J'ai beaucoup pensé à ma mère en ces jours et semaines de maladie, d'inquiétude qui s'allonge sans qu'on sache quand cela finira. Quand la respiration est empêchée et douloureuse, quand on est soudain plus bien en possession de ce corps en pleine santé qu'on a l'habitude d'avoir. On peut avoir de quoi paniquer. Maintenant que je ne panique plus et commence à émerger, j'ai envie de me souvenir de tout ce qui a traversé mon esprit d'une nouvelle façon.
Changer ses habitudes est salutaire. Découvrir qu'une pleine santé peut avoir des failles temporelles. Vivre un genre de choc mental et physique, même temporaire, m'a ouvert de nouveaux champs de réflexions, m'a permis de creuser là où je n'avais pas creusé. Je ne m'attendais pas, par exemple, à me blottir contre la douceur maternelle, à y trouver une consolation, une perspective de réconfort. Il faut croire qu'on va vers ce qui vient vers nous, comme ça, dans nos moments de peurs, de tremblements internes. Heureux soient ceux qui allègent en vitesse, passent l'éponge, traversent sans que leurs esprits s'accrochent à de curieuses branches, des branches inattendues qui cognent la tête sur le passage. L'idée de mourir cette fois a mis son bout de nez, que j'ai laissé entrer, qui est passé par tout mon être. Qui ne pense pas à la mort ? Les bienheureux, tous les bienheureux.
Ma mère est revenue en mon chagrin et mes inquiétudes, dans une relation de corps à corps et d'enfantement. Retour sur la naissance. Elle, fille de médecin, qui prenait tellement soin de mon corps, et m'a appris la prévention avant tout, dans le domaine de la santé, elle à qui je dois sans doute d'être en bonne forme et de prendre soin de mon corps, cette santé "de fond" qui m'a un peu sauvée sur deux nuits très inquiétantes, qui furent un challenge. Réussi. Depuis que j'ai appris, il y a quatre ans, que j'ai une petite malformation, de naissance, des bronches, la présence de ma mère m'a manquée car j'aurais aimé lui apprendre cela, remonter le temps avec elle et l'entendre me raconter ma naissance et ma rougeole, qui pourrait aussi être à l'origine de ce petit truc sans grande importance.
Ce fut un sacré voyage durant ces mois de janvier et février. La grande nouvelle fut que je suis un genre de RobocopSuperwoman, hyper résistante, et que mon corps a toutes les armes et les utilisent de façon remarquable. Moi qui me pensais un peu chochotte et fragile, queue nenni. L'autre bonne nouvelle est que mes acquis et pratiques en respiration-yoga et Qi Gong m'ont sauvé la mise dans la tempête et m'ont remise debout ensuite, sur tous les plans, le mental étant la clé de tout. Mais encore faut-il avoir des outils d'apaisement et de remise en confiance du corps dans et par tous ses bouts, afin de ne pas laisser le mental nous couler. J'ai ces outils, je le savais, je constate chaque semaine leur effet, mais j'ai pu éprouver leur efficacité sur un état affaibli. Bingo. On a scellé un nouveau pacte eux et moi. Il faut dire aussi, que je suis très aidée par l'homme qui vit avec moi, qui m'a déjà tellement montré l'exemple par le passé, dans les épreuves de sa propre vie. Le corps est notre véhicule sacré, à entretenir sérieusement sous peine de Titanic en vue, le mental s'y amarre. L'un sans l'autre, ça ne fonctionne pas, l'alchimie est incroyable. Les petites marches le long du ruisseau, même à petit pas, jour après jour, à s'arrêter toutes les dix minutes pour retrouver une respiration, chaque jour, pas à pas, à repérer chaque millimètre d'amélioration. Il n'y a pas de maigre combat ni de maigre réussite.
N'étant jamais malade, ma santé mentale est tout de suite très affectée quand je le suis un peu. Heureux soient ceux qui traversent avec un moral indemne. Heureux soient les bienheureux. Et cette fois j'en ai aussi appris un peu plus sur la façon de doser les contacts quand on est souffrant et inquiet. Que dire ou ne pas dire, quand, quoi et à qui. Car en retour, les personnes te renvoient essentiellement le miroir de leur propre expérience, pour eux ou auprès de leurs proches, et surtout le miroir de leurs propres angoisses. Il y a les silencieux, silence radio. C'est un trou dans ton coeur. Il y a les personnes qui ne savent pas encore que les phrases " soignes-toi bien" ou "prends soin de toi" sont plutôt à modifier par "Je SAIS que tu prends soin de toi et cela ME rassure", " Je SAIS que tu te soignes pour le mieux et cela ME rassure." Car, je le redis, quand tu es depuis des semaines ou des jours à te ronger les sangs et ne faire QUE penser à te soigner, à essayer de TOUT faire pour aller mieux, tu n'as pas besoin d'entendre l'impératif. "Fais ceci, fais cela, fais bien ceci ou cela".
Cela me rappelle les choix de langages auprès d'enfants. Un tout petit enfant monte seul un escalier et je trouve cela dangereux. Je suis inquiète. Au lieu de lui coller MON problème en lui disant "Tu vas tomber !" Je lui dis, "MOI cela me fait trop peur, tu le fais avec maman ou papa,mais moi JE ne peux pas te laisser monter seul, alors tu vas me donner la main à chaque fois, parce que sinon je ne serai pas bien, pas rassurée.". Les enfants adorent cela. Ils entendent le bien qu'on leur veut, la responsabilité et le réconfort qu'on porte pour eux. La sécurité, l'amour.
Auprès d'une personne inquiète de ce que son corps traverse pour la première fois, on peut aussi tout simplement lui parler d'autre chose que des soins, lui parler de notre vie, faire des projets ensemble, penser à quand se voir et surtout donner des nouvelles de nous. La seule perspective de reprendre un thé ensemble quelque part ou de recevoir une carte postale, suffit à égayer la journée de celui qui souffre un peu, ou beaucoup.
Une amie m'a dit, sachant que j'émergeais enfin " Maintenant, tu vas laisser tout ça derrière toi". Je retiens la formule. Elle parle de demain et de liberté.
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