13 mars 2015

Grand fleuve béant

On s'accrochait. Pourtant l'eau du fleuve était mauve et sale.

Sur le bord, du haut de la terrasse du restaurant, c'était très tard. Je n'avais pas envie d'être là, je ne suivais plus le rythme. J'avais décroché un espace-temps trop rapide. Mon corps était à une place,  ma tête avançait plus vite que jamais. Je n'étais pas faite pour vivre dans ce pays mais j'étais emportée par plus fou que ma seule présence. Irrationnellement. 

S'engage une survie quand on ne le sait pas encore. Je me suis engagée et je n'ai pas su sortir dignement. On s'accrochait. On s'accrochait tous, c'est bien ce qu'on a vu quand on a tous démissionné d'un coup, pas tous, quatre. Insolents. A savoir lequel croquerait plus fort la vie dans ses dents.

 Le risque, impotent, badigeonnait devant ma porte sa noirceur.

Je n'avais pas vingt ans, j'en avais dans les trente. Entre. Entre alors. Entre le romantisme exacerbé de ceux qui ne savent plus où aller pour se déchirer plus encore. On allait marquer d'une pierre, l'après serait pire, personne ne se doutait.

Bien sûr je t'ai rencontré. Pour moi tu as conté. Des milles et une, des étoilées. Pour toi j'ai remué sous les jupes, derrière les moustiquaires, j'ai nagé. La sueur perle à grosses gouttes sur nos dos. La vapeur est à flot. Nous coulons, nous bravons, nous mentons sans le savoir encore. On ment comme on respire, on se jette.

L'eau du grand fleuve est boueuse, épaisse, comment peut-on y flotter ? L'eau part du glacé au Nord d'un continent pour le traverser jusqu'aux mers chaudes. La vieille femme édentée lit l'avenir dans mes mains alors que je pars et que je n'en ai plus. Elle me dit que je ne reviendrai pas, pas ici. Je la crois mais je suis accablée, elle me dit que ce n'est pas toi, que je dois quitter de sang froid. Je ne veux plus lui donner ma main. Elle me fixe avec anxiété, elle voit autre chose et a peur. Je pars, j'ai fait mes valises, je ne veux plus l'entendre m'annoncer ce qui me reste.

L'eau violette et conquise se donne du Nord au Sud dans un parcours tragique et violent où tout le monde la touche, s'y couche et veut la retenir. Les ponts sont coupés, rescapés de guerre. J'aime ce grand pont détruit, je le photographie souvent. Il cloue les rives de la ville qui tente de se reconstruire. Je me sens agressée de toutes parts, seuls les bateaux qui traversent le fleuve me rassurent.

Un jour je décroche. Ce n'est pas que je ne m'accroche plus. Tu décroches, toi, contre moi, comme on retire un tableau d'un mur. Sans le mur je glisse, ce qui était peint entre nous devient brouillé, invraisemblable. Avais-je rêvé ? La ville est crasseuse et sans espoir. Le fleuve continue de me charrier. Boueuse, inaccessible, dérivée. Je ne lutte plus parce que je ne sais plus où. Le creux, la soif, l'inexistence d'un amour sauvage qui a rongé sa proie. Le fleuve ne me retient pas. Parfois il remonte, parfois il descend, c'est un grand fleuve de vie capable de changer le sens du courant, dans un endroit précis, une zone en forme de lac où tout le monde se rend.

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2 commentaires:

Marcus a dit…

Waouh ! L'encre qui s'écoule dans les méandres de tes pensées est parfois plus lourde que les eaux boueuses du grand fleuve. Mais que c'est beau. Au point, Lôlà, que tu me fais sortir de ma réserve. Bises.

Laure a dit…

Merci ça fait plaisir
Oui les grands lions au coeur tendre sortent parfois de leurs réserves.
Bises