2 mars 2011

Mon impossible Cambodge

C'est ma première sortie hors de Phnom Penh. Nous prenons la voiture, c'est obligé. Un coin où pique niquer, diront les collègues, près d'un lac.

Je n'ai pas vraiment vu l'eau et pique-nique n'est pas non plus le mot approprié. Il y a des endroits où ton sandwich et tes chips te semblent restés mille lieux à la ronde et c'est tant mieux. Tu n'es absolument pas là pour croiser ce que tu connais.

Découvrir un paysage pour la première fois. Entrer dans une ville où tu n'as jamais été. Franchir une rue immaculée de ta mémoire. Arpenter un chemin qui ne t'a jamais vu.  Initier le lieu, t'initier. Faire les premiers pas. 

La voiture blanche, frappée du sigle des financeurs européens, se soulève sur des chemins durs comme une trique. Le Cambodge de ce janvier 1992 est sec, plat, dépeuplé en cet endroit. On se demande où est passée la vie. La vie a été mangée par les khmers rouges il y a presque vingt ans et la terre n'a recraché que de la poussière sans semence. Les canaux d'irrigations sont encore détruits, la capitale porte toujours des traces noires, cicatrices de bombes et de feux, sur des immeubles aux ventres ouverts où des gens squattent comme ils peuvent. Le grand pont n'est pas reconstruit. Sa coupure nette sera pour moi le symbole de ce pays en cette année là. Un choc.  Notre rupture aussi.



J'ai honte de nous en grosse voiture 4X4, avec des vivres et de l'eau potable à l'intérieur, quand je découvre la campagne khmère de l'époque. Sa désolation et sa misère. Nous croisons quelques maisons de bois avec rien autour, cette terre sans couleur et ses trois palmiers rachitiques qui montent au cieux pour se réfugier de ce que le sol ne leur donne plus. Quelques feuilles en l'air, épouvantails malades. La verdure semble encore plus inaccessible. Tu n'as plus qu'à grimper à la force des orteils sur le tronc anorexique pour récolter un peu de jus de palme à transformer.


Certes, la compagnie est bonne et heureuse, une sortie c'est un évènement. Je les découvre, je suis arrivée récemment. Nous n'avons aucune idée de ce que nous allons vivre et qui va, pour certains, sceller nos futurs pour les années à venir et pour toujours me changer. Nous ne connaissons pas encore la force de nos liens. 

Le radio-cassette passe ta cassette de Ferré et d'autres chansons si atypiques dans ce contexte. Déjà tout toi ce jour là. L'ensemble, l'intérieur de la voiture et l'extérieur, ce pays, forme un non-ensemble, une aberration croisée de certitudes fulgurantes qui se mettent en marche. 

Ces sentiments sans cesse contradictoires, tant dans ma vie intime que professionnelle, qui marqueront au fer rouge mon séjour ici.

Avant de quitter le Cambodge, j'accompagne une amie qui consulte une voyante. Chuchotements cérémonieux et traduction très approximative, je passe à mon tour devant la vieille femme khmère qui me regarde avec gravité et presque effroi et me dit que je ne reviendrai pas dans ce pays. Je ne sais pas si je dois la croire ou pas. Sentiment de malaise. Pourtant deux années plus tard je reviendrai, un court séjour. Vers toi.

Et puis après..

 
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6 commentaires:

Bil Murche a dit…

Saluez le Mekong pour moi...

Laure a dit…

Avec plaisir quand je le revois...Car pour le moment je vis en France,tiens ce billet permet de penser que je suis loin...Voilà une nouvelle divine. Grazie mile.

Anonyme a dit…

Cette fois, je la vois, cette légèreté de l'être dont tu est parée. Tes ailes trésailles et font vibrer l'air au dessus de ces paysages si emprunts de beauté et de drame.
Comment les hommes peuvent-ils êtres aussi con pour ne penser qu'à la guerre?
Vous êtes femmes, bien supérieures à nous dans tellement de domaines qu'il faudrait être aveugles et priver de la vie, rien que cela, pour ne pas le savoir.
Dieu merci, je le sais et pour toujours.
belle journée à toi,
Je t'embrasse très amicalement,

Roger

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Allez, j'ai fait une faute
Tes ailes trésailles, il fallait encore un battement et écrire "tressaillent".
Mille excuses,

Roger

Laure passagère a dit…

Oh c'est très gentil Roger, merci. Oui les hommes font la guerre, c'est bien dommage parce que faire l'amour c'est tellement meilleur et un autre challenge bien plus grand.

Anonyme a dit…

lignes partagées, lumière de "là-bas" merci...marilore