk Grinberg. Impossible de raconter, ce fut un volcan d'émotions et d'intelligence. Le rapport à soi, aux autres, la différence, la folie en nous, créatrice et indispensable pour vivre. Des textes, du pur brut vibrant, failles essentielles, cris d'exister, réflexions sur l'être et l'être ensemble, enfance, enfances, femmes qu'on clouent dans l'os et qui meurent de ne pas exister en leur profond. Hier j'ai aussi vu une vidéo d'Agnès Jaoui, récente, poignante, qui parle de la vie, des femmes et d'elle, depuis toute petite, depuis le premier abus dans l'escalier à cinq ans. 

Les femmes parlent et explosent leur cris, leurs vies, osent et déchirent les forêts. Ce matin Anouk Grinberg sur le fil entre détresse et force, sûreté et fragilité totale, pose, déchire le silence, fait taire les bruits, parle de ce dont il faut parler avant toute chose. Elle peint, aussi, je ne savais pas. Ce matin elle raconte une chose extraordinaire. Elle montre ses dessins à un artiste, pour avoir un regard, un avis. Auparavant elle nous a expliqué son parcours : elle dessinait, puis ayant trop peur qu'on la juge, qu'on la déclare folle, ayant trop peur de l'enfermement dont sa mère fut victime, elle maquille ses dessins, les modifient pour qu'ils ne choquent pas, en quelque sorte. L'artiste-expert regarde deux cent dessins et lui dit "Ce n'est rien, c'est du rien tout ça.". Sauf pour deux dessins, deux dessins purs, tels qu'elle les avait créés, sans aucune retouche ensuite. Ceux là, oui, valent la peine, sont quelque chose. "Il faut lâcher les chiens" lui dit-il.

Tout est dit.

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19 nov. 2020

Nuit de rêve

 

J'ai rêvé de toi. Inaccessible sur des remparts face à une mer déchaînée. Le bruit assourdissant des vagues et du vent. J'ai rêvé de toi, irradiée une fois de plus d'un amour réapparu dans mes songes. Il faut songer ? Mais quoi donc en faire me suis-je demandée à peine éveillée. Faut-il t'écrire ? Faut-il être zinzin ? 
Je ne savais qu'en faire au réveil, de cette absolue merveille, ces noisettes enterrées pour toujours un triste jour d'hiver. Alors j'ai voulu retrouver mon grand cahier à rêves. Je l'ai trouvé et j'ai déposé la lumière de ma nuit.
 
Dans les rêves on prend les uns pour des autres, tout n'est que métaphore, mes tes forts, mets tes phares. Les rêves sont des ports secrets où l'on range des bateaux-fantômes. Pouvoir de renaissance. Le rêve prend pouvoir de ma personne. J'ouvre les yeux sans être sûre de qui je suis. Faut-il lier le rêve à une réalité ?

13 nov. 2020

Jamais la même à chaque fois

 

 

 

 
 
 
 
  
 
 
 



Un jour une amie m'a donné des tas de cartes, prospectus, modèles possibles pour peindre, ou coller.

Dans le lot je remarque une peinture. Une femme couchée, elle tient un plat rempli de fruits.

J'aime bien avoir un modèle, parfois, surtout pour positionner un corps, ou créer un visage qui se tienne un peu.

 

Ainsi a commencé la série de la femme couchée, la femme à l'oiseau, car la coupe de fruits, non, je ne l'ai pas adoptée.

 

L'idée d'un fond spécial a vite émergé. Je prends un papier ou un carton, j'y colle quelque chose ou je peins des couleurs, puis je pose dessus du papier de soie, blanc. Ensuite, c'est selon. Je fais une esquisse du corps et du visage et ensuite je bidouille pas mal. Je prends des pastels trop épais, ou un pinceau épais aussi, pour faire quelque chose de précis, de fin. Je rature, refais, re bidouille, mais sans changer les matériaux. C'est souvent que je me vois entrain de patouiller sur un travail avec du matos non approprié qui m'alourdit la tâche, mais que je ne veux pas changer. Cela doit être une thérapie, une façon de conjurer quelquechose

Selon les fois, je prends de l'encre, de la peinture, du pastel, au feeling. Les choses se mêlent, parfois je termine au feutre.

Je m'amuse de constater, après-coup, combien ces femmes dégagent des impressions diverses. Car je pense à quelqu'un quand je les crée, je pense au moment où je lui offrirai. Chose rare, une seule sur les trois est partie au courrier. Les deux autres ont été données en personne.

Chose unique aussi, une de ces peintures a été un genre de commande, une amie ayant vu les deux premières m'a dit combien elle serait heureuse d'en avoir une. Chose faite aujourd'hui. Plaisir partagé et exprimé.

Chose curieuse et troublante, le mois dernier le cadeau-peinture était sur un lit, chez moi, avec d'autres présents pour une amie accueillie. Elle n'a rien dit. C'est le lendemain que j'ai surpris une conversation, une phrase adressée à quelqu'un d'autre chez moi, qui disait sa joie. J'étais très contente. Je n'ai donc rien dit moi aussi, puisqu'on ne m'avait rien dit à moi. C'est drôle, non ? Cela m'a émue d'autant plus.

 Cette femme à l'oiseau est particulière. Elle est inaccessible et intemporelle, multiple. Insolite et rêveuse, elle se laisse à peine peindre, me glisse des mains, se capture un moment puis disparait.

Il y aura d'autres femmes à l'oiseau. Je suis curieuse, déjà, de rencontrer la prochaine.



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