Cette année elle est incapable de faire des cartes de voeux.
Il y a des années où ça va tout seul, même si ça ne casse pas deux briques, c'est regardable, c'est rigolo, c'est envoyé.
Cette année rien.
Elle a commencé en avance avec une idée d'objet ficelle et papier.
Rien.
Elle a voulu recycler des cartes classiques qui s'ennuyaient. La plupart sont mortes sans belle mort. Poubelle.
Elle recommence ce matin et s'aperçoit que tout tourne en paté, en bourrique, en caca boudin. Elle arrive même à faire du marron moche qui s'étale sur de belles couleurs.
On se demande. Dans les chaumières, dans les bazars, dans les troquets noirs, dans les cabanes, dans les hôtels, sur les quatre continents, on se demande " Mais c'est pour quand ?"
Il n'y aura donc pas de cartes cette année ? On-ne-Rien-recevoir, des télégrammes sont lancés. Personne à l'étage ni au rez-de-chaussée ? Personne dans la baignoire, personne au bar, personne dans la piscine, bottée touchée. Basse et haute aucune marée. Aucun mariage cette année, n'y a-t-il rien eu, aucun présage.
Est-elle déçue ? En met-elle trop ? Bourre-t-elle son coeur au point de tout dévisager, décolorer, démasquer, renverser patate, poele, oeufs au panier ?
Cette année rien ne sort. Pas de voeux, pourtant aucune rancoeur. Elle n'en veut à personne, ni celle là ni la suivante. Elle n'a pas d'illusions. Elle a chaque jour.
Mais cette année aucun papier ne dit, ce n'est jamais assez, c'est trop. Trop de couches superposées sur les cartes anciennes recyclées. Pas assez de beauté sur le Canson vierge tout pressé de dire son bonheur. Car bonheur il y a. Et puis dilemme, et puis nostalgies et lourdeurs d'attendre. Et puis n'attendre pas. Il y a les amies qui ne reviennent pas. Il y a ce qui est. Et ne sera. Il y a amour mais elle se demande même, si c'est toujours le même.
Sur les cartes alors rien. Rien ne passe son péage, rien ne prend son train. Train. Tiens.
Elle enverra des mots. Noirs sur blanc, oui c'est bien ça. C'est exactement où elle s'emmène, où elle veut dire. Noire sur du lisse blanchi et vierge qui va partout et sait recycler la peine, l'inavouable solitude, les extrêmes. Elle a démarré une histoire, avec des personnages et beaucoup de voyages, c'est ce qui la tient. Il a fallu qu'elle en arrive là, encore, il faut toujours arriver si bas.
Elle ne veut pas de cartes, elle veut des rubans, comme ceux des machines à écrire d'autrefois.
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