Je ne sais pas ce qui m'a pris il y a un bon mois de cela, à l'atelier Terre d'Ana, j'ai décrété que j'allais faire un visage.
J'ai bien vu que la potière était inquiète. Mais je ne voulais rien faire d'autre. Une sculpture, un visage, pas trop grand mais quand même pas une miniature ( j'aurais dû !).
Me voilà donc avec un beau morceau d'argile rouge.
Et bien, alors, on commence par quoi ?
Et bien on essaie de se figurer un crâne, par exemple, des proportions. Et on commence à comprendre que ça va pas être facile.
Mais passionnant. Une folie ! Je n'ai rien fait d'aussi difficile et nouveau depuis..depuis..peut être depuis 2000 et mon Master de Recherche.
J'avais des visages en tête. Je peux dessiner grosso modo un visage et surtout avec modèle. Je revenais du Musée Rodin où j'avais fait des croquis de statues. Certes.
Je me suis lancée, comme d'hab, confiante et illuminée. Il doit y avoir des moments où j'ai la foi. Laquelle, je ne sais, mais je crois aux miracles, je pense pouvoir les faire.
Quelle découverte !
On entre dans la tri dimension, cela n'a plus rien à voir avec la peinture. Chaque geste porte à conséquence, surtout sur un visage et je voulais un visage plutôt féminin.
Je n'avais jamais fait cela. Je sais maintenant que je suis partie avec pas assez de terre pour créer une tête humaine. Il en faut beaucoup, beaucoup.
Je suis allée hier acheter 12 kgs d'argile et oui, là j'ai pu mieux construire et peaufiner.
Je me souviens de la première séance ou mon truc ressemblait à un boudha, puis à un singe avec chignon. J'avais penché la tête vers le bas et cela avait changé tout l'aspect du menton. Ah oui, qu'il y-a-t-il sous le menton ? C'est droit ? C'est penché ? Sur quel volume, quelle longueur ?
Découverte, découverte...
Agnès m'a envoyé une vidéo des bases. Un visage sculpté, filmé au fur et à mesure. Cela m'a beaucoup aidé. Je me passais la vidéo en boucle tandis que je façonnais la chose.
Oui, je n'ai jamais fait avec mes mains un truc aussi difficile et aussi surprenant. La terre commande. Et c'est au millimètre près.
La sculpture d'un visage ( comme d'un corps !) c'est de l'architecture du corps, des proportions qui tuent, des millimètres de matière qui changent tout. C'est avoir les bases techniques.
Quel est le volume d'un crâne ? Comment un front est-il ? Bombé ou pas ?
Où sont les courbes, les cambrures, les creux, qu'y-a-t-il sous le nez ? Où sont les étirements, les lisses, les petites bosses ? Une lèvre c'est plat ou pas ?
Puis quand la chose a forme humaine, il ne faut plus toucher à certaines parties. C'est trop tard pour bien des détails et si un oeil est plus bas que l'autre et si le masculin frôle le féminin, c'est trop tard pour cette pièce là. La sculpture est l'art suprême du détail et des bases du dessin. Alors quand on débute...Ouh la la !
Le visage me regarde et ce matin je la caresse, je la prends dans mes mains, je l'entoure et j'ai envie de pleurer pendant les quatre heures de travail.
Je l'ai alourdie, je ne peux plus la tourner, la bouger, en gros je ne peux plus bien la travailler. Il faut terminer grossièrement les cheveux. Je la porte, la tête part en avant, elle doit faire 10 kgs !! Le cou se casse. Je répare.
Ouh la la. Vite je la pose à sa place dans la pièce fraîche et je ne la recouvre plus pour pouvoir la retravailler plus tard.
Je la laisse libre, dégagée et visible. Je pourrai encore lisser un peu, c'est tout, même s'il y a beaucoup à faire.
Je ne peux plus bien penser. Je suis totalement épuisée.
Qu'est ce qui s'est passé ?
Pourquoi m'étais-je lancée dans un truc de fou ? Va-t-elle s'alléger ( je ne peux plus la déplacer ni la bouger, je l'ai calée un peu derrière en espérant que le cou tienne) ? Va-t-elle se casser ? Combien de temps de séchage ? Des mois ? Des semaines ?
Le volume de ma sculpture demande maintenant du matériel approprié, je ne peux plus la travailler juste sur mon bureau, posée sur une planche. Au fil de la matinée j'ai senti la masse faire sa loi, l'apesanteur peser et la statue devenir lourde, me prendre de court, m'obliger à terminer dans la foulée comme je pouvais.
La sculpture c'est de la matière, du matériau, et une physique imparable dicte des règles, il y a de la mécanique des masses. Je revois les ébauches immenses au Musée Rodin, les poulies et les câbles, les aménagements de Titan pour assembler et bouger les parties d'un ensemble.
Oui, j'ai aimé, passionnément, mais je serai heureuse et soulagée de retourner à mes petites créations ensuite ! Elle m'a eue, je suis dépassée. Une chose est sûre : je serai dorénavant encore plus admirative - ou différemment - devant les sculptures des artistes !