22 févr. 2011

C'est incroyable

Ce matin une collègue fête son anniversaire et me dit qu'elle a 34 ans.
J'ai comme un choc dans ma tête car je ne comprends plus rien au temps qui passe.
Je ne sais plus ce qui est long, ce qui est court, ce qui met du temps, ce qui en rajoute, ce qui soustrait. Je suis ballotée et spectatrice de ce défilé des années.

Je me suis dit " 34 ans ! ? Mais à cet âge je vivais tellement autre chose que ce que je vis, c'est incroyable !!!", j'en suis sur les fesses de moi-même.
Tu me diras ça fait...seize années que j'ai eu 34 ans. Pour moi cet âge résonne comme un âge de bébé, de bébé accompli mais si jeune, si innocent. Pourtant je ne l'étais pas , innocente, mais quand même.

Où étais je, où suis je allée ? Je n'étais pas avec toi, plus à ce moment là et pourtant je suis ta femme aujourd'hui. Incroyable.
A 34 ans j'étais sur le point de retrouver un amour fébrile, qu'il me faudrait quitter. L'amour, je suis son paillasson.
Je ne vivais pas ici, je ne connaissais pas ici, ni cette ville ni cette région.

A 34 ans je ne savais pas que je retournerai deux ans plus tard, travailler en Asie. Je ne savais pas. Ni que ce serait la dernière fois.

Je reprenais des études, ça c'est peut être le fil qui a duré le plus longtemps, a traversé les mers et les pays, ne m'a pas lâché jusqu'en 2001.

Je ne savais pas le nombre de valises et de cartons que je ferai. Tout ce qui s'empilerait et chez les uns et chez les autres.  Les cartons ce n'est pas le meilleur du voyage. Grands et petits, par avion et bateau, ceux qui partent, ceux qui restent et attendent que tu reviennes enfin.

A 34 ans je me croyais revenue. Je te croyais revenu pour toujours. Finalement c'est moi qui ait dû retourner vers l'Orient. Finalement c'est moi qui n'étais pas revenue totalement, je n'en n'avais aucune idée.

Je continuais de souquer ferme, j'écopais de tous côtés, j'aimais en dehors des possibles, j'étais comme un buffle ou un rhinocéros au galop. Parfois essouflé stoppant dans sa poussière. Puis reprenant le rythme, têtu.

J'avais beaucoup plus d'amis que maintenant. Bien plus. Quelques uns n'ont pas supporté les sorties de route. L'amitié est aussi puissante et fragile que l'amour.

Si tu as trente quatre ans, soit béni, tu as la vie devant toi. Si tu en as plus, comme moi, soit heureux, tu le sais, tu as tout à apprendre. Tout était faux, tu peux tout recommencer à zéro.

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11 févr. 2011

Les premiers voyages

C'est la vie qui appelle.
On prend des trains, on prend des pelles. On prend l'eau. Ecoper c'est vivre, regarder plus haut, ne pas savoir d'où vient la vague.

J'étais petite quand j'ai pris l'avion. On rejoignait toujours ma grand-mère corse chez elle. Mais le plus souvent en bateau.

De ce grand paquebot tous les rêves de fillette prenaient le large, crois moi, en cinémascope, tu vois ?

Il y a les départs du port de Marseille. C'est beau. Partir en bateau, on sent qu'on part de tous les côtés. La peau vibre, on fait partie de. On ne subit pas le voyage.

On dort. Jeune femme je me calais dans un coin du pont, près du ronron des machines et je dormais là, dans mon sac de couchage. Eblouissements. Tu n'as pas besoin de faire de beaux rêves, ils sont tous au dehors cette fois. Couchés près de toi.

Petite, au réveil, à l'aurore naissante. Pas de mots. Quelques descriptions, des exclamations, des doigts pointés. Mais surtout des silences pleins de respirations. La côte qui arrive. C'est l'enfance, c'est la maison. 
Le golfe d'Ajaccio à partir des Sanguinaires. C'est nous. C'est la force, c'est la tristesse des départs, des non retours, c'est la racine et l'arbre, c'est l'abandon, les choix, les renoncements, les contours et les vides. C'est ma mère sur le pont dont les yeux pleurent de joie. C'est revenir et repartir, on le sait déjà. C'est profiter sans délai, on le sait, on le fera. La promesse des tout de suite dans les bras.

J'ai grandi avec l'urgence du maintenant, la blessure du quitter, l'immanence des fins, la force de tout tenter.

Vers la fin du voyage en paquebot, c'est la grand-mère qui est face au port, chez elle, sur le balcon. On la voit avant même d'accoster. Elle porte sa main au dessus des yeux comme ils font tous face au soleil. Mais là c'est nous son soleil. 



Il y a les annonces des hauts parleurs, puis la descente vers la voiture, les rituels, les excitations. La fierté de tout connaître, d'être en terrain conquis. Une petite fille déjà grande dans sa tête. Une femme maintenant qui gardera sa joie de petite fille. Dans ces essentiels là, ceux de la voiture qui quitte le bateau et traverse la route pour arriver chez elle. Et peu importe si aujourd'hui il n'y a plus tout cela, aux mêmes endroits. Ce n'est plus "chez elle" mais peu importe les ruptures, ou les murs laissés derrière toi.

Parce que chez toi c'est juste là. De l'autre côté du ponton, de l'autre côté de la route, là au bout du chemin par où il te faut prendre ta main. Prendre ta main.
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